Nathalie Manfrino dans "Cosi fan tutte" Ã Nice
Un respect absolu pour la musique de Mozart
Ardente défenseure de l’opéra français, la soprano franco italienne Nathalie Manfrino a notamment incarné le rôle-titre de "Mireille" de Charles Gounod aux chorégies d’Orange en 2010. Cette artiste d’une sensibilité exceptionnelle est aussi une brà »lante Traviata, et a joué de grandes figures littéraires à l’opéra. Passionnée par la musique de Mozart, elle va retrouver au cours de cette saison, particulièrement éblouissante, de l’opéra de Nice, le rôle de Fiordiligi de "Cosi fan tutte", du 15 au 21 février 2015. Elle nous a accordé un entretien.
Fragil : Vous reprenez à Nice le rôle de Fiordiligi de Cosi fan tutte. Comment présenteriez-vous ce personnage ?
Nathalie Manfrino : Ce que j’adore dans Cosi, c’est que l’histoire est terriblement actuelle. On y parle de couples et de jeunes et on réalise à quel point on ne doit pas avoir de certitudes. Ces couples se mélangent, et la fin est ouverte, comme dans la vie. Doit-on revenir avec son premier amoureux ? Qu’a-t-on découvert durant l’action ? L’histoire est plus compliquée qu’elle n’y parait, et on peut s’y perdre en l’interprétant. Heureusement, la mise en scène aide énormément. Le sujet me fait penser à celui d’un film de Mike Nichols, Closer, entre adultes consentants, avec Julia Roberts et Nathalie Portman. On trouve cette même histoire, qui se répète tout le temps, dans un film d’aujourd’hui, ce qui rappelle combien l’opéra est un genre vivant et qui ne peut mourir. Fiordiligi est, de tous les protagonistes, la plus vraie. Elle tente de tenir bon jusqu’au bout, et elle garde ses valeurs, malgré son entourage. Je m’identifie à ce côté du personnage, qui croit en l’amour et en la fidélité. Elle flanche cependant à la fin. Ses certitudes ont vacillé : si l’amour est autre chose, pourquoi ne pas aller vers ça... C’est un rôle très intéressant à jouer et à chanter, avec deux grands airs de bravoure et des vocalises, qui représentent un grand défi pour l’interprète, car Mozart demande de tout savoir faire !
Elle tente de tenir bon jusqu’au bout, et elle garde ses valeurs, malgré son entourage
Fragil : Que représente justement pour vous, d’une manière plus générale, la musique de Mozart ?
Nathalie Manfrino : C’est quelque chose de l’ordre du sacré. Mon respect et mon admiration étaient tels que j’ai eu du mal à m’y confronter. Je n’osais pas. Cette musique est une énorme responsabilité pour un interprète, et j’ai beaucoup attendu avant de chanter mon premier Mozart. J’avais abordé beaucoup d’opéras français jusqu’alors, en travaillant la diction, à laquelle j’ai apporté une rondeur italienne, due à mes origines. C’est le répertoire que j’ai le plus défendu, et j’ai enregistré un disque consacré à Massenet. J’ai eu peur de ne pas être aussi légitime chez Mozart. Sa musique est pourtant d’une profonde intelligence, et il savait, en composant, ce qu’il pouvait demander à ses solistes, en ménageant des pauses aux bons moments. Il connaissait parfaitement ses chanteurs et s’est montré un génie dans l’art de la prosodie et des enchaînements. On ne peut pas se faire mal en interprétant du Mozart. C’est un baume pour la voix. Mon premier rôle dans un de ses opéras a justement été Fiordiligi, en 2007, déjà à Nice. Retrouver ce rôle ici est une manière de boucler la boucle.
Fragil : Vous avez fait vos débuts scéniques en 2001 dans le rôle de Mélisande à l’opéra de Marseille. Quelles traces vous a laissées cette prise de rôle ?
Nathalie Manfrino : Ce rôle m’a marquée à vie. C’est un personnage qui évolue dans une histoire et un monde tellement particuliers. Je garde un souvenir très fort de cette production à Marseille. C’est la première fois que je me confrontais au métier, dans un rôle sur une scène d’opéra. Je ne m’attendais pas à une telle difficulté. J’ai réalisé à quel point on doit être précis avec les collègues, la mise en scène, le chef d’orchestre et les régisseurs. Cela fait beaucoup d’informations lorsque l’on débute. De plus, la musique de Pelléas et Mélisande est difficile, et ce spectacle a été pour moi un baptême du feu. J’avais pourtant fait le cours Florent et j’adorais la scène, mais l’opéra implique une exigence encore plus grande que le théâtre. On est dans le domaine de l’excellence, et on ne peut pas faire semblant avec le chant et les émotions, car c’est un art direct et instantané.
Fragil : Vous avez incarné plusieurs fois Violetta dans La Traviata, et notamment à l’opéra royal de Versailles, où vous l’avez jouée pour la première fois. Quelles émotions suscite en vous ce personnage mythique ?
Nathalie Manfrino : Mozart, Verdi et Puccini sont pour moi trois « monstres sacrés », qui créent une pression énorme chez ceux qui les abordent. Violetta est le rôle le plus difficile que j’ai interprété. Traviata est un grand drame et une grande histoire d’amour, d’après le roman d’Alexandre Dumas. Je me suis nourrie aussi de l’histoire vraie de Marie Duplessis. Entre le drame réel et le mythe, les choses se mélangent. J’ai attendu longtemps avant d’incarner ce personnage. On me l’avait beaucoup proposé, mais je ne l’ai accepté qu’en 2012. Je ne voulais pas le chanter trop jeune, cela m’aurait semblé une imposture, car il faut avoir vécu et souffert pour être vraie. Vocalement, le rôle est pour moi, mais il est très chargé au niveau de l’émotion. Il y a aussi tout l’héritage de celles qui nous ont précédées. C’est énorme de jouer un personnage après Maria Callas. J’adore tout d’elle ! Violetta implique une sincérité totale lors de scènes particulièrement intenses, comme ces adieux au passé, ce renoncement, dans l’ombre de la maladie, et cette mort sur scène, tellement bien écrite. On y laisse plus de plumes qu’avec Mozart. J’ai été très touchée de chanter ce rôle au théâtre Verdi de Padoue. J’ai pensé à mon père disparu, qui aurait sûrement été fier de me voir dans Traviata, en Italie, à l’occasion de l’année Verdi.
Fragil : Vous avez abordé d’autres opéras inspirés d’œuvres littéraires, et notamment Clélia Conti de La chartreuse de Parme d’Henri Sauguet à Marseille, et Roxane dans Cyrano de Bergerac de Franco Alfano à Montpellier. Quel effet cela fait-il de jouer de telles figures ?
Nathalie Manfrino : C’est extraordinaire d’interpréter Clélia Conti, une grande héroïne de la littérature française. J’avais adoré lire Le rouge et le noir, et c’est plutôt rare de chanter un roman. J’aime beaucoup cette histoire d’amour impossible entre Clélia et Fabrice, qui devient prêtre. C’est très romantique. La deuxième partie de l’œuvre d’Henri Sauguet, plus tragique et plus dramatique, me touche davantage. Les deux dernières scènes sont très belles. L’ouvrage s’achève sur une contrainte scénique très forte, par un duo d’amour où l’on ne peut se regarder. L’opéra d’Alfano, pour lequel j’ai une préférence, utilise un même procédé lors de la scène du balcon, où l’on ne se voit pas puisqu’elle se joue sur deux niveaux. Cyrano est l’un des plus beaux textes que j’ai chantés, d’une intensité comparable à La dame aux camélias. De plus, l’ouvrage sortait de l’oubli, et n’avait pas été représenté depuis 1935. Il n’y avait donc pour nous aucune référence et c’était une véritable re-création. Musicalement, c’est très beau, et l’on reconnaît les influences de Massenet, de Debussy, et du grand opéra italien. La scène du balcon et le finale sont deux moments d’anthologie, et j’ai une affection particulière pour cette œuvre que j’ai aussi interprétée à Paris et à Monte-Carlo. J’aimerais que ceux qui ne la connaissent pas aient envie de la découvrir.
Fragil : En 2013, vous avez participé à une rareté à l’Opéra comique, en interprétant la princesse Saamcheddine dans Mârouf, savetier du Caire de Henri Rabaud, dans une mise en scène de Jérôme Deschamps. Quel souvenir gardez-vous de ce spectacle ?
L'Opéra comique est un écrin avec une proximité avec le public qui change tout
Nathalie Manfrino : C’était très agréable de jouer un opéra un peu léger, un conte des mille et une nuits, qui fait du bien. Les spectateurs ont eu la surprise de se laisser prendre par cette œuvre joyeuse, que nous nous sommes beaucoup amusés à faire. Il y avait une très bonne ambiance sur le plateau. Les réactions du public ont été très positives, et c’est un spectacle qui a plu aussi aux enfants. Mes neveux et nièces l’ont vu. Ils l’ont adoré et m’en parlent encore aujourd’hui. De plus, l’Opéra comique est un écrin avec une proximité avec le public qui change tout. On est au plus près des réactions et l’émotion est palpable et différente. C’est comme à Nice, où j’ai fait plusieurs prises de rôles et où j’adorerais chanter Juliette ou Thaïs. Ces maisons là, pour lesquelles j’ai beaucoup d’affection, sont faites pour ce répertoire.
Fragil : Quels autres rôles vous sont particulièrement précieux ?
Nathalie Manfrino : Puccini a été un véritable coup de foudre. La bohème est le premier disque d’opéra que j’ai découvert, et Tosca le second. J’aime chanter Mimi. J’adore aussi Gilda de Rigoletto, un personnage complexe sur le plan dramatique. J’ai une tendresse particulière pour l’œuvre de Massenet, et notamment Manon. Je viens d’incarner Thaïs en Allemagne. Massenet a beaucoup composé pour la région de Nice, et en particulier pour l’opéra de Monte-Carlo. D’autres figures de l’opéra français me touchent beaucoup, et notamment Marguerite de Faust et Juliette dans Roméo et Juliette.
Fragil : Quelles rencontres vous ont marquée dans votre itinéraire artistique ?
Nathalie Manfrino : C’est difficile, il y a eu tellement de belles rencontres... Celle qui a été la plus déterminante pour ma carrière a cependant été ma mère. Elle a su croire en moi, et m’encourager, dès le premier jour où j’ai sorti un son. C’est extraordinaire qu’elle ait eu une telle intelligence et une telle ouverture d’esprit. Elle m’a toujours soutenue et je lui dois tout. Ces encouragements sont d’autant plus précieux que je n’ai pas de musiciens dans ma famille. Je ne l’oublierai jamais.
Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent particulièrement à cœur, et y a -t-il des œuvres que vous rêveriez d’aborder ?
Nathalie Manfrino : C’est un peu compliqué de parler de certains projets. On est superstitieux lorsque l’on est chanteur d’opéra. On signe des contrats de plus en plus tard, et c’est parfois incertain. J’ai toutefois de belles perspectives, et j’espère chanter longtemps. Dans un avenir proche, je vais reprendre Mireille à Avignon, avant le Cosi de Nice, et faire une tournée de concerts sur des thèmes de l’opéra français, en France et à l’étranger. Dans quelques années, j’aimerais interpréter de grands opéras de Puccini, Tosca, Madame Butterfly ou La rondine . J’aime tellement ces ouvrages ! J’adorerais aussi aborder un jour Desdemone, dans l’ Otello de Verdi, d’après Shakespeare. Pour un grand livret d’opéra et un grand compositeur, je signe tout de suite.
Fragil : Que serait pour vous une représentation d’opéra idéale ?
J’avais adoré lire Le rouge et le noir, et c’est plutôt rare de chanter un roman
Nathalie Manfrino : C’est un ouvrage que j’affectionne et un rôle difficile à chanter et terrible au niveau de l’émotion, que j’aurais réussi à sublimer. C’est aussi l’état de grâce de toute une équipe sur un plateau, et d’un public.J’aimerais parfois retourner en arrière, à l’époque où l’opéra était l’art suprême, quand les spectateurs n’étaient pas parasités par tous les médias d’aujourd’hui. L’écoute devait être incroyable. J’aurais adoré chanter avec Caruso à la grande époque !
Fragil : Pourriez-vous citer un souvenir particulièrement marquant sur une scène d’opéra ?
Nathalie Manfrino : Je suis très émue par la mort sur scène. Quand on est dedans, on a du mal à se lever à la fin. La mort de Violetta, ou celle de Mimi, sont des moments qui me marquent. Lorsque j’ai chanté La bohème en début de saison à Bordeaux, j’étais dans un état émotionnel si fort que j’étais en larmes en saluant le public. Ma prise de rôle dans Traviata à l’opéra royal de Versailles a aussi été très intense. Il y avait, là aussi, une grande proximité avec les spectateurs. L’ovation finale, avec ce mouvement d’un public qui se lève, m’a portée. Il faut ensuite revenir à la réalité, mais on y parvient...
Propos recueillis par Christophe Gervot
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