En concert à Stereolx à Nantes
Gradur, ambianceur nihiliste...
Révélation "rap français" de l’année découvert par des freestyles sur Youtube, le rappeur de Roubaix Gradur était en tournée au printemps. L’homme au Bob, du nom de son premier album disque d’or, faisait halte au Stereolux de Nantes le 12 juin dernier. L’occasion de découvrir sur scène cet ancien militaire d’origine congolaise un peu dépassé par la vague de succès qui entoure les débuts d’une carrière musicale improvisée. Fragil a voulu (tenter de) comprendre le phénomène et s’est glissé au cœur d’un public pré-adolescent.
Les alentours du Stéréolux paraissent assez vides pour un concert qui affiche complet ce vendredi vers 20h30. On distingue un petit groupe d’ados patientant avant l’arrivée des copains ainsi qu’un gamin qui se faufile dans la salle accompagné par son père. Posté sur les ganivelles devant l’entrée, un trio de Vendéens tout juste majeur espère pouvoir rentrer malgré le petit écriteau indiquant qu’il n’y a plus de places à vendre. L’un d’eux, Fabien, ne s’avoue « pas grand fan » mais apprécie chez l’artiste le fait qu’il ne se « prenne pas la tête » pour justifier sa présence.
Accoord et désaccords
A côté d’eux, un animateur de l’Accoord donne les dernières consignes à une douzaine de collégiens qui trépignent d’impatience. Celui-ci avoue s’être posé des questions avec ses collègues avant de venir au sujet des paroles souvent très crues du rappeur. L’équipe éducative a finalement tranché positivement tout en organisant un feedback avec les jeunes pour « les faire parler » et leur rappeler l’importance du « second degré ».
Un animateur de l'Accoord donne les dernières consignes à une douzaine de collégiens qui trépignent d'impatience. Celui-ci avoue s'être posé des questions avec ses collègues avant de venir au sujet des paroles souvent très crues du rappeur.
Toujours dans la petite file d’attente, une bande de potes nantais, entre 20 et 30, rigolent pendant la vérification des sacs. Branchés électro, ils assurent « kiffer pour le délire » et venir au concert parce que « c’est Gradur qui a ramené la trap en France. »
Une fois rentré, direction le coin fumeur de Stereolux où les vapeurs d’herbe l’emportent haut la main face à celles de nicotine. On s’arrête sur deux cuisiniers et un étudiant en médecine qui nous disent apprécier la façon qu’a le Roubaisien de « bien ambiancer ». Accoudé face à sa pinte, un grand type en jogging air max insiste lui sur la franchise du discours antiétatique véhiculé dans les textes de Gradur. On ressent ici la proximité avec Lacrim que Noémie, 14 ans, qualifie presque sérieusement de « Dieu ».
Parmi les points de vue originaux on notera celui de ce lycéen gros auditeur de rap dit « conscient » qui alterne avec des choses plus « légères » comme Gradur. Enfin, une lycéenne venue avec ses deux copines pour la première partie condamne les paroles misogynes de l’ancien militaire.
Sheguey squad
Du côté de la scène, le groupe chargé du warm-up Poto N-A en termine et laisse place à la Sheguey squad. Pendant une bonne vingtaine de minutes, un DJ avec casquette Jordan sous le casque chauffe le public avec les sons hip-hop mainstream du moment. On se croirait presque en boîte de nuit avec basses décuplées pour le plus grand plaisir des jeunes spectateurs. Le Dj va jusqu’à caler des intermèdes avec la grosse voix de Richard Darbois, bien connu des habitués des NRJ Music Awards. Ambiance...
Gradur arrive sur scène vers 22h en entrant direct dans le vif du sujet : « Je roule un joint de weed, je repense à l’Haïtienne ». A ses côtés cinq membres de son crew déboulent sans rôle bien défini. Ils alterneront pendant toute la durée du show entre backer, agent de sécurité, assistant vidéos, modèle pour photos, bref ambianceur... Les gamins des premiers rangs sautent sur chaque début de morceau et récitent les paroles par cœur comme sur Sheguey 9. Les titres s’enchaînent sur un rythme soutenu, de Voyou à Militarizé avec une petite séance d’arrosage en prime.
Le sourire aux lèvres à gauche de la fosse, un jeune lance très justement : « Il ne respecte rien ». Et si elle était là la clé du succès gradurien ? Un nihilisme assumé et revendiqué, reflet d'une génération ?
Le sourire aux lèvres à gauche de la fosse, un jeune lance très justement : « Il ne respecte rien ». Et si elle était là la clé du succès gradurien ? Un nihilisme assumé et revendiqué, reflet d’une génération ? Révélé en grande partie grâce aux réseaux sociaux, Gradur ne manque de marquer quelques pauses pour prendre des selfies avec les bras levés du public derrière. Plusieurs fumeurs se lâchent, contraignant les hommes de la sécurité à jouer les surveillants au milieu de la fosse.
Une heure de show et ça continue avec On n’est pas tout seul, le fameux Jamais rappé en a capella pour la première version et Terrasser sur lequel la dizaine de bobs de la salle s’agite dans tous les sens.
« On s’enjaille on fout la merde et après on rentre a la maison », annonce Gradur à l’entame du dernier morceau. Il enlève le haut en même temps que démarrent les premières notes de Tractions. Le regain de cris de la partie féminine du public incite le nordiste à descendre dans la fosse où sa voix sort péniblement une phase sur trois. De retour sur scène tout en sueur, il ne manque finalement qu’une barre de tractions pour clôturer ce bouquet final. C’est l’heure des adieux et de quelques dernières vidéos pour la Sheguey squad qui s’échappe en backstages alors que le DJ termine sur un espèce de reggaeton insupportable.
Couvre-feu parental
La salle se vide alors aussi rapidement qu’elle s’était remplie deux heures plus tôt. Merci le couvre-feu parental pour les nombreux mineurs. Le public ne prend donc pas le temps de s’arrêter devant le petit stand Merchandising pourtant bien positionné.
Les réactions sont majoritairement positives avec des « Mortel », « Trop bien » ou « Énorme » qui sortent spontanément. Une mère de famille « branchée rock », petite quarantaine, se montre tout aussi satisfaite que son fils de 14 ans et un copain qui l’accompagnait. Sur le trottoir qui longe la sortie des artistes, un jeune couple - dont le garçon avait offert la place à sa copine pour son anniversaire - attend en vain le départ du minibus pour apercevoir une dernière fois leur idole.
Au final, Gradur cristallise les débats récurrents autour du rap avec les questions de responsabilité de l'artiste chère à la jeune Diam's ou d'impératif de revendication défendue par Casey.
Retour dans la salle où les machinistes s’activent à démonter le matériel pendant que l’équipe de sécurité termine son service en bavardant. On croise le programmateur qui présente un tableau plus contrasté de la soirée. Pour lui Gradur se l’est jouée « Kayne West » en sautant dans le bus capuche sur la tête dès la fin du dernier morceau. A cela s’ajoute le timing très short de l’artiste qui arrive 15 minutes avant le début du concert en zappant les balances. Sans parler de la scénographie improvisée de A à Z qui ne ressemblait pas à grand-chose. Plutôt marrant de l’extérieur, l’amateurisme conjugué au je-m’en-foutisme de l’artiste semble avoir ses limites.
Au final, Gradur cristallise les débats récurrents autour du rap avec les questions de responsabilité de l’artiste chère à la jeune Diam’s ou d’impératif de revendication défendue par Casey. Alors le rap c’est énoncer ou dénoncer ? Vaste question. Au delà de ça que faut-il penser de la jeune génération dont Gradur est un des représentants ? On a récemment découvert que certains l’enverraient bien directement dans la benne à ordures.
Jacques Le Pévédic
Pour aller plus loin :
Gradur en interview dans l’émission Clique
Gradur invité du Grand Journal
Gradur en interview chez Noisey
Bloc-Notes
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