
THÉATRE
Antigone ou l’histoire d’une Pussy Riot sous l’Antiquité
Adapté dans une représentation magistrale par la Compagnie Nomade du Théâtre Populaire, ce classique théâtral a de quoi nous interpeller par son traitement philosophique toujours d’actualité. Une transposition contemporaine totalement assumée d’une tragédie deux fois millénaire.
Écrite par Sophocle il y a 2500 ans, Antigone est ce que l’on appelle communément dans la littérature classique une tragédie grecque. Auteur d’une centaine de pièces recensées, Sophocle y décrit comme dans toute tragédie les sentiments exacerbés d’une famille de la haute société en proie à des conflits intérieurs qui conduiront à la fin inéluctable et tragique de plusieurs de ses membres.
La tragédie à l’origine de l’écriture scénaristique
Malgré le temps qui nous sépare, Antigone résonne encore aujourd’hui comme un écho dans notre société actuelle. « Moi vivant, ce n’est pas une femme qui fera la loi ! », s’emporte ainsi Créon, roi de Thèbes et oncle d’Antigone. Cette dernière, fille d’Œdipe, décide de braver l’interdiction du roi et d’aller enterrer son frère Polynice, mort dans un combat avec son autre frère, Etéocle, qui a péri lui aussi. Pour punir ce combat fratricide, Créon décide d’offrir à Etéocle une sépulture, mais pas à Polynice dont il condamne la dépouille à pourrir à la vue de tous après que les chiens et autres rapaces volants aient terminé de ronger son cadavre. Pour avoir bravé le fait du roi, Antigone est condamnée à son tour à finir emmurée vivante. À cela s’ajoute le sort d’Hémon, fils du roi Créon et fiancé d’Antigone, qui lui aussi périra tout comme sa mère, tous deux emportés par une douleur insurmontable sans parvenir à trouver d’autre issue pour faire face à leur tyran.
Toutes ces fins tragiques ont pour seule et unique origine une lutte de pouvoir entre deux hommes, Polynice et Etéocle, les deux fils d’Œdipe. Les deux frères devaient se partager le trône de Thèbes, un an sur deux, après la mort de leur père. Mais au bout de la première année, Etéocle, refusant de céder le trône, engage alors une guerre mortelle avec son frère. Reprenant la succession, leur oncle Créon s’arc-boute sur son pouvoir, usant de condamnations pour rendre une justice en qui il est le seul à croire encore, et qui cache en réalité une autorité pour asseoir chaque fois un peu plus sa suprématie.
Antigone ou le traitement de la femme depuis des millénaires
Ce sont les femmes qui paient avant tout le plus lourd tribu de cette domination masculine. Antigone bien sûr pour avoir osé affronter le roi et s’être confrontée à lui. Créon, par ses multiples remarques misogynes, y voit une remise en question de sa virilité, une forme d’émancipation féminine castratrice qui lui fait peur et qu’il s’empresse d’anéantir. On ne peut s’empêcher de penser à Vladimir Poutine en faisant ainsi référence à Créon. Le chef d’État russe controversé qui bombe fièrement le torse nu en une des magazines people, et dont le pouvoir maladif et désinhibé le pousse à braver aux yeux du monde les limites du tolérable pour imposer son autorité et enorgueillir son peuple. Prenant soin de museler toute opposition, jouant avec la corruption, et n’hésitant pas à employer la force pour exterminer tout ce qui pourrait menacer d’ébranler sa stature. C’est ainsi que pour avoir elles aussi osé le défier dans une enceinte sacrée, les Pussy Riot furent condamnées. Dans la joute qui l’oppose à Créon, Antigone, formidablement interprétée par Lola Coipeau, a tout d’une féministe engagée et militant pour sa cause. Se révoltant non seulement contre sa condition de femme qui voudrait la soumettre, mais aussi contre cet abus de pouvoir criminel.
Antigone, formidablement interprétée par Lola Coipeau, a tout d’une féministe engagée et militant pour sa cause
Ismène, beaucoup plus modérée, tente de tempérer les ardeurs revanchardes de sa sœur afin de l’épargner du sort que pourrait lui réserver la fureur du tyran ainsi désobéi. Finissant par vouloir la rejoindre une fois condamnée à purger une mort lente et humiliante. La femme de Créon sera enfin la dernière victime de cette folie autoritaire. Apparaissant sur scène très affaiblie et soutenue par deux serviteurs entièrement drapés de noir, l’interprétation qu’en fait Marie-Christine Viaud (également dans le rôle d’Ismène) est poignante et digne. La souffrance d’une mère qui vient d’apprendre la perte de son fils et assiste au vacillement de sa famille causée par un époux enivré de colère. Le tout sans prononcer une seule parole ni même un cri démontre tout l’art dramatique mis en scène par la talentueuse actrice.
Un combat inépuisable pour une société laïque
Outre son autorité masculine qui s’impose de fait, Créon s’appuie aussi sur les dieux pour accomplir ses actes. Bien que Sophocle y fasse peu référence, les dieux sont toujours les marionnettistes des tragédies. Jouant avec les personnages comme avec des pions aux échecs qu’ils n’hésitent pas à faire tomber du simple bout du doigt de façon totalement irrationnelle et par pure fantaisie puérile. La religion polythéiste qui forme toute la mythologie grecque et romaine a toujours été le prétexte à tous les excès, servant en particulier à justifier la mort comme une offrande, et relayant l’Humanité à une condition subalterne. Tout cela nous rappelle le fanatisme religieux quel qu’il soit s’acharnant à ériger en dogme une morale intransigeante et implacable contre tout ce qu’elle considère être un comportement déviant.
Les tragédies touchent irrémédiablement des familles de haut rang et les ramènent, non pas au niveau des dieux comme ils prétendent être les égaux, mais bien à celui du plus commun des mortels. Leur fin tragique à laquelle ils ne peuvent échapper par conséquent nous rassure.
Un souffle de liberté
La Compagnie Nomade ne s’y est pas trompée non plus en dédiant la pièce « à toutes celles et ceux qui déchirent les voiles pour que la lumière dissipe l’obscurantisme et le dogmatisme. » Fondée sur « la non mise en scène », cette compagnie théâtrale défend l’idée de laisser à l’acteur une liberté d’improvisation sans cesse renouvelée à chaque représentation dans le texte et la mise en scène.
C’est donc dans un décor de scène dépouillé de la salle Vasse que l’on prend plaisir à retrouver notamment l’acteur de Midnight Globe, Anthony Bertaud dans le rôle d’Hémon, jouant aux côtés de Philippe Jean, impeccable dans le rôle-titre de Créon. La pièce est jouée sur un fond musical, et les percussions improvisées en direct par Erwin Toul viennent porter en rythme le jeu des acteurs à l’adresse d’un public ébahi.
À noter qu’une prochaine représentation aura lieu le 10 octobre prochain à l’Espace culturel Capellia à La Chapelle-sur-Erdre.
Si l’on se prend à analyser le succès infernal de Game of Thrones, on observe que tous les ingrédients de la tragédie dans la plus pure tradition y sont réunis. Cette série américaine se consacre en effet à raconter la déchéance, les guerres mortelles, les luttes de pouvoir pour obtenir un trône de fer, et les conquêtes de territoires entre différentes familles royales aux arbres généalogiques dont les branches interminables remontent à plusieurs siècles. La fin souvent tragique des multiples personnages est sans conteste le piment qui fait le succès de cette série. Car il ne peut pas non plus y avoir de fin autrement que funeste dans Game of Thrones où le bien n’est jamais sûr de triompher du mal. Les passions amoureuses, incestueuses ou arrangées par pure alliance stratégique n’ont rien à envier non plus à la myriade de scènes similaires dans la mythologie, à commencer par Œdipe lui-même. Si Game of Thrones s’avère être sans conteste une tragédie 2.0 s’inventant une nouvelle mythologie, que les fans se rassurent, la littérature classique à l’instar d’Antigone pourrait bien les surprendre par son audace rarement égalée.
Jérôme Romain
Crédit photos : Jade Sysaykeo pour la Compagnie Nomade du Théâtre Populaire
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses