
SOCIÉTÉ
Crowdfunding à la nantaise
Focus sur le financement participatif
« Crowdfunding, vous avez dit crowdfunding ?  » Dès lors que vous maîtrisez la prononciation de ce terme et que vous ne l’avez pas associé par erreur à une nouvelle forme de gastronomie venue d’outre-Atlantique, il devient clair que le financement participatif, composante de la nouvelle économie collaborative en marche sur le net, est partout. Partout, et bien sà »r à Nantes, où les porteurs de projets et les soutiens financiers s’allient virtuellement pour donner naissance, dans le meilleur des cas, à des projets bien réels.
10h30, première pause Internet de la journée (hum), vous naviguez sur vos réseaux sociaux préférés. Soudain, votre œil est attiré par une vidéo partagée par l’ami d’un ami : il s’agit d’un appel aux dons afin de financer le premier album d’un groupe de métal rezéen sur une plateforme de crowdfunding…
Premier contact avec le crowdfunding
Si aujourd’hui la promotion sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.) semble être la manière la plus courante de prendre connaissance d’un projet à financer, c’est il y a environ sept ans qu’un certain nombre de donateurs ont eu leur premier contact avec le financement participatif via le succès retentissant du chanteur Grégoire, soutenu par MyMajorCompany. Une plateforme de financement spéculatif qui permet à tout un chacun de s’improviser producteur et d’obtenir un retour sur investissement. « J’ai entendu parler au début de MyMajorCompany à la télévision, car un dessinateur de BD que je connaissais a été financé dessus. J’ai joué ma curieuse pour aller voir ce qu’ils proposaient, car j’avais trouvé l’idée intéressante d’aider des personnes qui avaient besoin de dons pour lancer leur projet », raconte Pauline Gaudin. Une contributrice régulière qui a donné pour des projets aussi divers que le dernier spectacle de François Morel ou le nouveau sac dessiné par une amie créatrice. « La première contribution que j’ai faite était pour le lancement au niveau national de Paulette, un magazine auquel plein de lectrices participent. »
on apporte notre pierre à l'édifice et je trouve ça gratifiant
Les donateurs, qu’ils en soient à leur coup d’essai ou bien serial-contributeurs, s’enthousiasment pour cette nouvelle forme d’économie qui leur permet d’offrir une alternative aux moyens traditionnels de financement. Angélique Hambleton, qui a participé financièrement à la naissance de l’album du chanteur Oldelaf via la plateforme Oocto, confie que « c’est une super opportunité pour mener à bien un projet pour lequel un financement classique, bancaire et/ou familial serait impossible, car trop élevé ou jugé peu rentable. »
Soutenir un projet : pas à n’importe quel prix
Mais la motivation de ces mécènes 2.0, c’est bien sûr le fait de pouvoir choisir des projets coup de cœur, qui leur ressemblent et qui correspondent à leurs attentes en tant que consommateurs. Angélique déclare : « Nous sommes une petite poignée de miseurs à avoir le sentiment d’être privilégiés et sommes surtout fiers de voir que la sortie de l’album approche et que nous y sommes un petit peu pour quelque chose. Le rapport artiste/public est clairement renforcé du fait notamment de pouvoir se rencontrer plus régulièrement et de discuter du projet. » Pauline souligne l’importance de contribuer même à faible hauteur pour constater les fruits de son effort : « On peut échanger avec les personnes qui montent le projet, je peux dire pourquoi ça me plaît et pourquoi ça me correspond. J’ai soutenu une créatrice en mettant seulement 12 €, on a l’impression que c’est une goutte d’eau, mais finalement on apporte notre pierre à l’édifice et je trouve ça gratifiant. Il faut compter sur l’entraide pour avancer. »
L’adhésion à un projet n’est pourtant pas la seule motivation du contributeur pour mettre la main au porte-monnaie. L’argument affectif risque également de peser fortement dans la balance. Que les porteurs de projets soient les amis de toute une vie, des copains sur Facebook ou des personnes, anonymes ou figures publiques, dont ils apprécient et suivent le travail. Pauline évoque la personne qu’elle « connaissait dans son enfance et qui avait besoin de fonds pour un projet de film sur la plateforme KissKissBankBank. L’idée était à la fois de le soutenir et de lui faire de la pub via les réseaux sociaux. » Tandis qu’Angélique, en tant que fan d’Oldelaf depuis de nombreuses années, « avait très envie de lui donner un coup de pouce » grâce à sa participation.
Si Chloé Nataf, chargée de développement des musiques enregistrées à Trempolino, ne croit pas trop à l’argument local concernant les projets musicaux, la proximité géographique peut influencer les donateurs en cas de projet de quartier ou de territoire : pensons par exemple à la création d’une terrasse pour le troquet familial du P’tit qu’a fait dans le quartier des Olivettes.
Pour 500 €, il y avait le concert à la maison qui était offert
Car donner pour un projet de crowdfunding n’est pas un geste totalement gratuit : les contreparties concédées par les porteurs de projets en fonction de la somme versée ne suffisent pas à générer l’adhésion des contributeurs, mais sont une composante essentielle de la transaction. Pauline explique que « la contrepartie est une valeur ajoutée, un petit plus, mais je n’y vais pas pour ça ». Si 5 € ne permettent souvent que d’être remercié officiellement par le porteur de projet, des dons plus conséquents peuvent aller de places de concerts aux t-shirts dédicacés, jusqu’à des accès ou des moments privilégiés en lien avec le projet. Des contreparties exceptionnelles qui séduisent le potentiel donateur. Angélique raconte que pour l’album d’Oldelaf « 18 € donnaient droit à l’album en MP3, au CD livré et à des titres inédits. J’ai augmenté ma participation initiale pour obtenir l’accès à des soirées et concerts privés. »
Les donateurs ont en effet la chance de pouvoir suivre pas à pas l’avancement du projet grâce à un journal de bord ou à des mails qui les associent encore davantage à l’entreprise, autre avantage du fonctionnement de ces plateformes. Chloé Nataf insiste sur le fait que les contreparties proposées doivent coller à l’esprit du projet et se rappelle avec amusement d’« Outrage, un groupe énervé du Mans dont la campagne de financement participatif a très bien marché. Pour 300 €, ils proposaient de reprendre une chanson au choix en live : une fan elle-même compositrice a demandé qu’ils reprennent l’un de ses morceaux. Pour 500 €, il y avait le concert à la maison qui était offert, et là ce sont des copines qui se sont cotisées pour offrir ça en enterrement de vie de jeune fille. »
Une nouvelle forme de mécénat basé sur la confiance
Et si les contributeurs investissent tous pour des raisons différentes, le financement participatif ne semble pas encore être utilisé comme un nouveau mode d’achat. Alexandre Hervaud, chroniqueur de l’émission Paye ton projet sur Le Mouv’, analyse la vision très différente des plateformes quant aux contreparties proposées, plus ou moins considérées comme des finalités. « La plateforme Kickstarter, leader sur le marché américain du crowdfunding, a un jour affiché sur sa page “Kickstarter n’est pas une boutique”, car leur principe est que les gens participent à la construction d’un projet, mais pas forcément pour la promesse d’une contrepartie. À l’inverse, des sites comme Indiegogo, une plateforme américaine moins importante que Kickstarter, mettent en avant l’avantage de pouvoir s’acheter un article innovant : ils proposaient par exemple d’acquérir un appareil photo sphérique prenant des photos à 360 degrés. » Il ajoute que « le mauvais côté qui se développe de plus en plus est la prévente d’un bouquin déjà terminé par exemple. Pour moi c’est la négation même de ce que devrait être le financement participatif, c’est-à-dire de l’accompagnement de projet ».
Le système responsabilise autant l'artiste, qui se grille si jamais il n'honore pas ses contreparties, que le contributeur
Chloé Nataf rappelle que « le crowdfunding est basé sur la confiance : c’est l’envie de soutenir un artiste différemment avec moins d’intermédiaires. Le système responsabilise autant l’artiste, qui se grille si jamais il n’honore pas ses contreparties, que le contributeur ». L’accompagnement et le suivi des projets par les plateformes (respect des contreparties, actualisation de la page du projet, etc.) contribuent à créer cette relation de confiance souvent appréciée des contributeurs. S’ils sont encore réticents à utiliser leur carte bancaire ou leur compte Paypal sur le net, ils peuvent encore recourir au bon vieux chèque. Chloé ajoute d’ailleurs que le crowdfunding « s’apparente aux bons de souscription papier récoltés à la fin des concerts de punk dans les années 70 ». Alexandre Hervaud complète : « la seule chose notable qui a changé c’est l’accélération par le web et le fait de pouvoir présenter facilement son projet à un maximum de gens ».
La dernière barrière resterait-elle donc celle de la ressource financière ?
Paye ton projet : le crowdfunding investit les ondes
Partons du postulat que vous êtes dans la capacité de vous délester de quelques euros trop pesants. Plutôt que de venir en aide à un groupe de voisins énervés, vous préféreriez peut-être soutenir un projet de vaisseau des mers futuriste ou la réalisation d’un film américain de zombies ?
Qu’à cela ne tienne, la pause de midi vous permettra de vous brancher sur la fréquence 96.1 pour écouter la chronique radio hebdomadaire du Nantais Alexandre Hervaud sur Le Mouv’. C’est en 2008 qu’Alexandre repère les premières initiatives de crowdfunding avant de soumettre en 2012 au directeur du Mouv’ l’idée d’une veille sur les projets de financement participatif en France et à l’étranger. « L’idée est de ne pas être dans la critique ou la moquerie et de présenter des projets auxquels je crois même si ça m’arrive parfois de parler de projets tout pourris. Je sélectionne les projets les plus intéressants et m’autorise à parler de trucs multicités quand je peux apporter un regard analytique, par exemple la websérie Noob qui a battu tous les records avec plus de 300 000€ de versés. »
sa chronique semble à l'heure actuelle constituer la seule sélection régulière de projets soumis aux internautes via les plateformes de crowdfunding
Si les projets qui y sont mis en avant à la radio tous les jeudis vers 12h40 et tous les mardis sur le site internet ne sont pas estampillés « local », sa chronique semble à l’heure actuelle constituer la seule sélection régulière de projets soumis aux internautes via les plateformes de crowdfunding, sans limites de nationalité ni de discipline. « Je me force à présenter chaque semaine deux projets qui ne sont pas sur la même plateforme, pas de la même nationalité et de varier les plaisirs (cinéma, musique, high-tech, initiatives solidaires, art contemporain, jeu vidéo, etc.). »
De la motivation avant tout
Vendredi soir à Nantes. Lors d’une soirée entre amis, vous discuterez à coup sûr avec des personnes sur le point de se lancer dans une campagne de crowdfunding. L’occasion de découvrir l’envers du décor…
Une campagne à succès se prépare largement en amont. Un porteur de projet devra prendre en compte tout un ensemble de paramètres avant de se lancer dans cette entreprise qui mobilise du temps ainsi qu’une bonne dose d’énergie.
Selon Chloé Nataf, « il ne faut pas demander la totalité du financement ou être trop gourmand ». Alexandre Hervaud renchérit en expliquant que « le crowdfunding ne doit pas faire partie des paliers incontournables et ne pas remplacer la manière traditionnelle de financer un projet, mais être encore réservé à des gens qui en ont vraiment besoin ».
Le crowdfunding ne doit pas faire partie des paliers incontournables du financement d'un projet et ne pas remplacer la manière traditionnelle de financer un projet
Pour Chloé Nataf, qui a accompagné une campagne de financement participatif pour organiser la tournée du chanteur malien Sidi Touré en Europe, c’était aussi une somme complémentaire qui était recherchée. « On a lancé une campagne de financement participatif pour avancer les fonds afin de préparer la tournée (billets d’avion, hôtel, visas, etc.), mais pour un événement qui aurait lieu de toute manière. Il s’agissait d’un complément de 2500 € » se souvient Chloé. Quels sont les contributeurs qui ont répondu présents ? « Les amis, la famille et un réseau essentiellement nantais, car Sidi Touré avait joué en 2012 à Nantes. Ça a duré 34 jours : on a atteint assez vite les 1000 €, puis ça a stagné et c’est vraiment la dernière semaine qu’on a atteint l’objectif en dernière limite. Il y a un côté stressant, car on regarde le matin au réveil et on rafraîchit tout le temps la page pour savoir si on a eu des nouveaux contributeurs. »
Opération séduction
Le choix de la plateforme s’avère primordial afin de toucher la cible voulue. Chloé, étant donné la dimension européenne de la tournée de Sidi Touré, ne regrette pas d’avoir fait le choix d’Ulule : « On a été super contents d’Ulule, ils sont très réactifs, très présents et ils donnent beaucoup de conseils judicieux. L’approbation du projet se fait en 24 heures. »
Piloter une campagne de crowdfunding équivaut à orchestrer une grande opération de communication. Alexandre Hervaud rappelle le cas de l’acteur et réalisateur américain « Zach Braff, qui avait une crédibilité importante sur les réseaux et dont le projet a cartonné, car il avait un cheptel de fans sur la toile ».
Internet permet de toucher les deux premiers cercles, le plus dur étant de toucher des gens que l'on ne connait ni d’Ève ni d'Adam, c'est-à-dire le troisième cercle
En plus de Facebook ou Twitter, Chloé a aussi mobilisé ce qu’on appelle le premier cercle, famille et amis, jusqu’à obtenir leur participation sur la plateforme Ulule, ainsi que leur prescription pour toucher un deuxième cercle. « On a envoyé un mail groupé à tous nos amis et à la fin, on est obligés de relancer les personnes. Internet permet de toucher les deux premiers cercles, le plus dur étant de toucher des gens que l’on ne connait ni d’Ève ni d’Adam, c’est-à-dire le troisième cercle. Pour entretenir la communication, on avait interviewé Sidi Touré et tous ses musiciens et fait des petits montages vidéo pour les poster régulièrement et apporter quelque chose en plus aux contributeurs. »
Concernant la tournée de Sidi Touré, « les t-shirts ont bien marché, mais la contrepartie offrant une rencontre au Mali avec l’artiste n’a pas été prise. La plus grosse contribution - 150 € - a donné lieu à un titre au choix joué en acoustique en vidéo, un t-shirt et une discographie dédicacée », raconte Chloé, qui a aussi clôturé la campagne par un événement convivial. « Comme il y avait beaucoup de Nantais dans les contributeurs, on a organisé une soirée pour donner les contreparties et pour que les gens se rencontrent. »
« Il y aura de plus en plus de projets, on va être de plus en plus sollicités et ça va être compliqué de sortir du lot par la suite », conclut-elle. À la fin de la journée, l’idée de surfer sur le site de KissKissBankBank ou d’Ulule vous titillera certainement, que cela soit pour apporter votre contribution à un projet qui vous aura conquis, ou pour enfin concrétiser votre rêve. Et vous ne serez sûrement pas le seul…
Sandrine Lesage
Crédits photo : Rocio Lara (CC) et 401(K) (CC)
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