
Radio
Daniel Mermet , là -bas à Nantes...
Mardi 3 mars, Pascal Massiot, rédacteur en chef de Jet FM, invitait Daniel Mermet, ex-présentateur charismatique de l’émission de radio Là -bas si j’y suis. La rencontre était co-organisée par ATTAC, Fragil et l’ObsLab. Compte-rendu.
C’est à un sacré bonhomme que nous aurions affaire ce soir-là, on le savait d’emblée. Son arrivée dans la salle, sous les applaudissements du public, nous le prouvera. Une icône. Une rock star. Lui se marre à regarder les effets que provoque son apparition devant l’assemblée. La moyenne d’âge relativement élevée nous fait prendre la mesure de la longévité du personnage à l’antenne. Cela faisait 25 ans que Daniel Mermet et son équipe étaient au rendez-vous, du lundi au jeudi. 25 ans d’une parole débridée sur la radio de service public. 25 ans jusqu’à ce 26 juin 2014, date à laquelle la direction de France Inter décide de mettre fin à Là-bas si j’y suis.
Quand Mermet prend le micro et s’adresse au public de sa voix chaude, nous revient aussitôt à l’esprit ce qui a fait de son émission un rendez-vous mythique : le bip du répondeur, les coups de gueule des auditeurs, leur gouaille souvent, puis cette envolée de la pétarade d’une Harley suivie de celle du saxo de Cannonball Adderley, et l’incontournable « Salut, c’est Daniel Mermet, Là-bas si j’y suis... »
Sur un siège éjectable
Qu’est-ce qui fait qu’une référence comme Daniel Mermet peut se voir licencier à la fin d’une saison, alors que son émission drainait plus de 500 000 auditeurs par jour ? Et bien, selon lui, avant tout des calculs de gestionnaires, au détriment de la qualité des gens de radio. De plus en plus, la direction de Radio France raisonne de façon commerciale, au lieu de n’avoir pour pression à combattre que celle des politiques. On ressent tout de même l’estime qu’a Mermet pour la Maison de la radio, qui l’a porté toutes ces années : « une maison forte et formidable, issue du Conseil National de la Résistance. »
on a si souvent raconté l'histoire de gens virés que ça devait nous arriver aussi. Mais ça fait drôle. C'était brutal, peu civilisé
Il décrit une institution dont l’esprit originel se doit d’être conservé, défendu dans tous les cas. Une institution portée par des gens remarquables, qu’ils soient techniciens ou journalistes, bénéficiant de moyens techniques exceptionnels, mais qui subit des façons de diriger moins louables. Il a même une expression pour décrire ses directeurs successifs ayant plus la fibre gestionnaire qu’humaine : « ce sont des médiocres dans une vallée fertile. »
Cela dit Mermet n’a pas de ressentiment par rapport à son licenciement. Il comprend. De toute façon, l’équipe s’y attendait, s’y préparait même : « on a si souvent raconté l’histoire de gens virés que ça devait nous arriver aussi. Mais ça fait drôle. C’était brutal, peu civilisé. »
Le micro voyageur
Là-bas s’y j’y suis avait à l’origine été vendue comme une émission de voyages. Et c’est bien ce que Mermet voulait en faire, une émission baladeuse, qui irait écouter comment les gens vivent de par le monde. Le sort en fut jeté dès la première émission, qui emmena l’équipe à Berlin. On était en novembre 1989, et il n’y avait plus qu’à tendre son micro pour récolter des fragments de l’Histoire. Mermet admet qu’ils n’étaient pas bons reporters, ni reporters tout court d’ailleurs, mais de bons techniciens, maîtrisant le langage radio. « Là-bas » était né, avec ce ton particulier mêlant écriture et paroles sur le vif.
À l’instar de son animateur, l’émission sera toujours empreinte de politique, au sens d’interpellation du pouvoir en place. C’est ainsi que des collaborations naîtront, notamment avec Le Monde Diplomatique, qui mèneront à la création d’ATTAC en 1997, à laquelle Mermet participera.
Le Forum Social Mondial de Porto Allegre sera la suite logique de la naissance d’ATTAC. De journalistes observateurs, humanitaires, Mermet et sa bande deviendront « alter-journalistes ». C’est dire si leur implication altermondialiste transparaît depuis, à l’antenne. Mermet se décrit sans retenue comme « ethniquement rouge », c’est-à-dire issu d’une culture de la gauche radicale mêlée à l’église ouvrière. Il avoue sans fard que c’est ce qui constitue sa grille de lecture, et même -il le dit- ses œillères. Il n’aura jamais occulté sa couleur politique, sans toutefois la mettre en avant. Mais au tournant du 11 septembre 2001, un changement s’est opéré, l’émission est devenue plus orientée, et ses cibles plus précises.
Mermet a toujours joué au jeu du chat et de la souris avec la direction de Radio France
De fait, Mermet a toujours joué au jeu du chat et de la souris avec la direction de Radio France, et ce militantisme assumé n’y est sans doute pas pour rien. En 2006, il se verra attribuer le créneau de 15h, alors qu’il touchait plus de 500 000 auditeurs sur son créneau de 17h. Une sacrée claque pour une des meilleures audiences de France Inter, mais qui ne découragera pas ses auditeurs. Car c’est ce qui fait la force de l’émission, sa proximité avec le public, que Mermet dit essentielle, voire vitale.
L’auditeur écouté
Avec ce répondeur qui braille au milieu du bureau, au moins on sait pour qui on travaille
On pense bien sûr au fameux répondeur, ces voix qui interpellent directement Daniel, comme un vieux copain. Ce répondeur qu’il avoue être utile pour ne pas perdre le sens des réalités : « Souvent avec ce boulot on oublie pour qui on travaille. On est pris dans des histoires de financement, de production, de relations avec la direction, on est loin des gens. Ça n’a de sens que si les auditeurs travaillent, se manifestent. Avec ce répondeur qui braille au milieu du bureau, au moins on sait pour qui on travaille. » Ceci dit, et il le déplore, ce sont toujours les mêmes qu’on y entend, jamais un intellectuel, un artiste (re)connu ne s’en sont saisis.
Ce lien avec les auditeurs, on le retrouve dans quelque chose d’unique pour une émission, la création de communautés. Partout en France se sont créés des repaires d’AMG (pour Auditeurs Modestes et Géniaux), lieux d’échanges, de débats, plus ou moins liés aux thèmes soulevés par l’émission. Le ton de Daniel Mermet, son écriture, entretiennent une certaine forme de proximité avec l’auditeur. Son credo, mettre de la poésie dans les luttes politiques. Lui qui se revendique formé de culture à la fois populaire et savante tentera de distiller ce mélange à l’antenne, titubant parfois de l’une à l’autre. Et parfois l’alchimie opère. Savant et populaire, poésie et politique, les accords deviennent parfaits et l’équipe sait qu’elle a touché sa cible. Un auditeur présent dans la salle nous raconte avec émotion cette émission, dans laquelle Mermet fait part de ce qu’il a vu étant jeune, le 17 octobre 1961, sur le pont St-Michel à Paris. On y manifestait contre la guerre en Algérie, on y entendait « le bruit des matraques sur les crânes ». L’exemple type d’une émission qui réussit à communiquer autant d’émotion que de révolte, et symbolise l’engagement tout entier de Mermet. Passés sous silence et finalement occultés, ces événements ne surgiront à nouveau qu’au début des années 90. Voilà qui permet d’illustrer, témoignage d’auditeur à l’appui, le rôle du journaliste, ce qu’il a été et qu’il ce devrait rester. Son boulot est d’interroger le pouvoir, sa légitimité. Son boulot est de rendre compte de ce que font les dirigeants que nous élisons. Et de citer en exemple, en référence, le travail d’Upton Sinclair, qui au début du XXe siècle dénonça les conditions de travail dans les abattoirs de Chicago.
Son boulot est d'interroger le pouvoir, sa légitimité. Son boulot est de rendre compte de ce que font les dirigeants que nous élisons
Là-bas si j’y suis s’inscrit dans cette veine des muckrakers [1]. C’est l’occasion de dénoncer la perte de sens du journalisme d’aujourd’hui, en opposant informer et mettre au courant. Les chaînes d’info en continu mettent au courant quand des émissions réfléchies informent. C’est ainsi que Mermet dénonce la paresse des journalistes actuels face au devoir d’informer. Ce qu’il appelle « la dictature de l’insignifiant », qu’il résume par la phrase « Mais pourquoi tu t’emmerdes à faire ça ? », et par la formule non moins poétique de « PCPE : Pas de c…, pas d’embrouilles » (je vous laisse imaginer la rime).
Quand on parle à Daniel Mermet de « journaliste engagé », il répondra « journaliste tout court », pointant là l'essence même du métier
Cet état du journalisme qu’il met en lumière est symptomatique d’un appauvrissement de la presse en général, tiré par le bas par une précarisation du métier, et qui entraîne une docilité des journalistes face aux contraintes économiques. La responsabilité est partagée par les auditeurs/lecteurs, car si informer est aussi produire des efforts, le fait de s’informer n’est pas non plus de tout repos. Autrement dit, si informer fatigue, s’informer fatigue aussi. On peut donc souhaiter que l’info bien faite amène à la réflexion, et que la réflexion mène à l’action. Alors, quand on parle à Daniel Mermet de « journaliste engagé », il répondra « journaliste tout court », pointant là l’essence même du métier.
Et maintenant ?
C’est bien connu, la nouveauté vient par le web. C’est bien le web qui a sauvé Là-bas si j’y suis, après la chute de juin 2014. Mermet en rit : il aurait pu s’arrêter, prendre sa retraite et aller promener son chien au square, ou même reprendre la peinture. Mais il y avait quelque chose à poursuivre, et la violence de l’éjection de France Inter a provoqué l’idée de la poursuite sur la toile.
C’est ainsi qu’est né Là-bas Hebdo, le 21 janvier 2015, date symbolique, jour de la tête de veau, jour anniversaire de la décapitation de Louis XVI. Alors, il y avait tout à recommencer. Plus de matériel, plus de studio, plus d’équipe technique, mais encore des milliers d’auditeurs pas prêts de s’arrêter en chemin. Sur un modèle similaire à « Mediapart » ou « Arrêt sur Images », un système d’abonnements est mis en place, permettant l’achat de matériel et la paye des journalistes.
C’est en effet un système qui fait ses preuves, et le nombre d’abonnés le montre bien : les quelques 18 à 19 000 contributeurs ont permis de récolter près d’un million d’euros. L’abonnement est à montant libre, la moyenne des dons se situant aux alentours de 60€ par personne. Là-bas Hebdo revendique son indépendance par rapport aux fondations ou aux subventions, et sa dépendance aux auditeurs. L’émission fonctionne donc, les auditeurs sont en nombre au rendez-vous chaque mercredi, même si le plaisir de la radio se retrouve gâché par l’intermédiaire de l’écran.
Oui, « Là-bas » a changé, mais c’était la condition de sa survie. Le site offre finalement de nouvelles possibilités autant qu’il en supprime. Et les idées ne manquent pas.
Un 7-9 neuf
Ce n'est même plus la pensée unique, ce n'est plus de pensée du tout
Le nouveau cheval de bataille de la bande, c’est de s’opposer aux matinales des grandes radios. Mermet décrit ainsi une grosse machine, qui abreuve les auditeurs des mêmes chiffres, des mêmes dépêches, des mêmes analyses, et ce quelle que soit la chaîne. Le côté technique, chronométré, de l’exercice prend le pas sur la réflexion, c’est l’AFP qui réfléchit pour les matinaliers. C’est pourtant à ce moment même que se fabrique l’opinion, car c’est ce qui nous nourrit pour la journée, et pour lui c’est là que se joue le théâtre de l’idéologie économique, de plus en plus détachée du plan politique. Ses acteurs sont des « experts de l’expertise » qui profèrent des messes basses religieuses, presque ésotériques, comme les leçons de morale d’autrefois, et pour qui tout est évident. Ce n’est même plus la pensée unique, ce n’est plus de pensée du tout.
Ce tableau noir que dresse Mermet, c’est ce qui caractérise ce à quoi il s’est toujours opposé avec ATTAC. D’où l’idée fixe de contrer les 7-9, en proposant quelque chose de nouveau. La volonté d’y arriver est forte, mais là encore, les auditeurs sont appelés à contribution.
Ce qu’il y a à regagner avec ce 7-9 c’est le terrain aujourd’hui grignoté par le FN, qui a récupéré la critique d’une pensée politique uniformisée, celle-là même que dénonçait ATTAC et Mermet. Alors aujourd’hui, l’espoir qui illumine l’équipe de « Là-bas », c’est de proposer des infos fouillées, développées, faites maison et servies chaque matin aux auditeurs. Restera à trouver le moyen de le leur amener aux oreilles, allumer son poste en prenant son café le matin n’étant pas la même chose qu’écouter une émission sur son ordinateur.
Pour persister, « Là-bas » aura bien besoin de l’engagement des auditeurs à ses côtés. Le dernier conseil de Daniel Mermet à l’assemblée présente ce soir-là à la salle Bretagne sonne alors comme un appel : « Vous êtes précieux, ne gâchez pas votre énergie, mais engagez-vous ! »
Maxime Hardy
Retrouvez ici l’intégralité de la soirée enregistrée par nos confrères de Jet FM
Aller plus loin :
www.la-bas.org
C. Castoriadis : « La montée de l’insignifiance, 2007, Points »
N. Chomsky, oeuvres
Photo : CC http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Daniel_Mermet.jpg
[1] « éboueurs », nom donné par Roosevelt aux écrivains et journalistes engagés dénonçant les inégalités de l’Amérique du début du XXème siècle
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