
Festival So Film Summer Camp à Nantes (2/2)
Fils d’immigrés, ces bienfaiteurs du foot français.
Deuxième volet de notre compte rendu sur le So Film Summer Camp qui s’est tenu du 8 au 12 juillet dernier à Nantes. Pour le dernier jour du festival, les organisateurs ont eu la bonne idée d’inviter Éric Cantona, homme de cinéma qui a démarré sa carrière d’acteur autour du rectangle vert. La salle 11 du Gaumont était donc bien garnie en ce dimanche après-midi pour voir ou revoir le documentaire "Football et immigration, 100 ans d’histoire commune". Le film était suivi d’un échange entre le King et le journaliste Frédéric Taddéi.
Dans le documentaire "Football et immigration, 100 ans d’histoire commune", coréalisé par Eric Cantona et Gilles Perez, l’ancienne star de Manchester va à la rencontre plusieurs fils d’immigrés qui ont percé dans le ballon rond pour écrire les plus belles pages de l’histoire du football français. De Kopa à Tigana en passant par Boli et Fernandez, les joueurs majeurs de l’équipe de France se livrent pour évoquer à la fois la difficulté et la fierté de porter le maillot bleu en étant issu de l’immigration.
Ces succès constituent une forme de récompense après les efforts consentis par les parents de ces joueurs pour permettre à leurs enfants de vivre pleinement leur passion. Des efforts relatifs au parcours du combattant qu’a vécu l’immense majorité de ceux contraints de quitter leur terre natale avec l’espoir d’un avenir meilleur. Dans le film, les difficultés sont cependant évoquées avec retenue, sans trop de détails, comme pour ne pas remuer davantage dans une histoire douloureuse.
C’est en partie via la voix off de Cantona, prenante, que le spectateur s’imagine les privations et autres sacrifices en silence, souvent, les humiliations, parfois, le labeur quotidien, la force et la détermination, toujours. Toutes ces trajectoires singulières qui se complètent font écho à l’excellente trilogie de Yamina Benguigui Mémoires d’immigrés.
L’intégration par le football
Dans le documentaire, la douleur est atténuée voir effacée par la réussite professionnelle des footballeurs. Parmi eux, le témoignage de Michel Platini est intéressant à plus d’un titre. « On ne m’a jamais traité de rital. On était heureux, on était bien. Chez nous, en France. J’ai appris à parler italien quand j’ai commencé à jouer à la Juventus », indique celui qui garde un souvenir amusé de son interview avec Marguerite Duras. Platini enchaîne ensuite sur La Marseillaise : « Personne ne la chantait. On ne se posait même pas la question. C’est venu après, dans les années 90. »
Personne ne chantait La Marseillaise. On ne se posait même pas la question. C'est venu après, dans les années 90.
Force est de constater que ce genre de rappel salutaire fait du bien à entendre à l’heure du lobbying identitaire et des crispations communautaires. Car il est en effet devenu rare de nos jours qu’une semaine passe sans qu’un fait divers ne soit instrumentalisé à des fins politiques. Merci donc à Platoche de souligner indirectement qu’il est préférable de s’arrêter sur ce qui nous rassemble - en l’occurrence ici le football - plutôt que sur ce qui nous divise.
Éloge des éducateurs
Le football est donc une puissante machine à intégrer, au sens de produire du commun. C’est même « l’un des derniers grands vecteurs d’intégration culturelle des jeunes issus de l’immigration », rappelle le précieux philosophe Jean-Claude Michéa. La formule, tirée du titre de son petit essai Le plus beau but était une passe, a d’ailleurs été plusieurs fois reprise par Cantona lorsque des journalistes venaient le questionner sur son but préféré. Mais cette réussite est rendue possible uniquement par la passion désintéressée de milliers de bénévoles qui donnent de leur temps chaque semaine, des campagnes alsaciennes aux quartiers nord de Marseille.
Le football est l’un des derniers grands vecteurs d’intégration culturelle des jeunes issus de l’immigration.
Le documentaire, à travers les souvenirs de grands champions, rend hommage aux hommes et femmes de l’ombre qui participent à l’éclosion des futurs footballeurs professionnels. Même si ça peut paraître redondant de le rappeler, la transmission par ces éducateurs des valeurs populaires basées sur la droiture, la solidarité, le respect et le travail est ici primordiale. Qui est plus est lorsque les derniers maillons de la chaîne de service public sautent les uns après les autres. Sans parler de la place prépondérante de l’argent dans le football qui détruit à petit feu le travail mené en amont par les bénévoles pour perpétuer les valeurs originelles du ballon rond. Les intérêts contre le jeu.
Un débat sauvé par le King
Au vu de la qualité du travail d’Éric Cantona et de Gilles Pérez, le tant attendu débat entre l’ancien footballeur et Frédéric Taddéi a finalement été assez décevant. Les spectateurs ont assisté à un dialogue de sourd entre leurs deux conceptions de la justice et du mérite dans le sport de haut niveau. Pour Taddéi, le monde du sport avec son adage Que le meilleur gagne est plus « cruel » que dans la société civile car s’opère une sorte de sélection naturelle basée sur les performances. Or les nombreux qui restent en chemin ne disposent d’aucunes ressources pour rebondir, contrairement par exemple à une « entreprise en faillite qui bénéficie d’indemnités ». Cet état de fait très « objectif » ne peut donc être qualifié de « juste » pour le journaliste.
Pour Cantona au contraire, « laisser la place à des gens qui sont moins bons que d’autres, c’est ça la pire des injustices. Le problème dans notre société aujourd’hui c’est qu’on se trouve trop facilement des excuses. Se regarder en face et se dire : si j’ai pas réussi c’est parce que l’autre a pris la place parce qu’il a travaillé plus que moi. Ça c’est le vrai courage ».
La suite de l’échange prend les allures d’une partie de ping pong... Taddéi : « Le truc de se regarder dans le miroir, c’est la morale des forts en somme. » Cantona : « Les meilleurs jouent au plus haut niveau et les autres jouent à leur niveau. Je trouve ça très élégant de votre part, faisant partie des meilleurs journalistes, de défendre ceux qui le sont moins. » Taddéi : « Dans ton monde Éric, c’est faux de dire que tout le monde a sa chance. Si je suis petit gros, j’ai peu de chance d’y arriver même si je travaille beaucoup. » Cantona : « Et c’est pire au basket. Si tu fais pas deux mètres, t’as aucune chance. Ceci dit les trois plus grands footballeurs de l’histoire, Pelé, Maradona, Messi, à trois ils font trois mètres. Il y a Valbuena aussi. » Gros éclats de rires dans la salle. Canto vient de siffler la fin de la partie. Sur une victoire évidemment.
Jacques Le Pévédic
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