
OPÉRA
Aux sources de l’émotion
Interview du baryton argentin Armando Noguera
Le baryton argentin Armando Noguera a incarné de beaux rôles à Angers Nantes Opéra, et en particulier celui du passeur dans « Sumidagawa  »Â (2007), Junius du « Viol de Lucrèce  » (2011), Marcello dans « La Bohème  »(2012) et Hans dans « La Rose blanche  » (2013). Cet artiste d’une sensibilité rare et intense, que l’on a vu aussi dans des spectacles de Jean-François Sivadier, vient d’aborder le rôle de Pelléas dans l’opéra de Claude Debussy, à Nantes et à Angers. Rencontre avec un interprète d’une sincérité absolue.
Fragil : Vous êtes Pelléas dans la toute nouvelle production de Pelléas et Mélisande mise en scène par Emmanuelle Bastet à Angers Nantes Opéra. Que représente pour vous ce rôle ?
Armando Noguera : Pelléas et Mélisande est un chef-d’œuvre, où Debussy a su, comme Ravel, mettre en musique toutes les intentions du texte, dans une relation intime entre les mots et la partition. C’est un rôle que j’attends depuis longtemps. J’ai commencé à le préparer avec Janine Reiss, lorsque je suis arrivé en France, à l’école de chant de l’Opéra Bastille. J’ai eu la chance ensuite de rencontrer sur mon chemin Pierre Jourdan, qui m’a appris le style et la rigueur de la langue française. C’est pour moi un bonheur extraordinaire d’interpréter Pelléas pour la première fois sur scène, et un immense cadeau de l’aborder aux côtés de Jean-François Lapointe qui joue Golaud, après avoir été une référence dans le rôle-titre. Il est d’une grande générosité et m’a donné des conseils d’une valeur inestimable. Il m’a beaucoup encouragé, et cet encouragement a été mutuel.
Ce qui compte avant tout, c'est la justesse de l’interprétation, la situation en soi, et les émotions que provoquent les répliques
Fragil : De quelle manière avez-vous travaillé avec Emmanuelle Bastet ?
Armando Noguera : Nous avons répété dans un climat de confiance et avec beaucoup de liberté pour défendre le mieux possible l’idée d’Emmanuelle Bastet. Il y a - dans son travail - un ancrage réaliste très intéressant, qui préserve cependant l’impressionnisme du texte de Maeterlinck et toutes ses significations multiples. Certaines choses sont parfois très concrètes, notamment la mort de Pelléas, qui meurt dans une sincérité absolue, en reconnaissant l’amour impossible avec Mélisande. Pelléas est pour moi un rôle sans cesse en évolution. Il n’est pas la même personne dans la première scène que dans la dernière, et n’est pas si adolescent ni si innocent qu’on le représente parfois. Il se laisse pourtant entraîner par le mensonge et par des situations qui le dépassent, et qui l’amènent à cette fin tragique. Dans sa confrontation finale, face à face avec Golaud, il affronte sa destinée et regarde celle qu’il aime et son rival, juste avant de mourir. Il y a une réplique de Mélisande que je trouve terrible à la fin de cette scène, quand elle dit « Je n’ai pas le courage ». Pelléas, lui, a une honnêteté incroyable vis-à-vis de ses sentiments. Il est certainement une victime, mais chaque protagoniste est à la fois coupable et victime. Golaud, lui-même, ne peut absolument pas contrôler ses émotions. La seule figure vraiment innocente de cet opéra est le petit Yniold. Les artistes du spectacle ont tous des personnalités extraordinaires, et nous avons eu des échanges passionnants.
Stéphanie D’Oustrac et Jean-François Lapointe
Fragil : Vous avez été un poignant passeur dans Sumidagawa de Susumu Yoshida en 2007 à Angers Nantes Opéra. Quelles traces cet opéra vous a-t-il laissé ?
Armando Noguera : C’est une œuvre qui m’a profondément marqué et qui a permis une rencontre entre des personnalités venant d’horizons très différents. Cette production réunissait en effet un compositeur bouddhiste japonais, un metteur en scène français athée, une soprano canadienne juive et un baryton Argentin pseudo-catho. Une telle diversité a rendu possible une confrontation d’avis différents sur un sujet particulièrement fort. Michel Rostain, le metteur en scène, part de l’idée que le personnage n’existe pas, ce en quoi il se rapproche de Jean-François Sivadier, avec qui j’adore travailler. Ce qui compte avant tout, c’est la justesse de l’interprétation, la situation en soi, et les émotions que provoquent les répliques. C’est ce qui a fait de Sumidagawa un moment si fort. L’œuvre est difficile, mais le public était extrêmement concentré, et les gens sortaient du spectacle en pleurant. Quand l’émotion est juste, quel que soit le sujet, on touche tout le monde. L’essentiel, pour l’interprète, est de vivre les situations le plus sincèrement possible.
L'essentiel, pour l'interprète, est de vivre les situations le plus sincèrement possible
Fragil : Vous avez évoqué Jean-François Sivadier, et vous avez joué dans deux de ses spectacles, Sharpless dans Madame Butterfly en 2010 à l’opéra de Dijon et Figaro du Barbier de Séville en 2013 à l’opéra de Lille. Comment présenteriez-vous cet artiste ?
Armando Noguera : Je l’admire beaucoup. Il a un vrai talent de meneur et il conduit les gens en peu de temps vers un esprit de troupe, grâce à son énorme générosité. Il a aussi un don pour permettre que sur scène chacun puisse compter sur les autres, dans une confiance totale. En même temps, il est très malin, car il induit des choses, mais tout en nous laissant improviser, dans une vraie liberté. Il m’amène sur une situation ou une émotion, en me faisant croire qu’elle vient de moi, et se montre toujours très à l’écoute. Tout est cependant pensé et programmé. Jean-François Sivadier parvient à entendre et à faire entendre, et à être des deux côtés de la synchronisation. Il est impossible de ne pas se laisser entraîner en respirant cela. Dans ses spectacles, même dans les moments les plus dramatiques, on éprouve de la joie. C’est extraordinaire de garder ce bonheur d’être sur scène en toute situation.
Fragil : D’une manière générale, qu’attendez-vous d’un metteur en scène ?
Armando Noguera : J’attends qu’il soit à l’écoute, et qu’il y ait un échange, ce qui était vraiment le cas avec Michel Rostain, pour Sumidagawa. Il y a aussi un metteur en scène argentin qui m’a beaucoup apporté, Anna d’Anna, qui a cet esprit du théâtre. Elle m’a appris la sincérité, à donner du sens, mais aussi à marcher sur scène. C’est une belle rencontre et je lui dois énormément. J’apprends de tout le monde, car chacun a des choses à m’apporter. J’ai aimé la manière de travailler d’Emmanuelle Bastet surPelléas. Lorsque l’on est dans la vérité, on est d’accord avec le metteur en scène.
Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
Armando Noguera : Je vais participer à une production de La Veuve joyeuse qui me tient à cœur au Canada, et faire mes débuts à la Monnaie de Bruxelles dans L’Elixir d’amour de Donizetti. J’ai une autre raison d’être heureux, ce sont les reprises du Barbier de Séville et de Madame Butterfly dans les mises en scène de Jean François Sivadier. Quelle belle perspective de passer plusieurs mois avec un artiste d’une telle sensibilité et d’une telle humanité. On essaie toujours d’aller vers une explosion unique en direction du public. Certains spectateurs me disent qu’un spectacle a changé leurs vies, ou qu’il les a amenés à revenir ensuite à l’opéra. Toucher le public, c’est le but que je chercherai toujours à atteindre, dans mes projets à venir.
On essaie toujours d’aller vers une explosion unique en direction du public. Certains spectateurs me disent qu’un spectacle a changé leurs vies, ou qu’il les a amenés à revenir ensuite à l’opéra
Fragil : Quels rôles rêveriez-vous d’aborder ?
Armando Noguera : J’ai la chance d’aborder des rôles qui me plaisent, et ils sont tous à défendre. Ce que j’aime avant tout, c’est la cuisine, plus que le plat. Être sur un plateau, vivre une situation ou une émotion, donner et recevoir, être à l’écoute et être entendu… Tout cela fait partie de la cuisine. À chaque représentation, ça va changer selon ce que l’on reçoit. C’est cette chose vivante et qui palpite qui me fait frémir. C’est magique et indescriptible. Mon but est de partager ce que je ressens, et j’essaie de donner le meilleur, pour que les spectateurs l’éprouvent. Si une personne est touchée, le pari est gagné. Cet échange a quelque chose d’extraordinaire. Après chaque représentation de Pelléas, je suis dans une extase très forte de tout ce que j’ai reçu du public, de mes partenaires, du chef, et des silences aussi. Lors de ma scène finale, il y a un chuchotement voulu, suivi d’un beau silence dans la salle, mais c’est un silence d’écoute, qui transporte et pousse à vivre la situation à fond, celle de deux personnes sur un plateau, en train de se dire des choses pareilles… La seule chose à ajouter, c’est la sincérité et la sensibilité. Pierre Jourdan disait qu’il ne fallait pas avoir peur du silence, il est chargé émotionnellement. On doit se laisser emporter par cette vérité, que tout est dans le texte et dans la partition.
Fragil : Quel est votre souvenir le plus fort dans votre itinéraire d’artiste ?
Armando Noguera : Ce moment le plus fort, je ne chantais pas. J’étais en coulisse pendant une représentation du Barbier de Séville à Lille. Jean-François, en qui j’ai une confiance aveugle, m’a dit « Vas-y, essaie de chauffer la salle ». La première chose qui m’est venue à l’esprit, c’est que la salle fasse une ola. Les spectateurs l’ont tous fait, et ils se sont levés, avec joie et l’envie de faire partie du spectacle. Ça m’a bouleversé et ce souvenir est tellement fort qu’il me donne envie de pleurer !
Interview réalisée par Christophe Gervot
Crédit photos : Jef Rabillon pour Angers Nantes Opéra
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