
Nicole Croisille dans «  Cabaret  » au festival de Saint-Céré
La comédie musicale, un rêve d’adolescence…
Nicole Croisille a failli être chanteuse d’opéra, elle a été l’interprète de nombreuses chansons à succès, tout en multipliant les disciplines : la danse, la pantomime avec Marcel Marceau, le cinéma sous la direction de Claude Lelouch et le théâtre. Mais la passion de sa vie reste la comédie musicale. On a pu la voir cet été dans "Cabaret" au festival de Saint-Céré, où nous l’avons rencontrée.
Fragil : Vous êtes Frau Schneider dans Cabaret , mis en scène par Olivier Desbordes au festival de Saint-Céré 2014. Comment présenteriez-vous ce personnage et cette œuvre ?
Nicole Croisille : C’est une version très originale par rapport à ce que je connaissais de cette pièce, notamment à travers le film de Bob Fosse. Peu de comédies musicales traitent d’un sujet aussi violent, celui de la montée du nazisme ici, dans le Berlin des années 30. Olivier Desbordes , avec qui je travaille pour la première fois, a voulu mettre en avant des gens simples, sans argent, qui ont besoin d’aller s’exploser le soir dans des cabarets, pour s’oublier dans la fête. Ce qui a permis à Glyslein Lefever, une chorégraphe très douée, d’inventer des ballets en situation, qui racontent une histoire. Le personnage de Frau Schneider ne m’avait pas marqué. Il était gommé dans le film pour mettre en valeur Liza Minnelli. Olivier Desbordes, dont l’activité théâtrale est énorme, a beaucoup d’imagination, et il ne détruit pas l’œuvre. Son travail m’a emballée !
Fragil : Votre premier spectacle musical date de 1957 au théâtre de la porte Saint Martin. Il s’agissait de L’apprenti fakir , sur un livret de Jean Marais. Quel souvenir ce spectacle vous a-t-il laissé ?
Nicole Croisille : Le spectacle a été un bide, catastrophique. Il n’a pas du tout plu aux spectateurs qui n’avaient jamais vu de modern jazz à Paris. Ils ne connaissaient que les films de comédies musicales des années 30 ou 40. Et pourtant, le chorégraphe Jack Cole, précurseur de Jérome Robbins, avait créé un style aux États-Unis, en mêlant une base classique, la danse orientale, et en utilisant le corps des danseurs de façon plus libérée. Avec Georges Reich, issu de ce travail là, Jean Marais, qui travaillait à l’époque avec Luchino Visconti sur Les nuits blanches, a écrit le synopsis de cet Apprenti fakir et conçu le décor et les costumes. Il n’y avait que du chant et de la danse, pas de jeu dramatique. Pour moi, qui n’avait que 20 ans, c’était exceptionnel. Jean Marais nous a soutenus pendant un mois. L’échec du spectacle a été suivi pour toute l’équipe d’ une véritable chute psychologique. On a tous fini au ras du sol…
Fragil : En 1992, vous avez joué le rôle principal de la célèbre comédie musicale Hello Dolly au théâtre du châtelet. Que représente ce genre pour vous ?
Quand je suis sur scène en train d’exprimer des sentiments qui ne sont pas les miens, je respecte avant tout les auteurs
Nicole Croisille : C’est le rêve de mon adolescence, le but que je m’étais fixé. J’ai découvert la comédie musicale à travers les films que les américains nous ont apporté à la Libération. J’ai eu le sentiment qu’il s’agissait là d’un art majeur, qui mêle la comédie, le chant et la danse. En France, ce genre nous était complètement étranger, alors qu’il marchait déjà en Angleterre. J’ai été très heureuse qu’on me propose Hello Dolly. J’étais la seule française dans une troupe américaine. Je n’ai pas hésité mais au début, j’ai eu peur. Pour la première fois cependant, la comédie musicale m’a offert un grand succès, alors qu’auparavant, malgré mon envie, elle ne me souriait pas.
Fragil : Vous avez été l’interprète de nombreuses chansons à succès, dont Parlez-moi de lui et La Garonne . Quelles émotions le chant fait-il naître en vous ?
Nicole Croisille : Je n’écris pas les chansons que j’interprète, j’ai donc une grande responsabilité. Quand je suis sur scène en train d’exprimer des sentiments qui ne sont pas les miens, je respecte avant tout les auteurs. Ma créativité passe en second plan. Il faut que ce soit le plus convaincant et le plus touchant possible. Grâce à Claude Dejacques, le directeur artistique, j’ai trouvé une étiquette, que l’on ne pouvait me donner auparavant car je touchais à tout. Il m’a incitée à aller vers la tendresse et l’expression de sentiments. Je cherche parfois à comprendre ce qui s’est passé avec le public. Les souvenirs des gens se sont accrochés à mes chansons. Chacun se fait son cinéma dans sa tête.
Fragil : Vous êtes aussi actrice, au cinéma et au théâtre, et avez notamment joué, en 1981, le rôle d’une chanteuse dans Les uns et les autres de Claude Lelouch, où vous interprétez une chanson du film. Quelles traces vous a laissées cette expérience cinématographique ?
Nicole Croisille : Avec Lelouch, c’est particulier. Quand on tourne avec lui, on ne sait pas toujours ce qu’on va faire. L’aventure est quotidienne. Il nous met dans des situations où on va être surpris. On ne répète pas. Il veut que les accidents de jeu des acteurs donnent accès à d’authentiques moments de vie. Il aime que l’on improvise. Il y a une forme de liberté dans son travail, mais on a intérêt à être créatif. Il m’a voulue dans ses films parce que le timbre de ma voix l’intéresse. C’est quelqu’un de très fidèle, et qui aime avant tout être touché, et éprouver de l’émotion.
Fragil : En 1995, vous avez aussi incarné Mme Thénardier des Misérables , également sous la direction de Claude Lelouch, aux côtés notamment de Jean-Paul Belmondo, Jean Marais et Annie Girardot, sur une bande originale de Francis Lai et Michel Legrand. Qu’avez-vous éprouvé en jouant cette adaptation du roman de Victor Hugo ?
Nicole Croisille : La Thénardier, c’est une vache, une femme pauvre qui doit faire marcher son auberge minable. C’est un rôle très loin de ma vie, et j’ai dû faire preuve de beaucoup d’imagination pour le jouer. Lelouch voulait que je chante la chanson du réveillon, dans cette gargote immonde. Dans ce film également, le lien avec Claude Lelouch passe avant tout par ma voix. Je n’ai pas fait d’autres films avec lui ensuite. Je me souviens d’une scène avec Belmondo, et avec Rufus à côté de moi, forcément impressionnée face à une telle pointure.
Fragil : Vous avez aussi une expérience de mime et avez travaillé avec Marcel Marceau pour Les matadors en 1968. En quoi cette rencontre a-t-elle été importante ?
Nicole Croisille : C’est une rencontre très importante de ma vie, qui m’a fait sortir du cocon familial. Marceau m’a engagée en remplacement d’une artiste pour une durée de six mois, ce qui m’a permis de découvrir le monde. J’ai adoré travailler la pantomime, même si les rôles pour une femme sont très limités : difficile de mimer une femme quand on est une femme. Les tournées étaient souvent courtes, en raison des impératifs de la troupe, mais ça a été une belle aventure, qui s’est étendue sur quatre ans. J’ai aussi joué au TNP de Jean Vilar, une comédie musicale de Maurice Jarre et Roger Pillaudin, d’après Raymond Queneau, Loin de Rueil . C’était en 1961.
Fragil : En parcourant votre biographie, on réalise à quel point vous pratiquez le mélange des genres. Est-ce pour vous une nécessité ?
Nicole Croisille : J’ai envie de tout, et j’ai une avidité féroce. A 17 ans, j’ai travaillé le chant lyrique, j’étais soprano colorature, mais l’opéra aurait été un sacerdoce qui m’aurait empêché de faire le reste. A chaque fois qu’une porte s’est ouverte, je me suis mise à apprendre. La comédie musicale m’a obligée à tout faire, ce qui me correspond bien.
Fragil : Quelles sont les autres rencontres qui vous ont particulièrement marquée et les souvenirs les plus précieux dans votre itinéraire d’artiste ?
Nicole Croisille : Je me suis retrouvée au MIDEM de Cannes en 1968,où j’ai interprèté en anglais I’ll never leave you, dont j’avais écrit les paroles sous un pseudonyme. J’ai éprouvé un choc lorsque la salle entière s’est levée à la fin pour me faire une ovation, d’autant plus que je chantais déjà depuis plusieurs années en anglais, dans des boites de jazz, sans susciter une telle réaction.
Fragil : Vous êtes aujourd’hui à Saint-Céré. Comment définiriez-vous ce festival ?
Nicole Croisille : J’ai vu un maximum de spectacles, et je suis sidérée par l’activité débordante et par le pluralisme d’Olivier Desbordes. Il connaît tout ce que la scène peut offrir et son festival est ouvert. Il a créé une ouverture littéraire, dans le cadre du festival de théâtre de Figeac, qu’il dirige avec Michel Fau, par les lectures de 18h. J’ai beaucoup d’admiration pour son engagement, et pour le rayonnement du festival de Saint-Céré.
Christophe Gervot et Alexandre Calleau
Photo de Nicole Croisille en portrait prise par Alexandre Calleau
Crédits photos : Manuel Peskine et Guy Rieutort
Avec nos remerciements à Monsieur et Madame Berry, propriétaires de l’hôtel de France de Saint-Céré, où nous avons effectué cet entretien.
Dates de tournée de Cabaret 12,13 décembre Grande Scène, le Chesnay 16-20 décembre Odyssud, Blagnac 10,11 janvier L’Archipel, Scène Nationale de Perpignan 14 janvier Théâtre, Scène Nationale d’Albi 16,17 janvier le Pin Galant, Mérignac 31 janvier Palais des Congrés, Issy-les-Moulineaux 11, 12 avril Opéra de Massy 23 avril Gare du Midi Biarritz 5 mai Théâtre, Cahors
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