
Internet bouscule l’écoute radiophonique
La révolution Internet bouleverse le paysage radiophonique. L’apparition de nouveaux outils techniques suscite une nouvelle approche de l’écoute radiophonique. Un complément au dossier du troisième numéro du magazine Fragil consacré aux radios associatives.
Des éléments de réponses apportés par Laurent Gago, doctorant à Paris III, Sorbonne Nouvelle, enseignant à l’Université de Marne la Vallée et membre du GRER (groupe de recherches et d’études sur la radio)suite à un entretien réalisé par mail.
Qu’est ce qu’une webradio ? une simple diffusion d’émissions en ligne ou un véritable webcasting ?
Le terme « webradio » est une appellation donnée aux radios dites « hors fréquences » qui diffusent seulement sur le réseau Internet. Elles peuvent prendre la forme d’une diffusion sur le mode du direct à la manière des radios FM (on parlera de média de flux) via le streaming ou bien sur le mode du téléchargement, plus proche de nous via les « podcasts » (on parlera de média de stock).
Quand et comment sont-elles apparues sur le web ?
Ces radios apparaissent dès 1995 en France (elles restent timides), mais se déploient à partir de 1999 [1] et véritablement en 2003 (avec l’essor du haut débit en France [2]) . Ce type de diffusion a été élaborée à ses débuts de manière marginale par des passionnés d’informatiques, quelles que soient les catégories de radios diffusant en ligne, webradios ou radios hertziennes. Le corpus de témoignages que j’ai recueilli montre que la genèse de ce média est en partie liée à des individus dotés de compétences techniques. Ces derniers sont souvent isolés et ont des responsabilités hétérogènes, en ce sens leur statut ne permet pas d’effectuer un classement fin et circonstancié. Ils sont en effet souvent inventeurs d’un procédé de diffusion, inventeurs de nouveaux programmes, gestionnaires et financiers ou encore diffuseurs et producteurs de leurs propres émissions. Dans ce cadre il me parait difficile de les confiner à des catégories. On peut toutefois dire que ces radios s’inspirent de l’idéologie fondatrice du support Internet : la libre circulation de contenus. Elles font suite aux premiers projets de médias électroniques indépendants apparus au cours des années 1990 en France où des passionnés d’informatique développent des sites personnels d’information.
Sont elles nombreuses ?
Comme l’indique Françoise Massit-Folléa [3], « en France, les premières webradios sont apparues en 1999 (...). Elles sont issues de la reprise de radios émettant en hertzien ou bien d’initiatives "alternatives", dans leurs contenus informatifs ou musicaux, qui ne sont pas sans rappeler l’éclosion des radios libres dans les années 80 ». Aujourd’hui, leur nombre n’a sensiblement pas varié. Quelques-unes ont, en effet, périclité par manque de moyens financiers (diora.com, noproblemo, radionaze, jokeFM.net en sont des exemples) et de nouvelles radios apparaissent pour disparaître aussi vite. Il n’est donc pas aisé de les recenser.
Qui est à l’initiative de ces webradios ?
Souvent des passionnés de musique, de radio, qui maîtrisent l’informatique.
Quels sont les contenus diffusés sur le web ?
Il existe des contenus très hétérogènes en fonction des catégories de radios (hertziennes ou web). Ils se partagent entre la diffusion musicale (dont la création sonore) et l’énonciation éditoriale (parlée : libres antennes, documentaires). « Arte-radio.com » représente une bonne illustration de cette dernière catégorie.
Ces radios sur le web connaissent-elles un réel engouement ?
Il est difficile de connaître le nombre d’internautes connectés. Peu d’études sont centrées sur l’analyse de l’audience de ces radios. Néanmoins, si l’on s’en tient aux propos des responsables diffuseurs, ces radios suscitent effectivement de réels engouements. Certaines d’entre elles dépassent le nombre d’auditeurs escompté. Telle Fréquence 3, qui d’après les responsables du site, a su s’imposer dans le paysage Internet français et international, comme la plus grande webradio musicale francophone. Avec le développement de l’Internet, l’audience s’est multipliée par plus de 50 en quatre ans. Les derniers résultats d’audience, datant de mai 2005, donnent à Fréquence 3 une moyenne de 12534 auditeurs / jour.
Quels sont les nouveaux usages engendrés par l’écoute de la radio sur Internet ?
Ces nouveaux dispositifs d’écoute bouleversent les caractéristiques de la communication radiophonique non seulement sur le plan technique, mais aussi sur le plan des usages sociaux : les notions d’espace et de temps de la médiation sont bousculées. Les contenus sont également modifiés. Enfin, plus globalement les modes d’usages de la radio sont bouleversés.
L’espace et le temps
A la différence du dispositif hertzien, l’écoute sur Internet ne peut (pour l’instant) s’élaborer que depuis un poste informatique fixe (en dehors du raccordement à la chaîne HIFI et au récent système WIFI) et en ce sens réduit l’occupation de l’écoute dans les espaces publics. En second lieu la notion « temporelle » rencontre elle aussi de nouvelles mutations. Pour les programmes à télécharger, la notion « d’instantanéité » est bouleversée. Le média n’est plus alors inscrit dans le « flux » mais au contraire dans une logique de « stock ». La relation avec le temps de l’événement et le temps de l’écoute n’est alors plus interdépendante (dans ce cadre, le « ici et maintenant » inhérent au direct n’a plus cours).
Vers de nouveaux contenus
La notion de contenu est, elle aussi, remise en question au regard des catégories de radios en ligne. Ces bouleversements ne touchent pas les radios hertziennes qui utilisent uniquement Internet comme moyen de diffusion supplémentaire. A contrario, les mutations s’articulent pour les radios qui mettent en ligne des projets sonores à la disposition des Internautes. En effet, non assujettis aux réglementations imposées par les structures institutionnelles médiatiques (CSA, annonceurs publicitaires...), les radios hors fréquences développent des formes de programmes diversifiées et thématisées (offres musicales et créations documentaires hétérogènes...). Dans ce cadre, de nouveaux genres de programmes s’enchevêtrent avec les potentialités techniques induites par le réseau Internet et bouleversent les pistes de lecture classiques du média hertzien. De nouvelles formes d’écritures et en filigrane de nouveaux genres de discours médiatiques se dessinent. Dans ce cadre, le support électronique génère d’autres processus d’énonciation.
Vers de nouveaux usages
Les radios en ligne supposent la maîtrise d’un équipement technique (une action de l’auditeur internaute vers un programme spécifique matérialisé par un lien hypertexte). Le téléchargement et la réécoute illimitée de séquences sonores entraînent en effet, des postures d’écoute différentes des médias classiques. Ce type de désynchronisation induit une forme d’acceptation d’usage implicite et en ce sens repose sur un contrat d’écoute accepté. L’écoute de la radio en ligne génère également des mutations sur le plan de l’interaction à la fois avec les locuteurs mais aussi entre les membres auditeurs. Les interfaces électroniques telles que le « forum », le « chat » redéfinissent cette relation. Plus globalement, ces dispositifs mettent en présence les deux membres de la communication (émetteur et récepteur) et supposent que de nouvelles normes soient endossées et intériorisées par ces derniers. Ces normes renvoient à des contenus diversifiés qui tiennent aux différents indicateurs discursifs (langage numérique), aux spécificités techniques (le dispositif matériel de l’échange) et à la reconnaissance de ces dispositifs par les utilisateurs (nouveau contrat d’usage).
Le développement des webradios, une mode passagère ou un nouvel usage qui va se développer ?
Il semble que l’effet de mode soit dépassé et qu’aujourd’hui la diffusion sonore via le réseau Internet connaisse un véritable écho. Comme l’indique Nicolas Chagny [4]
directeur de la publication de Radio actu, « en 1995, Internet on n’ y croyait pas du tout. En 1997, un peu plus. Dans les années 2000 on a tous dépensé beaucoup d’argent sur Internet, et parfois perdu aussi beaucoup et puis maintenant on est en 2006 et les modèles économiques ont évolué sur Internet puisqu’on a des sites Internet qui deviennent rentables ». Les responsables de sites ont donc trouvé des solutions pour faire perdurer leurs projets. Par ailleurs, le nombre de connexions est aujourd’hui significatif de cette avancée. En exemple, certains programmes de Radio France disponibles sur Internet connaissent un grand taux de connexion. Selon, Pascal Delannoy [5] , directeur de Radio France multimédia « le téléchargement via le podcast représente en moyen 20000 téléchargement par jour. Cela favorise l’écoute des émissions de contenu qui sont diffusées à une (...) heure de la journée ou les auditeurs ne peuvent pas écouter le programme. Maintenant avec le « podcast », ils peuvent écouter les émissions, ce qui ouvre des perspectives ». Enfin, la baisse des prix des connexions à haut débit et le perfectionnement des logiciels sonores, ont également amélioré les conditions d’écoute. Le phénomène est donc en voie de déploiement. Gardons nous, néanmoins de toute projection trop rapide. Ce qui me semble intéressant c’est de pointer les nombreux discours que ces radios génèrent. Dans ce cadre, ma démarche tente de montrer la nécessité qu’il y a à tenir compte de ces discours dans l’étude des objets innovants. Même si les précisions sont à court terme, tant les données sont changeantes, elles sont révélatrices de l’imaginaire technique des membres de nos sociétés.
Les webradios, un nouveau marché sur Internet ?
Comme je l’ai dit, après la période des illusions, les webradios les plus fragiles consentent à abandonner leurs projets par manque de moyens financiers. Seules les radios qui ont su trouver les ressources et un modèle économique fiables perdurent. Néanmoins, constituées en associations (pour les modèles non-marchands) elles trouvent les moyens de subvenir aux frais, dont le paiement des droits d’auteurs représente une large part. Il est difficile de savoir si elles constituent un nouveau marché dans la mesure où les annonceurs sur Internet sont encore assez frileux. Pour que ces radios perdurent elles doivent trouver des modèles économiques solides.
Existe-t-il un modèle économique pour certaines d’entre elles ?
Le modèle économique classique (hertzien) ne s’est pas adapté au support électronique. En imposant les mêmes structures que celles inhérentes au schéma de l’offre et de la demande intrinsèques à l’économie des médias traditionnels, les radios en ligne subissent un système alors même que leur essence repose sur un processus communicationnel autre. Notons que peu de ressources proviennent de la publicité. Les radios, souvent constituées en association lois 1901, doivent donc mettre en œuvre des moyens différents pour payer les frais qui leur incombent (bande passante, paiement des droits d’auteurs...). Le don, les partenariats et les échanges publicitaires représentent les premières solutions.
Comment se gère la question des droits d’auteurs sur les webradios ?
La question est difficile. L’histoire de la diffusion en ligne est marquée par la problématique des droits d’auteurs. L’instance qui régule les programmes audiovisuels français (le CSA), s’est trouvé très vite dépassé par la rapidité de créations de sites. Par ailleurs, malgré les habitudes de fonctionnement liés au format FM, la réglementation associée à la diffusion d’œuvres sonores en ligne (musicales ou éditoriales) n’a pas trouver son modèle dès ses débuts. La rapidité de déploiement des supports sur Internet a constitué un contexte propice à la déréglementation de ce système. Mais, face à des diffusions tous azimuts d’oeuvres redevables de droits et dans l’urgence de la situation, les sociétés d’auteurs n’ont pas attendu longtemps pour réagir. Les organismes de gestion de droits ont exercé alors une pression auprès des structures de diffusion pour contester le non respect des règles de paiement de droits. En élaborant des tarifs de rémunération disproportionnés et très éloignés des considérations des fondateurs, la SACEM a peut être aussi « découragé » les premiers responsables diffuseurs qui ne respectaient pas les règles de droit liées à la diffusion des œuvres audiovisuelles.
Quelles sont les positions de la SACEM ou l’ADAMI sur cette question ?
La diffusion d’œuvres musicales est soumise au respect du paiement des droits d’auteurs. Depuis la genèse des radios en ligne, la contribution pour le paiement des droits d’auteurs s’est allégée mais ne s’est toujours pas stabilisée. Les sociétés d’auteurs ont en effet adapté les tarifs des rémunérations au regard des catégories de radios en ligne, en mettant en place un système à la fois forfaitaire et proportionnel au nombre de « pages vues par mois », qu’elles soient constituées en associations à but non lucratif (avec ou sans recettes) ou bien en radios privées. Néanmoins, il reste des radios qui refusent de traiter avec ce type de sociétés et qui diffusent des séquences sonores ou éditoriales en passant par d’autres systèmes de gestion de droits (notamment les licences libres, tels Creative Commons [6] ). Ce type de fonctionnement montre que le paiement des droits en ligne est encore aujourd’hui loin d’être cristallisé. Notons toutefois que ces mesures ont contraint les responsables diffuseurs de radios en ligne à trouver des ressources pour survivre et à améliorer d’une certaine manière leurs modèles économiques.
Les webradios, sont elles une solution aux problèmes de régulations audiovisuelles avec le peu de fréquences disponibles pour émettre et la complexité des dossiers à monter ?
Oui, la démarche des concepteurs français est assez proche. La diffusion en ligne s’effectue par l’intermédiaire de passionnés d’informatique issus de mondes sociaux diversifiés qui souhaitent toujours trouver une alternative à la diffusion radiophonique hertzienne saturée. La notion de contre-culture n’est pas aussi forte chez les Français qu’aux USA avec les Hackers et le milieu de l’informatique dans les années 1970-80, mais elle résonne tout de même. Les concepteurs s’opposent à l’hégémonie médiatique et en ce sens, prolongent avec Internet cette idée de contestation. Les contenus de ces sites individuels revendiquent souvent une volonté d’expression libre de toutes contraintes éditoriales, marqués par un désaccord avec les médias traditionnels. Les intentions des concepteurs sont donc diversifiées mais ont toutes en commun leur indépendance vis à vis des structures médiatiques en place.
Quels sont les enjeux d’une diffusion sur le web pour les radios hertziennes ?
C’est la notion de valeur ajoutée qui intéresse les radios hertziennes en ligne : elles développent des services d’écoute en simultané, à la carte et des services d’édition pour être lues et écoutées dans le monde entier, en direct ou en différé. Les radios apparentent également leurs choix à des stratégies de présence, de marques, de logiques commerciales...
En conclusion :
On peut se poser la question de savoir si Internet présente une menace pour les radios FM. Je pense que cela suppose que les radios sur le réseau apportent une offre ou des services que les radios hertziennes ne fourniront pas. Les archives sonores (aujourd’hui le podcast) en sont un bon exemple. Elles constituent un lieu de mémoire et d’intérêt patrimonial. En ce sens je fais l’hypothèse qu’elles ne constituent pas un risque de concurrence pour les radios hertziennes, mais au contraire un supplément d’offre. Quand aux radios qui existent uniquement sur le net, seront-elles nombreuses dans un proche avenir ? Cela suppose qu’elles trouvent des subventions. Enfin, les radios sur Internet régleront-elles les problèmes de régulation audiovisuelle et de droits d’auteurs ? Je fais également l’hypothèse qu’elles sauront inventer des solutions adaptées à leurs maux uniquement si les instances médiatiques régulatrices travaillent de concert avec elles et tentent de mettre en commun des bases qui respectent les fondements de l’Internet c’est-à-dire la liberté d’expression et des échanges.
[1] Le site Comfm.com recensait 3647 radios sur Internet au 1er mai 2000 dont environ 80 françaises, www.comfm.com.
[2] 18% des internautes français déclarent écouter la radio via Internet, selon une étude de Médiamétrie réalisée en juillet 2003.
[3] Françoise Massit-Folléa, quelle régulation pour l’audiovisuel en ligne ? Le cas des web-radios en France, in Internet, une utopie limitée, sous la direction de Bernard Conein, Françoise Massit-Folléa et Serge Proulx, Presses Universitaires de Laval, 2005, Québec, p. 4.
[4] Pascal Delannoy, table ronde : quels plus apportent les site Internet aux radios et aux tv, 2006. Paris. Salon « le Radio ». Podcast sonore disponible en ligne sur : http://a2.g.akamai.net/7/624/2521/20060210/radiofr.download.akamai.com/2521/podcast/conffr/003_sitesinternet.mp3
[5] Pascal Delannoy, table ronde : des webradios au podcasting, 2006. Paris. Salon « le Radio ». Podcast sonore disponible en ligne sur : http://a2.g.akamai.net/7/624/2521/20060210/radiofr.download.akamai.com/2521/podcast/conffr/002_desWebRadiosAupodcasting.mp3
[6] Ces contrats facilitent la diffusion, la réutilisation et la modification d’œuvres (textes, photos, musique, vidéos, sites web...). Les contrats « Creative Commons » autorisent à l’avance le public à effectuer certaines utilisations selon les conditions exprimées par l’auteur.
Bloc-Notes
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