
Assistant de Michel Legrand pour "Les parapluies de Cherbourg" au Châtelet.
La direction généreuse de Stéphane Petitjean
Michel Legrand a déclaré dans un entretien accordé à la revue de l’opéra Nice Côte d’Azur au printemps 2014, à propos de ses «  Parapluies de Cherbourg  »Â : «  Ces «  parapluies  »me poursuivent. Pour moi, ces œuvres sont devenues posthumes, mais elles ne veulent pas mourir  ». On a pu cependant mesurer la vitalité de cette œuvre devenue mythique à l’émotion palpable dans la salle, et à l’éclatant triomphe suscité par la reprise au théâtre du Châtelet en septembre 2014. Les protagonistes évoluent parmi des dessins remplis d’humour et de poésie de Jean-Jacques Sempé, Michel Legrand dirige avec ferveur l’orchestre national d’île de France et Nathalie Dessay se détache d’une troupe attachante, dans la figure d’une mère pleine d’énergie, aux accents consolants. Face à l’immense succès populaire du spectacle, deux nouvelles représentations sont prévues fin juin 2015. Stéphane Petitjean, chef d’orchestre et chef de chœur qui explore les univers les plus contrastés, et assistant de Michel Legrand sur cette production, nous a accordé un entretien.
Fragil : Vous avez été assistant de Michel Legrand à la direction musicale de la reprise des Parapluies de Cherbourg au Châtelet en septembre 2014. Que représente pour vous ce compositeur ?
Stéphane Petitjean : Il représente pour moi toute une époque, et particulièrement les années 70. J’écoutais alors beaucoup de musique classique. Lorsque je l’ai découvert, dans des émissions comme le grand échiquier notamment, ça a été une première porte de sortie vers d’autres types de partitions. Michel Legrand est un très grand pianiste de jazz et il m’a permis de réaliser, à l’époque, qu’il existait une autre musique, avec des bases classiques.
Fragil : Quel a été votre rôle en tant qu’assistant du chef d’orchestre sur cette production ?
Michel Legrand est un très grand pianiste de jazz et il m’a permis de réaliser, à l’époque, qu’il existait une autre musique, avec des bases classiques
Stéphane Petitjean : Comme il s’agissait à l’origine d’une musique de film, que l’on montait en comédie musicale, on a fait un énorme travail de remise en forme d’une partition qui était conçue comme un enchaînement de séquences de cinéma. Michel Legrand a réécrit des morceaux pour des transitions. Une grande partie de cette musique, hormis les tubes, n’avait pas été jouée depuis 1963. Avec l’aide d’un copiste, nous avons nettoyé la partition, afin d’enlever quelques erreurs de frappe et de notes, qui n’auraient eu aucun sens dans cette version scénique. J’ai effectué un véritable travail de fourmi, en passant de manière minutieuse sur chacune des mesures. J’ai également été présent ensuite lors des répétitions scéniques avec l’orchestre.
Fragil : Vous avez également collaboré au Châtelet à la nouvelle production de 2010 de My fair lady , dans la mise en scène de Robert Carsen. Quel souvenir gardez-vous de ce spectacle ?
Stéphane Petitjean : Cette belle production est un souvenir formidable. Le travail avec Robert Carsen est fascinant. Il a une manière très posée et très claire de monter les différents éléments d’un spectacle comme s’il s’agissait de pièces d’un puzzle. J’ai beaucoup aimé observer les comédiens, et notamment Alex Jennings, un très grand acteur anglais. J’avais l’impression d’assister aux répétitions d’une pièce de théâtre, à l’évolution de la lecture, à l’appropriation du texte, ce qui est très différent de l’approche à l’opéra, où l’on part d’un matériau plus fixe.
Fragil : Vous avez dirigé deux œuvres de Jacques Offenbach, La belle Hélène , dans la mise en scène de Herbert Wernicke, au festival d’Aix en Provence en 1999 et La Périchole , dans la proposition de Bérangère Jannelle à Angers Nantes Opéra en 2009. Quelles traces vous ont laissées ces deux expériences ?
Stéphane Petitjean : Cette belle Hélène accompagnait mes premiers pas de direction avec une grande responsabilité, dans un cadre et avec un orchestre prestigieux. L’ensemble instrumental était en effet constitué de solistes de l’orchestre de Paris. C’était un peu intimidant, mais très vite le contact s’est établi avec Herbert Wernicke, aujourd’hui disparu, et qui était un personnage haut en couleur. Il continuait à faire sa mise en scène le soir, autour d’une bière, sur le cours Mirabeau, tout en y travaillant dans la journée. Mes doutes sur mon intégration se sont levés grâce à lui. Mon association avec cette formation chambriste, inattendue pour La belle Hélène , a bien fonctionné, et nous sommes parvenus à une homogénéité entre la musique et ce qui se jouait sur le plateau. La Périchole d’Angers Nantes Opéra était une reprise, avec une mise en scène que les artistes connaissaient. C’était à moi de m’immiscer à l’intérieur d’un groupe soudé, mais parfaitement ouvert. Je n’avais pas l’intention de changer leur travail. J’ai pris beaucoup de plaisir à ce spectacle et l’ambiance était très bonne. Après les représentations de Nantes, nous l’avons repris à Angers et à Rennes, avec le même chœur, ce qui était une chance. Offenbach représente pour moi une grande légèreté. J’ai besoin de ressentir cette bouffée d’humour qu’il nous offre. C’est un pont vers la comédie.
Fragil : Vous avez dirigé en 2011 L’enfant et les sortilèges de Maurice Ravel au Staatsoper de Munich, où vous avez été l’assistant de Kent Nagano. Comment présenteriez-vous ce chef d’orchestre ?
Stéphane Petitjean : Kent Nagano est un chef très réputé pour la musique contemporaine, qu’il a énormément dirigée. Il a débuté sa carrière en assistant Seiji Ozawa lors de la création de Saint-François-d’Assise d’Olivier Messiaen en 1983. Il a cependant décidé d’élargir sa voie à l’opéra et à la musique plus classique lorsqu’il est devenu directeur musical de l’opéra de Lyon, et plus tard à Munich. Il a su apporter la rigueur de la musique contemporaine à ce répertoire, en respectant de manière minutieuse les intentions des compositeurs, que ce soit Mozart, Puccini ou Bruckner.
Fragil : Vous avez justement été l’assistant de Sylvain Cambreling à Madrid pour une reprise de Saint-François-d’Assise d’Olivier Messiaen, également en 2011, dans une production que Gérard Mortier avait importée de la Ruhr Triennale. Comment aborde-t-on une telle œuvre ?
Stéphane Petitjean : J’ai reçu la partition dans un énorme paquet par courrier. Il y a dix volumes, un volume pour chacun des tableaux de l’opéra. Ils représentent ensemble une hauteur impressionnante. On s’achète d’abord une valise supplémentaire pour tout transporter ! On ouvre ensuite la première page de cette musique, et on se demande ce que l’on va faire. J’ai passé des heures à me demander comment j’allais travailler sur une telle somme. Je me suis imposé une discipline, et chaque matin, au réveil, j’y consacrais deux à trois heures. J’ai reçu la partition dix mois avant les répétitions. C’est une écriture inhabituelle. Il faut la comprendre et s’y habituer. Au bout de quelque temps, on s’approprie un peu plus l’œuvre et cette musique, qui sont fascinantes. On ne peut s’empêcher d’être happé par une telle foi et cette croyance, et par la puissance de ce personnage religieux. Les moyens mis en œuvre sont extrêmement fouillés, l’émotion peut être immense.
Fragil : Vous avez collaboré avec Armin Jordan sur une reprise d’ Ariane à Naxos de Richard Strauss à l’opéra comique en 1993. Quel souvenir gardez-vous de ce chef d’orchestre ?
Stéphane Petitjean : Ma rencontre avec Armin Jordan a été humainement très forte. J’étais encore jeune, et il m’a permis une ouverture sur le monde. J’ai réalisé, en le voyant diriger, qu’une grande part du travail de chef de chant, de chœur ou d’orchestre repose sur l’humain. Si l’on transmet ses intentions de manière généreuse, l’interprétation sera encore plus belle et plus poignante. Armin m’a apporté cette générosité, en se montrant toujours d’une grande disponibilité. J’en ai fait aujourd’hui ma philosophie.
Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
Stéphane Petitjean : Je suis toujours dans l’instant présent. Deux projets me tiennent cependant à cœur cette saison. Je vais retrouver le Châtelet en mars 2015 pour Singin’in the Rain, la comédie musicale tirée du film, dans une mise en scène de Robert Carsen. J’ai beaucoup d’attente de ce spectacle qui s’annonce passionnant. Tout ce que touche ce metteur en scène devient de l’or ! Il y a dans cette œuvre un côté comédie musicale à l’ancienne qui me plaît beaucoup. C’est du jazz, et ça va très vite. À la fin du mois d’avril 2015, je serai chef de chœur pour Macbeth de Verdi, que va diriger Daniele Gatti au théâtre des Champs Elysées. Je vais retrouver à cette occasion le chœur de Radio France, avec lequel je collabore régulièrement. Je l’ai dirigé récemment lors de l’inauguration du nouvel auditorium de Radio France, dans deux programmes, dont l’un était consacré à Offenbach et à la chanson française.
Fragil : Quel est votre souvenir le plus intense dans votre itinéraire d’artiste ?
Stéphane Petitjean : Je reviens toujours à Armin Jordan, même si j’ai vécu de belles aventures depuis. Ma rencontre avec lui a changé ma vision de la musique !
Propos recueillis par Christophe Gervot
Crédits photos : Marie-Noëlle Robert
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