LIVRE
Deux auteurs épris de Cramps
Rencontre avec deux des 24 auteurs du recueil hommage de 24 nouvelles noires consacrées au groupe The Cramps.
A l’origine de ce projet on trouve le journaliste et auteur Jean-Noël Levavasseur. Il a convié 23 autres auteurs à écrire chacun une nouvelle aux titres des 24 plus gros tubes des Cramps. Cela donne un recueil qui joue et s’amuse avec l’histoire mythique de ce groupe de rock né au milieu des années 70. Entre la rencontre charnelle des deux leaders, Lux Interior et Poison Ivy, les auteurs ont aussi imaginé de multiples anecdotes et des histoires largement inspirées par leur fascination commune pour ce groupe qui n’hésitait pas à « snifer » la vie comme une ligne de coke. Fragil est allé à la rencontre de deux auteurs qui ont contribué à ce recueil : Stéphane Pajot de Nantes et Giuglietta du Havre.
Nantes en plein coeur
Stéphane Pajot est bien connu à Nantes pour l’amour sans borne qu’il manifeste pour sa ville. Pas un de ses bouquins (ou presque) ne peut s’empêcher d’y faire référence de quelque manière que ce soit. Preuve en est, en novembre dernier, il a sorti un livre de mémoire : Nantes vieux métiers aux Editions D’Orbestier, mêlé de photographies et de cartes postales inédites sur les petits métiers ambulants qui existaient à Nantes au début du XXe siècle. Stéphane Pajot explique d’ailleurs : « écrire dans le cadre de Nantes, ses rues, ses places, ses bistrots, me permet de visualiser les lieux, d’y être, c’est plus simple qu’une invention. J’y place mes personnages, en majorité ce sont aussi des noms de personnes qui existent, des amis, des proches, des types ou des femmes que j’aime beaucoup. C’est jubilatoire de faire vivre des copains sur des scènes de fiesta, de crime ou carrément des plans surréalistes. Parfois, ça fige des ambiances et des endroits que j’ai bien connu, c’est ma façon de dire merci et de les immortaliser par des mots, des phrases. La seule fois où j’ai voulu déconnecter de Nantes, c’est dans mon dernier polar Deadline à Ouessant. J’y avais passé une semaine, mais le naturel revenant au galop, j’ai aussi eu besoin d’installer une scène importante à Nantes. On ne se refait pas. »
Un auteur habitué à écrire sur le rock
Stéphane Pajot n’en est pas à sa première participation à ce genre de projet, il a déjà collaboré par le passé à trois recueils similaires : La Souris Déglinguée, 30 nouvelles Lysergiques (Ed. Camion Blanc), Bérurier Noir, 30 nouvelles noires (Ed. Camion Blanc) et Stories of Little Bob (Editions Krakoens). Fan des Cramps, il avoue aimer avant tout « leur son, leur esthétique, leur attitude, cuir, sensualité, érotisme, sex, drugs and rock’n roll. Cette vie d’écorchés vifs, sans tabou. Toutes ces vies m’ont toujours fasciné. Lux Interior est mort « vieux » (62 ans) par rapport à ce milieu où l’on décanille, en général, assez vite. Le « club des 27 » m’a toujours fasciné. Mourir si jeune, c’est ouf. » Avant d’ajouter à son tour sa fascination pour l’histoire d’amour entre les deux leaders du groupe : « Trente-sept printemps ensemble, c’est la grande classe quand ça se passe à merveille. Un amour sublimé par le rock, la scène, les tournées, les studios et tout ce que ça génère. L’amour est éternel. »
Ce qui est marrant, c’est peut-être le jour où un habitant du Havre lira un polar sur Nantes et se dira : tiens, je vais y faire un saut, voir si tout ce qui est décrit, raconté, existe
The Cramps en concert à Nantes
Auteur de la nouvelle Human Fly / Domino, Stéphane Pajot reconnaît : « la traduction Homme mouche me plaît bien, j’ai toujours aimé les histoires de freaks comme l’homme lion ou la femme panthère ». Même s’il aurait préféré écrire sur le titre Surfin’Bird. « Quand j’avais un groupe de rock, ado, on reprenait ce titre, on s’appelait Les Paresseux et on se marrait comme des petits fous », précise t-il. Dans sa nouvelle, Stéphane Pajot imagine les Cramps en concert à Nantes et une bande de copains qui rêvent d’aller les voir avant qu’un accident de moto dans un champ de muguet ne les arrête. « Ça me faisait délirer l’histoire d’un type, coincé par des circonstances imprévues qui n’ a pas pu aller voir les Cramps et qui, finalement, tombe sur eux, dans une situation improbable. C’est une réminiscence d’un soir où nous devions aller voir un concert des Bérus avec des copains, on n’a jamais trouvé la salle. Bon, on n’est pas tombé sur les Bérus dans un champ de muguet non plus », raconte t-il.
Allez boire des coups de la part de Stéphane Pajot
L’autre attrait de la nouvelle Human Fly / Domino de Stéphane Pajot, tient dans les multiples endroits de Nantes qu’il prend plaisir à décrire. Invitant le lecteur à une véritable balade en moto. « Je crois que ce qui est marrant, c’est peut-être le jour où, un habitant de Sète ou du Havre, lira un polar sur Nantes et se dira : « tiens, je vais y faire un saut, voir si tout ce qui est décrit, raconté, existe. » Et là, s’il a le bouquin entre les mains, par exemple, il pourra délirer et aller boire un coup au café La Perle, 8 rue du Port au Vin, près de la place du Commerce. Et discuter avec Lolo, le patron, que je place quasiment à chaque fois dans mes bouquins. Et même boire un coup de muscadet de ma part (gratos en plus s’il le demande) et croiser le dénommé Serclo, un des rois de la nuit nantaise avec qui j’ai fait mille bringues. Bon, faut pas y aller dans vingt ans non plus, on sera tous grabataires. Mais pour l’heure ça fonctionne ! » En attendant, Stéphane Pajot termine actuellement son prochain polar où il est question de disparitions inquiétantes. Un polar écolo qui se déroulera une nouvelle fois en partie à Nantes.
exL’histoire d’amour entre Poison Ivy et Lux Interior, ça c’est fascinant ! Et seule la mort les a séparés
Le Havre et Nantes réunies par The Crampsex
Stéphane Pajot s’amuse ci-dessus qu’un lecteur du Havre pourrait avoir envie de venir faire un saut à Nantes après la lecture d’un polar se situant dans la ville. Ça tombe bien puisque c’est au Havre justement que nous retrouvons Giuglietta. Auteure de nouvelles à travers plusieurs recueils, Sextet (Ed. Jusqu’à l’os), Changer, Textes ou encore Blacky’s Back (Ed. Selfish), Giuglietta est l’auteure de la nouvelle Can Your Pussy Do The Dog. « En fait sur ce titre là, nous étions deux auteures puisque les Cramps l’ont enregistré sur deux 45 tours différents », précise t-elle. « Mais comme tu as vu, nous avons abordé le sujet de manière très différente. » L’autre nouvelle du même titre étant signée par Karine Médrano.
Une écriture féminine dans un monde de brutes
Giuglietta, ex-manageuse de groupes de rock dans les années 80 était donc naturellement inspirée par le sujet. Sujet que l’on retrouve d’ailleurs parfois dans ses propres recueils de nouvelles. « Je dois avouer que je n’ai jamais été réellement fascinée par les Cramps, le mot serait trop fort. Entre nous, c’est plus un compagnonnage qu’une histoire d’amour. Mais ce que j’aimais chez les Cramps quand je les ai découvert à la fin des années 70, c’est bien sûr leur folie, mais plus encore le côté minimaliste, brutal et fun de leur musique ! » ajoute t-elle. Giuglietta imagine la rencontre entre Erick Lee Purkhisher et Kristy Wallace alors qu’elle faisait de l’auto-stop. « L’histoire d’amour entre Poison Ivy et Lux Interior, ça c’est fascinant ! Et seule la mort les a séparés. » Explique t-elle. Ce qui fait de Can Your Pussy Do The Dog une savoureuse nouvelle diablement sexy et glamour sur fond de dope, de crack, et de rock’n’roll.
Une suite à The Cramps est déjà annoncée
Féministe affirmée, Giuglietta reconnaît également avoir été séduite par le projet notamment par « le fait qu’une fille soit si importante dans le groupe, puis rapidement deux d’ailleurs. » Après sa participation au recueil de nouvelles consacrées aux Cramps, elle va prochainement continuer sa collaboration avec Jean-Noël Levavasseur, « je vais participer avec grand plaisir à l’aventure Gun Club avec la plupart des auteurs de The Cramps. » En attendant, « ce que je voudrais c’est arriver à écrire un roman, même un petit, mais on dirait bien que j’ai du mal a sortir du cadre de la nouvelle. J’ai plusieurs projets bien avancés », conclut-elle.
Malgré le style très différent des 24 auteurs, le sujet commun qu’est l’histoire des Cramps a permis à la plupart d’entre eux d’aller jusqu’au bout de leurs fantasmes quant à l’aventure d’un groupe de rock. Les nouvelles regorgent ainsi de faits et d’anecdotes où s’entrecroisent le réel et l’imaginaire dans une ambiance de polar rythmée par différents excès. Le tout forme un ensemble relativement homogène où chaque nouvelle en appelle une autre offrant au lecteur un plaisir jamais rassasié.
Jérôme Romain
Crédit photo : Bertrand Béchard
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