
Rencontre avec Jeannette Fischer, sorcière à Angers Nantes Opéra
« J’aime les personnages à fort tempérament  »
Habituée des opéras de Rossini et de Mozart, qu’elle a interprétés sur des scènes prestigieuses, Jeannette Fischer a repris le rôle de la sorcière de « Hansel et Gretel  » de Humperdinck, dans une mise en scène d’Emmanuelle Bastet à Angers Nantes Opéra, en décembre 2015. Elle a offert une vision explosive de cette figure maléfique, dans un jeu étourdissant. Elle serait exceptionnelle en Hérodias, de « Salomé  » et en Clytemnestre dans « Elektra  », deux rôles de Richard Strauss à sa démesure.
Fragil : Vous avez déjà chanté la sorcière dans Hansel et Gretel au Capitole de Toulouse en 2013. Que représente pour vous cet opéra d’Humperdinck ?
Jeannette Fischer : C’est un opéra très bien fait et que l’on commence heureusement à faire revivre en France, où il avait été un peu délaissé. Il s’agit pourtant d’une œuvre magnifique que l’on pourrait jouer aussi souvent que Carmen. Elle se caractérise par sa diversité musicale, ses élans lyriques et ses passages dramatiques. Ce n’est ni du Wagner ni du Strauss, mais du Humperdinck, avec un orchestre assez lourd. A l’origine, la sœur de l’artiste souhaitait un petit spectacle pour enfants, avec un peu de musique. Humperdinck s’est laissé prendre au jeu et a trouvé de l’intérêt à une partition dont il a fait un opéra. Certains moments semblent assez simples mais l’orchestre joue sur une grande amplitude. De plus, il y a une telle diversité que ce n’est pas facile à chanter. Une dizaine d’autres œuvres de ce compositeur seraient à découvrir.
« Hansel et Gretel » se caractérise par sa diversité musicale, ses élans lyriques et ses passages dramatiques
Fragil : Quel regard portez-vous sur la mise en scène d’Emmanuelle Bastet ?
J. F. : Emmanuelle Bastet a trouvé des choses incroyables pour le rôle que j’interprète. Au début, c’est une vieille femme gentille, qui met à l’aise les enfants, puis qui se transforme pendant sa grande scène en montrant son vrai visage. Ce n’est pas forcément une sorcière mais une femme qui part dans sa folie. Durant les deux premiers actes, les couleurs sont sobres et très poétiques, celles d’une forêt urbaine faite de lampadaires et que traversent quelques rats et des chats. La maison de la sorcière, ensuite, est remplie de couleurs qui éclatent. C’est une mise en scène pleine de charme et d’idées.
Fragil : Vous avez énormément chanté Rossini, et vous étiez notamment Berta du Barbier de Séville en 2010 à Angers Nantes Opéra, un rôle que vous interprétiez déjà en 2005 à l’Opéra National de Paris, dans la vision de la cinéaste Coline Serreau, et que vous avez aussi repris en concert en 2011 au Festival de Pesaro, d’où le compositeur est originaire. Quelles émotions cette musique vous procure-t-elle ?
J. F. : J’ai eu la chance de travailler très tôt avec de grands spécialistes de ce répertoire, les chefs Bruno Campanella et Alberto Zedda, qui m’ont beaucoup apporté en matière de style et d’interprétation. Le côté ludique me plaît dans ces œuvres. J’aime également beaucoup L’Italienne à Alger, où les thèmes sont ambivalents, avec une pointe d’opera seria et de gravité dans l’humour. Les opéras de Rossini exigent beaucoup de virtuosité et les ensembles sont très bien construits. J’ai également chanté, à Pesaro, Carlotta dans Torvaldo e Dorliska. C’est une œuvre inconnue qui n’avait pas été jouée depuis sa création, où l’on retrouve le génie du compositeur.
Fragil : Vous avez retrouvé Rossini en incarnant une désopilante Clorinda de Cenerentola, dans la mise en scène de Jérôme Savary, à Genève et au Palais Garnier notamment. Quelles traces le travail avec ce metteur en scène vous a-t-il laissées ?
J. F. : C’était un homme de théâtre extraordinaire, avec qui j’ai eu un très bon contact. Il sentait très bien les acteurs et les chanteurs, et savait les mettre en valeur. Il les regardait et proposait très vite sa vision du personnage. Il s’est rendu compte immédiatement que j’aimais danser et a utilisé ma souplesse pour le rôle.
Fragil : Vous serez Marcelline des Noces de Figaro de Mozart, au théâtre du Capitole de Toulouse en avril 2016. C’est un personnage que vous avez déjà joué avec beaucoup de succès à la Scala de Milan et au Teatro Real de Madrid. Comment le présenteriez-vous ?
J. F. : Certains metteurs en scène considèrent Marcelline comme une vieille femme caricaturale. Le spectacle signé par Marco Arturo Marelli qui va être proposé à Toulouse, et auquel j’ai déjà participé à Lausanne en 2013, nous rappelle qu’à l’origine elle n’a que 38 ans ! Il montre bien que cette femme de caractère a une histoire personnelle et a souffert dans sa vie. Elle a perdu son fils, Figaro, qu’on lui a enlevé contre sa volonté. Elle aide à la mise à l’épreuve du comte, et prend un rôle dans la mascarade qu’on lui inflige. C’est très important de chanter son air du quatrième acte, trop souvent supprimé, pour montrer l’humanité du personnage. Elle n’a pas pu se révolter auparavant mais elle le fait à présent et évolue au fil des actes.
Chanter un rôle à sa démesure
Fragil : Vous étiez l’une des filles du Rhin dans L’or du Rhin, le prologue de la tétralogie de Wagner présentée à Nantes entre 1992 et 1995, dans la mise en scène de Philippe Godefroid. Quel souvenir en gardez-vous ?
J. F. : Je me souviens d’un très bon metteur en scène, intelligent et extrêmement cultivé. Il nous avait beaucoup parlé de qui se cachait derrière cet Or du Rhin, et tout ce que nous faisions était fondé et réfléchi. C’est un spectacle qui a plu et qui nous a beaucoup impressionnés. Je garde en mémoire l’image irréelle de l’apparition d’Alberich, que jouait Nicholas Folwell, alors que nous étions toutes trois plongées dans un brouillard qui évoquait l’eau, dans nos costumes dorés.
Fragil : Quels sont les autres spectacles qui vous ont marquée ?
J. F. : J’ai eu la chance de participer à la création à Lausanne du Nez de Chostakovitch, dans la vision de Patrice Caurier et de Moshe Leiser, mais je n’étais malheureusement pas disponible pour la reprise d’Angers Nantes Opéra en 2004. J’ai également adoré chanter à Nantes La petite renarde rusée de Janacek, dans la mise en scène d’Adriano Sinivia. C’était en 2001. Durant la première répétition, il nous avait demandé d’oublier le Tchèque, et de dire notre rôle en Français, en parlant et sans pianiste. C’est important que l’on ressente les personnages dans notre langue. C’était un beau début. Je garde aussi un souvenir très fort du travail avec Laurent Pelly sur Gianni Schicchi de Puccini au Palais Garnier. Coline Serreau a été une belle découverte sur un plateau, et j’ai participé à un magnifique Cosi fan Tutte de Mozart, à Genève et Marseille, dans une proposition de Guy Joosten qui m’a énormément marquée. J’ai eu beaucoup de chance avec les metteurs en scène et les chefs d’orchestre.
Mon rêve serait d’aborder un jour Hérodias dans « Salomé » et Clytemnestre d’« Elektra »
Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
J. F. : L’enseignement a pris plus d’importance que je l’imaginais au départ ; la classe de chant, à la Haute École de Lausanne, s’est agrandie. J’ai toujours interprété des rôles de composition et mon rêve serait d’aborder un jour Hérodias dans Salomé et Clytemnestre d’Electre, sur une petite scène. J’ai une technique saine mais j’aime les personnages à fort tempérament. J’adorerais aussi chanter Madame Lidoine des Dialogues des Carmélites. Je n’accepte que deux ou trois productions par an, pour ne pas laisser mes élèves seuls trop longtemps. Je peux me permettre de faire ce que j’aime.
Fragil : Pouvez-vous citer un souvenir particulièrement intense dans votre itinéraire d’artiste ?
J. F. : J’étais enceinte de ma fille lorsque je chantais L’Italienne à Alger dans la mise en scène d’Andrei Serban au Palais Garnier. C’était en 1998. Je devais faire le grand écart dans ce spectacle. Au quatrième mois de ma grossesse, le metteur en scène était prêt à modifier ce passage, mais je suis parvenue à le faire. Les couturières de l’Opéra de Paris s’en souviennent encore, car je portais une robe à paillettes et elles me disaient qu’elles ne pourraient rien faire si je grossissais trop. Tant que j’ai pu jouer, j’ai continué, et je ressentais une double excitation, à être sur scène et enceinte. Plus tard, lors d’une autre production de cet opéra à laquelle je participais, ma fille m’a dit, alors qu’elle avait trois ans, qu’elle reconnaissait cette musique, et elle l’a fredonnée. Ça m’a fait un peu froid dans le dos, mais c’est un grand souvenir !
Propos recueillis par Christophe Gervot
Photos du spectacle : Jef Rabillon
Portraits : Droits réservés
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