36 ans dans les choeurs de l’opéra de Nantes
Michel Eumont : « Le sentiment d’une belle continuité  »
Selon le metteur en scène Jean-François Sivadier, il n’y a pas de petit rôle à l’opéra et chacun compte sur le plateau. Le chœur est une véritable troupe qui soutient, commente et prolonge l’action, mais tout choriste est impliqué dans le jeu, raconte une histoire et s’inscrit dans la mémoire du spectateur. Parmi ces artistes, Michel Eumont a été une figure marquante du chœur de l’opéra de Nantes (devenu en 2003 Angers Nantes Opéra). Il vient de prendre sa retraite, au terme d’une carrière riche en rencontres et en émotions. Dans un entretien qu’il a accordé à Fragil, il partage son amour de la scène et raconte une histoire de « son  » théâtre à travers quelques souvenirs particulièrement forts.
Fragil : Quelles sont les qualités nécessaires à un artiste des chœurs ?
Michel Eumont : « Il faut avoir des qualités vocales, musicales et scéniques. On doit être capable de chanter une partition et de l’apprendre tout en ayant suffisamment de recul par rapport à sa « vocation » de soliste, afin de prendre conscience du travail collectif. Ce métier nécessite aussi de la patience face à la durée du travail en groupe, et à un compagnonnage obligé et pas toujours idéal. Il suppose aussi une disponibilité aux demandes, parfois contradictoires, des répétiteurs, des chefs de chœur et des chefs d’orchestre. La mise en scène, enfin, impose une souplesse et une faculté d’adaptation pour d’autres exigences. Bref, il n’y a pas que la partition. »
Fragil : Quel a été votre itinéraire ?
Michel Eumont : « Je suis arrivé au chant par l’orgue. J’étais organiste de paroisse dans ma Lorraine natale. Depuis mes premiers essais vocaux à l’entrée du petit séminaire, j’avais été catalogué inapte au chant et plutôt destiné au clavier. A la demande du clergé, je me suis malgré tout mis à chanter pour accompagner les cérémonies, depuis la tribune d’orgue. C’est alors que je me suis inscrit en classe de chant, qui a pris le pas sur l’orgue, au conservatoire de Nancy. J’étais très attiré par la scène. Les cours d’art lyrique m’ont donné la possibilité de monter sur les planches. Tout naturellement, je suis entré dans les chœurs de l’opéra de Nancy, où je suis resté trois saisons, de 1975 à 1978. Le pont s’est fait très facilement puisque Jacqueline Brumaire, ma professeur au conservatoire, était aussi chef de ce chœur. Je suis arrivé à l’opéra de Nantes en 1979. »
Fragil : Vous avez connu plusieurs directions à la tête de l’opéra de Nantes, devenu Angers Nantes Opéra. Avez-vous perçu une évolution entre chacune d’elles ?
Michel Eumont : « Lorsque je suis arrivé, la structure s’appelait Opéra de Nantes et des Pays de la Loire. J’ai été auditionné par René Terrasson juste avant qu’il ne parte pour l’opéra du Rhin. Mon premier directeur a été Jean-Louis Simon. On jouait beaucoup plus à l’époque et la saison se partageait entre l’opéra et l’opérette. Odette Lost mettait en scène le répertoire plus léger, en le rafraîchissant avec bonheur. Il y a même eu des comédies musicales comme Hello Dolly en 1981 et La mélodie du bonheur en 1982. Le travail s’appuyait beaucoup sur le corps de ballet, qui participait à la majorité des spectacles. Il y avait une grande diversité. Jean-Louis Simon à permis à Philippe Godefroid de signer ses premières mises en scène d’opéras, notamment deux œuvres de Wagner, Lohengrin en 1981 et Le vaisseau fantôme en 1986. »
« Marc Soustrot, qui était chef de l’orchestre des pays de la Loire, a pris en 1986 la direction de l’Opéra de Nantes. Une nouvelle période a commencé avec quelques relectures plus audacieuses du répertoire, notamment grâce à Jean-Claude Auvray et à sa mise en scène du Faust de Gounod transposé dans un hôpital psychiatrique ou à la vision très personnelle du Don Giovanni de Mozart par Anne Delbée, en 1987. Certains spectacles ont provoqué des scandales dans la salle, comme l’opérette La mascotte d’Edmond Audran, également revisitée par Anne Delbée. Je garde un mémorable souvenir de Lulu d’Alban Berg, dans la production spectaculaire d’Antoine Bourseiller, en 1989, où j’avais une petite intervention. Nous avons eu aussi la chance, durant cette période, de jouer dans Mireille de Gounod, avec la même équipe, à Arles, Béziers et Carcassonne, dans un travail qui rappelait la fonction du chœur antique. »
Fragil : Philippe Godefroid n’a-t-il pas aussi proposé quelques mémorables relectures ?
Il y a eu également des raretés absolues d'aujourd'hui en création française comme Kullervo du Finnois Aulis Sallinen en 1995, et Till l’espiègle du russe Nikolaï Karetnikov, en 1999
Michel Eumont : « Philippe Godefroid est arrivé en 1990 à la tête de l’opéra. Il a effectivement imprimé sa marque en tant que metteur en scène, mais aussi dans le choix de découvertes et d’œuvres qui n’avaient jamais été jouées à Nantes, comme Le pré aux clercs d’Herold en 1990, La khovantchina de Mussorgski en 1996, et même une tétralogie intégrale de Richard Wagner, ce qui n’est pas rien, entre 1992 et 1995. Il y a eu également des raretés absolues d’aujourd’hui en création française comme Kullervo du finnois Aulis Sallinen en 1995, et Till l’espiègle du russe Nikolaï Karetnikov, en 1999. On ne peut pas tout citer mais il y a eu beaucoup d’autres choses. C’était une période foisonnante. »
Fragil : C’est ensuite qu’est né Angers-Nantes Opéra ?
Michel Eumont : « Philippe Godefroid a assuré la transition entre l’opéra de Nantes et Angers-Nantes Opéra, en dirigeant la structure pendant une année durant laquelle le théâtre Graslin était fermé pour travaux . Angers-Nantes Opéra a été créé pour rassembler les forces économiques de deux villes, deux départements, d’une région et de l’État. L’art lyrique est devenu plus cher au fil des années, il était important de trouver un moyen pour le faire perdurer. Jean-Paul Davois dirige la structure depuis 2003 et nous a permis de découvrir de nouveaux regards de metteurs en scène sur des œuvres, à travers des propositions originales de Jean François Sivadier, d’Olivier Py, de Mariame Clément, d’Emmanuelle Bastet et, bien sûr, de Patrice Caurier et Moshe Leiser à qui l’on doit de mémorables spectacles comme Le nez de Chostakovitch en 2004, La flûte enchantée en 2006 ou L’affaire Makropoulos de Janacek, entre autres... J’ai connu ces directions successives sans véritables contradictions mais avec le sentiment d’une belle continuité. Nous avons eu à chaque fois la joie de la découverte et l’immense chance d’y participer. »
Fragil : Vous avez aussi été soliste notamment dans Werther mis en scène par Pierre Constant en 1988, et Otello, dans la vision de Katja Drewanz en 2001. Vous avez aussi joué le rôle titre des Travaux d’Hercule de Claude Terrasse en 1999, dans un spectacle d’Eric Chevalier. Quelles traces vous ont laissé ces rôles ?
Michel Eumont : C’est toujours intéressant de se sentir « responsabilisé » dans certains rôles qu’on nous confie, avec un surcroît de joie et d’angoisse en même temps. Le rôle titre dans « Les travaux d’Hercule » a été une aventure extraordinaire, où tous les personnages étaient joués par des artistes du chœur.
Fragil : Vous avez chanté dans plusieurs langues et abordé les répertoires les plus variés, du classique au contemporain. Comment s’adapte-t-on à une telle diversité ?
Michel Eumont : « Certaines œuvres sont effectivement très difficiles, musicalement comme vocalement. Nous essayons d’y remédier avec nos chefs de chant, attentifs et dévoués, sous la houlette du chef de chœur. Parfois s’y ajoute la difficulté d’une langue inconnue que l’on travaille phonétiquement à l’aide de spécialistes qui vous aident pour la prononciation. En règle générale, le résultat final est assez satisfaisant, même s’il reste toujours une petite zone d’incertitude. »
Fragil : Quels sont les artistes et les spectacles que vous gardez particulièrement en mémoire ?
Michel Eumont : « Il y en a beaucoup et il est difficile de faire un choix, car tout m’intéresse. On a eu le plaisir de chanter avec Donald McIntyre, le Wotan mythique de la Tétralogie de Patrice Chéreau, dans un Parsifal impressionnant réglé par Philippe Godefroid en 1996. Dans un style très différent, j’ai eu beaucoup d’admiration pour les prouesses vocales d’Alexandre Kravets dans Le nez. Il m’est impossible de citer tous les chefs et les artistes qui ont su m’émouvoir. Ma mémoire risquerait de me trahir. Parmi les grands souvenirs, je ne peux pas oublier certaines représentations aux Chorégies d’Orange, auxquelles nous avons eu la chance de participer plusieurs fois, dans un lieu magique, et particulièrement Le vaisseau fantôme en 2013. »
Fragil : Qu’avez-vous ressenti lors de votre dernière représentation de Barbe Bleue d’Offenbach en janvier 2015, qui marquait votre départ en retraite ?
quand toute la troupe m'a propulsé à l'avant scène, les bras garnis d'un bouquet de fleurs, et sous les applaudissements des camarades et du public, sans oublier mon épouse...
Michel Eumont : « La dernière représentation du spectacle a eu lieu au Mans le 24 janvier 2015 mais l’émotion a été bien plus grande pour la dernière sur les planches de mon théâtre Graslin le 19 décembre, quand toute la troupe m’a propulsé à l’avant scène, les bras garnis d’un bouquet de fleurs, et sous les applaudissements des camarades et du public, sans oublier mon épouse, également artiste des chœurs, qui était derrière moi sur le plateau. Vraiment une grande émotion... »
Fragil : Quels sont vos projets et allez-vous refaire de la scène ?
Michel Eumont : « Maintenant, je peux me consacrer à mes activités d’organiste. Je renoue avec mes origines. Quand au chant, je pense que ce n’est pas terminé puisque j’ai déjà été sollicité pour participer en octobre à saint-Hilaire-de-Chaléons à la création d’un opéra du compositeur nantais Paul Ladmirault, élève de Gabriel Fauré, qui n’a encore jamais été joué. Il s’agit de Merlin, où l’on reconnaît des mélodies celtiques. J’aurai également le bonheur de retourner aux Chorégies d’Orange, cette fois en tant que figurant, pour Carmen en juillet. »
Propos recueillis par Christophe Gervot
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses