
Commémoration de l’abolition de l’esclavage
Angela Davis, à la croisée des chemins de l’engagement
A l’occasion du 10 mai, journée commémorative de l’abolition de l’esclavage partout en France, la ville de Nantes a invité Angela Davis à accompagner les trois jours de festivités. Fragil y était.
La foule était au rendez-vous dimanche 10 mai pour la première étape de trois jours durant lesquels Angela Davis a enchainé les rencontres. Un groupe de musiciens tout de blanc vêtus a accompagné le cortège sur la passerelle portant le nom du député qui a impulsé la fin de l’esclavage en France en 1848, Victor Schoelcher.
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Aux côtés de la maire de Nantes, Angela Davis a lancé des pétales de roses dans la Loire, triste voie de passage de centaines d’expéditions négrières. Puis le cortège s’est dirigé vers le mémorial de l’abolition de l’esclavage inauguré en 2012, foulant au passage les plaques de verre incrustées au sol portant les noms parfois paradoxaux des expéditions négrières : Le Cupidon, L’espérance... Des affichettes non officielles ont été brandies au passage du cortège pour rappeler qu’aujourd’hui encore certains êtres humains ne sont pas traités dignement et que le chemin est long jusqu’à l’égalité : « La rue n’est pas un toit », « Aucun être humain n’est illégal. » Angela Davis a pris le temps d’écouter les inconnus venus lui transmettre leurs préoccupations , chuchotements glissés à l’oreille d’une icône , espoir secret qu’elle saura transmettre les messages, voire influencer le destin. Preuve que son statut de porte parole des sans-voix est encore vivace dans tous les esprits.
les violences policières puisent leurs racines dans l’esclavage
Le temps venu de la parole, Angela Davis a exprimé son émotion face à l’accueil reçu, rappel des nombreux soutiens reçus en France pour réclamer son acquittement en 1972 et de la manifestation imposante que son emprisonnement avait suscité à Paris. Elle a rappelé que les États-Unis n’avaient pas encore réussi à établir une journée pour commémorer l’abolition de l’esclavage - citant au passage le rôle déterminant joué par Christiane Taubira pour imposer cette journée du 10 mai en France.
Elle a insisté sur l’importance d’être présente pour témoigner du fait que l’histoire a des conséquences et que nous ressentons les séquelles de l’esclavage encore aujourd’hui : les violences policières puisent leurs racines dans l’esclavage. Elle n’a pas oublié de souligner que les combats d’aujourd’hui peuvent trouver une issue favorable, car qui aurait cru, au plus fort du système esclavagiste, perçu comme « normal » alors, que l’esclavage pourrait être aboli ? Alors, elle cite le traitement inhumain de l’immigration, les violences faites aux femmes, l’homophobie et l’islamophobie.
Le lendemain, Angela Davis s’est rendu au Lieu Unique pour y donner une conférence historique, et les spectateurs présents dans une salle comble ne s’y sont pas trompés : il fallait y être.
Instaurer une journée de commémoration aux USA
Elle défend l'instauration d'une journée de commémoration de l'esclavage que son pays n'a toujours pas mis en place
Pendant deux heures, debout face à son pupitre, Madame le professeur Angela Davis qui enseigne actuellement à l’université de Santa Cruz, Californie, a captivé son audience. Elle nous a démontré pleinement qu’à l’aune de ses 71 ans, elle poursuit bel et bien son combat. Elle défend l’instauration d’une journée de commémoration de l’esclavage que son pays n’a toujours pas mis en place :
« Nous n’avons pas été capables de trouver un jour pour se remémorer, non seulement la brutalité du système, mais aussi les décennies de lutte abolitionniste. »
Ce qu’elle aimerait : une journée de commémoration de juneteenth, le 19 juin 1865, date à laquelle les esclaves du Texas ont appris qu’Abraham Lincoln les avaient rendus libres deux ans plus tôt, le 1er janvier 1863. Selon elle, l’aboltion a débouché sur la généralisation d’un nouveau système de servitude : le convict lease qui vise alors à compenser la force de travail des esclaves devenus libres dans les états du sud. Des codes noirs ont été votés pour pouvoir condamner les noirs à des travaux forcés en cas de délit mineur. Un système qui perdurera jusqu’à son aboition en 1942 par Franklin D. Roosevelt. Elle conclue donc :
« L’histoire des Etats-Unis se compose en fait de plus de 320 années d’esclavage. »
Chapitre tragique refermé il y a seulement 70 ans...
Elle s’est ensuite livrée à une analyse percutante et sans concession sur l’esclavage contemporain et ses différentes formes, aboutissant à la dénonciation du système carcéral. Et de prendre appui sur le 13ème amendement de la Constitution des États-Unis du 31 janvier 1865 qui autorise l’esclavage lorsqu’il s’agit de punir un crime :
Section I Neither slavery nor involuntary servitude, except as a punishment for crime whereof the party shall have been duly convicted, shall exist within the United States, or any place subject to their jurisdiction.
En français :
Ni esclavage ni servitude involontaire, si ce n’est en punition d’un crime dont le coupable aura été dûment condamné, n’existeront aux États-Unis ni dans aucun des lieux soumis à leur juridiction.
Section II Congress shall have power to enforce this article by appropriate legislation.
En français :
Le Congrès aura le pouvoir de donner effet au présent article par une législation appropriée.
« Le 13ème amendement a permis à un nouveau système de punition de voir le jour. L’emprisonnement ressemble à l’esclavage, dans le sens où un grand nombre de personnes de couleurs vivent dans les mêmes conditions que des esclaves, dans les prisons. Pourquoi les États-Unis ont-ils le plus grand nombre de personnes incarcérées au monde ? Parce que le capitalisme, notamment à travers les entreprises américaines, a tout simplement besoin de main d’œuvre bon marché ! Les prisonniers sont devenus très rentables. »
Fermer les prisons
La question qui se pose alors est : peut-on imaginer un monde sans prison ? Car beaucoup s’imaginent déjà un monde où les pires crimes se généraliseraient en toute impunité. L’approche d’Angela Davis est toute autre, car elle a une vision d’un monde qui« s’attaque aux racines du mal que la prison ne fait que sanctionner », et s’oppose à la prison comme forme principale de punition.
Comme elle croit à la force des mouvements créés suite aux révoltes de Fergusson contre les violences policières racistes...
Selon elle, croire que notre environnement serait plus sûr grâce au système carcéral relève d’une illusion idéologique. Le système industriel carcéral repose sur la notion de profit, alors que les domaines de l’éducation et de la santé qui devraient être prioritaires sont malmenés car ils n’engendrent pas de profits. L’abolition de ce système carcéral engendrera certes des sacrifices mais elle y croit fermement. Comme elle croit à la force des mouvements créés suite aux révoltes de Fergusson contre les violences policières racistes, mouvements engendrés par de jeunes noirs américains qui ont su se structurer pour se faire entendre, avoir de l’influence médiatique alors que personne ne les attendait.
Angela Davis souligne qu’ils ont su ainsi retrouver le sens du collectif, citant au passage le mouvement Black lives matters. D’où sa conclusion sous la forme d’une leçon d’engagement et d’optimisme invétéré comme un encouragement aux nombreux jeunes présents sans doute avides d’entendre une voix porteuse d’espoir dans une société pétrie de discours alarmistes et de défiance :
« Nous devons nous unir pour reconquérir les institutions diminuées, contre les injustices économiques, pour abolir les violences faites aux femmes, , forme de violence la plus répandue dans le monde, pour l’emploi, la santé, l’accès à la culture et à la connaissance. Les réponses ne seront pas immédiates, tout comme la déclaration de l’abolition de l’esclavage n’a pas eu d’effet immédiat sur la liberté des noirs. Nous ne récolterons peut-être pas pleinement les fruits de nos luttes d’aujourd’hui. Mais je sens que je fais partie d’un ensemble bien plus vaste, d’une vaste communauté qui si elle sait s’organiser continuera à se développer et à produire une transformation de nos sociétés pour les générations de demain. »
Nathalie Guillotte
Bloc-Notes
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