Je vois des gens qui sont morts
Rencontre avec Sean Hogan, réalisateur de Lie Still
Comment faire un film de genre avec un budget anémique ? Leçon numéro un : limiter au maximum le nombre de lieux de tournage. Tant qu’à faire, tourner le film dans un seul endroit, comme une maison lugubre de la banlieue londonienne, par exemple. Sean Hogan a bien compris la leçon et l’applique soigneusement dans son premier long-métrage, Lie Still, présenté à Nantes lors du festival de cinéma britannique.
Lie Still raconte l’histoire de John, un jeune anglais qui emménage dans une grande maison divisée en appartements. Le propriétaire a beau être sympathique, on sent tout de suite qu’il y a quelque chose de pourri dans cette bâtisse. L’ambiance, pour commencer. Les voisins semblent inexistants, à l’exception de la vieille dame d’à côté, plus portée sur la picole que sur les relations amicales. La nuit, des bruits étranges réveillent notre héros, les portes tremblent...et le spectateur ne tarde pas à en faire autant.
La nuit, des bruits étranges réveillent notre héros, les portes tremblent...et le spectateur ne tarde pas à en faire autant.
Dénicher la perle rare
Ce qui frappe d’entrée dans Lie Still, c’est le casting. Les deux acteurs principaux, Stuart Laing et la maison, sont parfaits dans leur rôle respectif : un paumé solitaire pour l’un, une baraque effrayante pour l’autre. L’acteur en chair et en os a été trouvé facilement. « En fait, Stuart est un ami du producteur. On a eu beaucoup de chance », reconnaît Sean Hogan. L’acteur, déjà vu dans Nine Songs, de Michael Winterbottom, est pour beaucoup dans la réussite du film. Il retranscrit à merveille le passage progressif de son personnage de l’effroi vers la folie.
Pour la maison, dénicher la perle rare a été plus compliqué. Sean Hogan raconte :« Quelques semaines avant le tournage, tout était prêt, le budget, les acteurs, l’équipe...et on n’avait toujours pas de maison ! Une agence nous a finalement indiqué cette demeure, qui se trouve à Londres, à environ cinq minutes de chez moi, ce qui est idéal. On a vu que ça pouvait le faire. Le bâtiment allait bientôt être vendu, il fallait se dépêcher. En fait, c’est une ancienne auberge de jeunesse pour enfants perturbés. » Charmant, n’est-il pas ?
Lie Still est le premier long métrage de Sean Hogan, qui a étudié le cinéma à l’université de Westminster, Londres, il y a une dizaine d’années. S’ensuit une période de petits boulots alimentaires : « J’ai travaillé sur des films industriels, mais j’étais frustré de bosser dessus sans pouvoir réaliser. Et puis j’ai commencé à faire des courts métrages, avec des amis ». Des courts qui seront remarqués dans des festivals, et qui lui permettront de rencontrer le futur producteur de Lie Still.
Horreur old-school
Amateurs de tripes en pagaille sur fond d’heavy-metal, Lie Still n’est peut être pas pour vous. « Actuellement, ce qui marche, c’est l’ultra-violence. Lie Still est plus psychologique, comme les classiques de l’horreur d’abord basés sur une atmosphère. Au départ, j’avais même envisagé de le tourner en noir et blanc, mais mon producteur n’a pas vraiment apprécié. (rires) Pas très populaire, aux yeux des distributeurs. D’après eux, le public-cible, à savoir les adolescents, trouverait le film ennuyeux. »
Pourtant, le film n’a rien de soporifique, au contraire, il aurait plutôt tendance à rendre insomniaque. Parmi les influences plus ou moins conscientes, outre Polanski, on peut citer David Lynch. Sean Hogan reconnaît son admiration pour le réalisateur de Twin Peaks, et son influence certaine, « surtout au niveau du son, avec des bruits particuliers pour créer une ambiance sonore angoissante. »
La nouvelle vague de films d’horreur asiatiques ne l’a pas non plus laissé indifférent. « J’ai effectivement écrit le script de Lie Still peu de temps après avoir vu Ring et Dark Water. D’un seul coup, j’ai vu qu’il était encore possible de faire un film de genre avec un rythme assez lent et une atmosphère », explique Sean.
Les aléas de la (grande) distribution
Malgré ses qualités, les professionnels du 7e art ne réagissent pas vraiment avec enthousiasme devant ce film de genre (et ce genre de film aussi d’ailleurs). « Même si le film a beaucoup de succès dans les festivals, les distributeurs britanniques le voient toujours comme un film problématique...Ils l’apprécient, mais sans tête d’affiche et avec une ambiance glauque, ça leur fait peur. Normal, pour un film d’horreur (rires). »
La plupart des films tournés en Angleterre visent avant tout le marché américain. Pas le mien.
Une frilosité d’autant plus incompréhensible quand on voit de sombres bouses américaines comme Saw III squatter en masse les écrans. Les Etats-Unis, d’ailleurs, ne font pas vraiment rêver Sean Hogan. « La plupart des films tournés en Angleterre visent avant tout le marché américain. Pas le mien. » Lie Still a toutefois été montré outre-Atlantique lors du prestigieux Fantastic Film Festival à Austin, Texas. « Tout s’est bien passé, à ceci près que ma projection était programmée en même temps que celle du dernier Mel Gibson, en totale exclusivité et en présence de l’acteur-réalisateur. Je m’attendais donc à ce que les spectateurs pour mon film soient peu nombreux et juifs !(rires). Mais on a quand même eu un public, et les réactions étaient positives. » Nantes a donc au moins un point commun avec le Texas, puisque les spectateurs présents au Katorza pour la projection de Lie Still ont majoritairement apprécié le film.
Affaire à suivre
A l’heure actuelle, Lie Still est encore en attente d’une éventuelle distribution en salle dans son pays d’origine. Etonnant, quand on pense à la récente cuvée de films de genre fort sympathiques venus d’outre-Manche : Shaun of the Dead, Creep, The Descent, etc... « Avec de l’humour, ça passe. Avec du gore, ça passe aussi. Mais Lie Still n’est ni drôle, ni trash. J’ai peut être fait le film au mauvais moment . »
Sean Hogan a tout de même des raisons de garder le moral. L’an prochain débutera le tournage de son deuxième long-métrage, en Irlande. « Il commencera comme un film noir, avant de virer en film d’horreur », prévient le jeune réalisateur, qui repart de Nantes avec une liste de distributeurs français sous le bras. Tout espoir de voir Lie Still dans nos salles obscures n’est donc pas perdu !
Wait and see...
Alexandre Hervaud
Bloc-Notes
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