
Bandit en barboteuse
Délinquant dès trois ans ? L’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) publie un rapport qui prône le dépistage des troubles du comportement dès trois ans. Une pédopsychiatre du CHU de Nantes décrypte ce rapport controversé.
Il joue des coudes pour dépasser à la cantine ? Refuse l’autorité et n’aime pas les brocolis ? Peut-être un futur délinquant aux yeux du rapport de l’INSERM. De quoi répondre à la paranoïa sécuritaire croissante. Paru en septembre 2005, il préconise un dépistage systématique des comportements difficiles chez l’enfant dès l’âge de 36 mois. Il néglige l’approche psychologique et la capacité du psychisme humain à évoluer : le risque d’un diagnostic précoce est d’étiqueter l’enfant comme un futur délinquant.
Dès sa publication, le rapport a provoqué un tollé chez les spécialistes de la petite enfance. Plus de 100 000 personnes ont déjà signé une pétition, disponible sur Internet. Une protestation unanime qui cache un malaise plus profond : l’affrontement de deux modèles psychiatriques.
La guerre des clans
« L’approche thérapeutique, c’est-à-dire la prise en compte de l’individu dans sa globalité psychique sociale et éducative, a été écartée. Ce rapport a été rédigé à partir de la littérature anglo-saxonne qui prône une approche comportementale. » affirme Nicole Garret-Gloanec, vice-présidente du syndicat psychiatrique hospitalier. Selon ces concepts, les signes parlent pour l’enfant qui peut être considéré comme déviant s’il ne répond pas à la norme établie : "Un symptôme décrit un comportement et non une maladie. Un trouble de la conduite ne s’identifie pas de façon simple, on ne peut pas appliquer, selon un symptôme commun, les mêmes conclusions pour chaque enfant". Un raccourci de taille pour Nicole Garret-Gloanec : "L’enfant peut passer par un épisode dépressif, ou avoir des troubles de l’attention à cause d’une surdité non détectée ou simplement chercher à s’approprier l’espace en courant partout, ça n’en fait pas pour autant un futur délinquant ! En France, nous sommes beaucoup plus sensibles à la dimension individuelle, nous cherchons à comprendre la cause de ce trouble. La psychiatrie n’est pas une science dure, les références théoriques sont multiples."
Le rapport de L’INSERM renvoie aux neurosciences, les troubles de la conduite seraient liés à un dysfonctionnement du cerveau. "Il en oublie la dimension sociale et psychique. Les enfants n’ont pas toujours besoin de traitements médicamenteux. L’aide socio-thérapeutique, c’est-à-dire le traitement par la relation, est bien souvent suffisant". Finalement la prescription évite de se poser des questions. "Le pédopsychiatre n’essayerait plus de comprendre l’enfant, il déterminerait juste un diagnostic à partir de signes, on voudrait retirer la fonction de psychothérapeute au médecin, nous ne sommes pas de simples experts qui prescrivent !". Cette idée du psy, qui prescrit à tout va, est finalement loin de la réalité puisque "ce sont les médecins généralistes qui prescrivent le plus d’anxiolytiques et d’anti-dépresseurs". Et les enfants sages sont justement ceux qui posent le plus question : "Je suis inquiète pour les enfants toujours dans la norme, ils ont un équilibre fragile et s’écroulent parfois à l’adolescence".
Nous les psychiatres sommes les premiers atteints, nous recueillons tous les souffrances de la société.
Et que peut-on prédire à trois ans ? Pas grand-chose, un enfant se développe pendant longtemps : "J’ai parfois des appréhensions par rapport au comportement de certains enfants mais je ne peux rien prévoir, l’influence de l’entourage comme la famille joue énormément sur leur développement".
Ce rapport cherche des réponses faciles au sentiment d’insécurité qui sévit dans le pays : "Une réponse simple n’est jamais rassurante, c’est un extrémisme de la pensée. Nous les psychiatres sommes les premiers atteints, nous recueillons tous les souffrances de la société. Nous entrons dans l’ère McDo, les sandwichs sont identiques, les mêmes dosages sont appliqués à tout le monde ".
Si le dépistage n’est à ce stade qu’une idée, il n’a pas échappé au ministre de l’intérieur, qui voyait là, dans le cadre de son plan de lutte contre la délinquance, une solution pour éradiquer le mal à la racine. Mais l’agressivité et l’impulsion sont des réactions fréquentes chez les enfants qui ne légitiment en aucun cas "un carnet de comportement" ou "un suivi quasi systématique de l’enfant". Le directeur de l’INSERM, Christian Brechot, a quant à lui promis de recevoir "l’ensemble des partenaires concernés", qui n’avaient pas été informés de la rédaction de ce rapport, pour aborder entre autres la faible part consacrée à l’approche thérapeutique dans le rapport. "Je suis convaincu de la nécessité des deux approches (...) Il faut réfléchir aux moyens de mieux prendre en compte les différents avis avant la désignation des experts". Mieux vaut tard que jamais !
Charlotte Houang
www.pasde0deconduite.ras.eu.org
Entretien accordé au journal "Le Monde", le 21 mars.
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses