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Hip-hop : où sont les femmes ?
À moitiés nues, se trémoussant sur le bord d’une piscine ou sur un canapé en cuir dans certains clips de rap : le cliché de la femme objet dans le hip-hop est bien réel. Mais ce n’est qu’une face cachée du mouvement au sein de cette culture urbaine. Depuis l’apparition du mouvement hip-hop, la femme trouve sa place dans le rap, la danse, le graffiti, le djing. Focus sur une culture gorgée de richesses, dont le grand public ignore souvent toutes les facettes.
Rencontre avec des hommes et des femmes, activistes de la culture hip-hop nantaise et rennaise, qui partagent leurs ressentis et expériences sur le hip-hop au féminin. Fragil part à la recherche d’une énigme culturelle, urbaine et genrée.
Au départ, une femme forte et indépendante
À l’origine dans les ghettos américains au début des années 70, le message du hip-hop proclame haut et forte des valeurs universelles : respect des autres, dénonciation des injustices sociales, authenticité etc. Le mouvement est développé notamment par la Zulu Nation d’Afrika Bambaataa aux États-Unis et Dee Nasty ; cette culture hip-hop s’oppose à la violence et la pauvreté qui règne alors dans ces quartiers défavorisés des métropoles américaines.
c'était une période où l'image véhiculé de la femme était forte et indépendante avec un message
Le rappeur Hakim Prince d’Arabee, anciennement membre du Groupe Soul Choc et actuellement indépendant, est reconnu par son flow piquant, affûté et ses punchlines efficaces. Selon lui, les femmes ont toujours été présentes : « c’était une période où l’image véhiculé de la femme était forte et indépendante avec un message. »
On peut citer parmi les premières rappeuses : Roxanne Shanté, Queen Latiffa, du célèbre label Tommy Boy crée en 1981 avec la participation en tant que présidente de Monica Lynch ; MC Lyte, l’une des premières stars du rap féminin et la talentueuse The Lad of rage reconnue pour son flow hardcore, et ses collaborations avec les rappeurs du label gangsta de Death Row. Dernièrement, c’est l’incontournable Missy Elliot, rappeuse, productrice et songwriter qui a marqué les mémoires par sa créativité et son originalité.
En France, dans la 1ère compilation de Rap Attitude, on retrouve Saliha avec son titre « Enfants du Guetto ». Melazz qui a débuté avec Mc Solar, et Princess Aniès, la rappeuse incontournable ayant participé à de nombreux projets tels que Première Classe Vol.2, Mission Suicide, Cutee B. Style, IV My People. À l’époque. beaucoup de filles sont allées rapper à radio Nova. De nos jours, on retrouve Diams, Bams, et Casey au rap conscient engagé, porté par une belle plume.
Pour le danseur et chorégraphe Yasmin Rahmani, pionner de la danse hip-hop en 1984 à Nantes et créateur de la compagnie HB2 dans un quartier populaire : « En danse, l’expression des filles s’affirme dans le break des crews américains, popularisés par des stars du showbiz comme Paula Abdule ou Janet Jackson. »
« Le mouvement de la culture hip-hop a débuté de 1984 à 1988, il s’agit de la première vague. Et, en 1990, une fois que le rap est arrivé, la culture n’existe plus en France. À l’époque, on s’inspire pour créer. Maintenant, avec internet on a tendance à copier et les valeurs ne sont plus visibles. Par contre, le graffiti, le djing, b-boying sont restés intègres dans d’autres pays comme l’Allemagne, les États-Unis », analyse Yasmin Rahmani.
Cela ne dure que quelques années, la culture underground - qui représente encore malgré tout une frange importante du hip-hop français - est passée au système économique de production et de consommation de masse.
Sexisme et stéréotypes dans le milieu hip-hop
La femme devient alors le symbole d'un objet sexuel et d'une réussite sociale dans les clips
La femme devient alors le symbole d’un objet sexuel et d’une réussite sociale dans les clips. Au États-Unis, le 2 LIVE CREW, adeptes du rap porno, voit ses titres classés X et interdits de ventes dans certains états. De nos jours, ce type de rap est représenté par les rappeurs américains comme 50cts, Snoop Dogg. C’est le rap le plus médiatisé : son but est d’acquérir un gain d’argent important par l’accumulation et l’ostentation. « C’est un phénomène qui nous vient des États-Unis » observe Nico Reverdito, Directeur de Pick up Production, organisateur du festival Hip OPsession.
Booba est un des représentants français qui joue avec ces clichés de la femme en maniant l’ambiguïté. « En France, cela s’est produit par un glissement de différentes phases avec l’apparition de la femme objet dans les clips » constate Hakim Prince d’Arabee. « D’ailleurs, c’est Fabe, rappeur, l’un des premiers à dénoncer cette mouvance dans sa chanson Des durs, des boss... des dombi ». Aujourd’hui, dans le rap de Skyrock, on y trouve du sexisme, du racisme et de la misogynie.
Le hip-hop masculin est donc catalogué comme misogyne. Les clips commerciaux à connotation sexuelle sont largement diffusés dans les médias, au contraire d’un hip-hop militant et indépendant. Pour Rekta Rektus fin connaisseur du rap West Coast, avec un style cru, sincère et festif. Il observe dans le rap que « certains hommes réalisent leurs fantasmes car n’ayant pas accès à ce type de vie. D’autres, par misogynie, vont rabaisser la femme en poussant le vice jusqu’au bout en accrochant le public afin de décrocher un maximum de vues sur Youtube. Aussi, tout simplement, c’est l’expression de certains qui aiment le sexe et désirent le montrer en image. Il y a de tout, dans différentes catégories, chacun fait comme il le sent. » Pourtant, il existe un autre rap : plus social, plus engagé, avec une belle écriture où s’exprime l’affirmation de soi et l’acquisition du savoir plutôt que l’argent. Malheureusement le rayonnement de ses représentants est relativement faible auprès du public français. On peut le retrouver dans la chanson « Partis de rien » de la Scred Connexion par exemple. Isa L.Atipik, dj nantais qui a commencé seulement à 26 ans déclare « il y a des groupes toujours présents qui ne sont pas mis en avant, d’ailleurs le chanteur de notre groupe, Lowscool, se pose la question dans sa chanson « mon vieux poto » : où sont passées les valeurs du hip-hop Peace, Love and Having Fun. Comment contrecarrer tout ce phénomène bling bling, gangstar, et se demander pourquoi c’est parti dans cette direction ? On aimerait bien le savoir. Pourquoi les médias préfèrent relayer ce côté bling bling ? » Malgré tout, en ce moment le rap est en train d’évoluer, entre autres vers la musique électronique, comme Psykick Lyrikah, Veence Hanao. Pour Isa L.Atipik, « c’est une nouvelle façon de poser. Ils expriment des sentiments personnels, pas du tout misogyne mais qui touchent peut-être les plus âgés. »
On se retrouve rapidement face à un autre stéréotype : le garçon manqué. Rima, jeune rappeuse nantaise raconte : « j’écrivais en cachette de mes frères, mon rap était ghetto et dur. » C’est son frère Moustapha alias Staff qui l’a découverte quand il s’aperçoit qu’elle écrit plus vite que lui. Pour elle, « c’est une question de mentalité. Dans notre société, on met des gens dans des cases, et cela, depuis longtemps. Aussi, Il arrive qu’on me fasse la remarque que je suis une fille et que j’ai pas a rapper. Je suis féminine et je rappe. Me concernant, à la base, c’est un besoin d’écriture. Je rappe pour m’exprimer que ça plaise ou pas. »
Hakim Prince D’Arabee nous invite à prendre du recul « elles rencontrent autant de difficultés que dans la société, il ne faut pas idéaliser le hip-hop qui est un courant artistique comme d’autres. On peut être aussi bien une femme qu’un homme ou tout ce que tu veux, c’est seulement la fibre artistique qui compte. » Rekta Rektus, rappeur confirme : « certes des femmes rappent avec des messages forts à passer. Mais d’autres, franchement, ce sont des femmes frustrées de pas avoir une paire de couilles et se prennent pour des bonhommes. Mais restons lucide, je préfère entendre des femmes rapper que certains mecs, tout simplement parce qu’elles sont plus crédibles. Elles font leurs petits bonhommes de chemin. À partir du moment ou elles se font plaisir et s’en sortent : tant mieux pour elles. »
La représentation de la femme objet dans les clips n'a pas été inventé par les rappeurs, ce qui n'enlève pas ce côté regrettable
Nico Reverdito de Pick up Production conclut : « arrêtez de dire que le hip-hop est plus homophobe et machiste qu’ailleurs, ce n’est que le reflet de notre société actuelle. La représentation de la femme objet dans les clips n’a pas été inventé par les rappeurs, ce qui n’enlève pas ce côté regrettable. » En effet, en se limitant à ce type de rap bling bling souvent diffusé par les médias de masse, les rappeurs sont représentés comme des gens assoiffés d’argent et à leurs yeux les femmes ne sont que des objets sexuels au vu d’un public amusé ou choqué.
La danse : réelle expression de la femme
L’opinion général voudrait que les filles s’orientent plus aisément dans la danse que dans le rap, djing ou le graffiti. La danse hip-hop est un art de vivre basé sur le respect avec des codes comportementaux. Dans les années 90, Yasmin Rhamani, danseur, chorégraphe, partage son expérience avec les jeunes des quartiers. La compagnie HB2 est alors composé de 5 garçons qui intègrent rapidement 7 filles d’origines maghrébines pour suivre les cours de danse.
Pour lui : « il n’y a pas de hip-hop féminin et de hip-hop masculin, c’est juste une danse basée sur le ressentie. Quand je parle d’un style féminin, c’est qu’elles ont une façon de bouger que les garçons n’auront jamais. Elles se sont mises à danser debout, en apportant le style à très bon niveau. Il fallait du travail, pour qu’elles s’imposent individuellement avec une marque de fabrique. Le seul obstacle que les femmes peuvent rencontrer, ce serait plus techniquement au sol tout en sachant qu’elles arrivent parfaitement à s’affirmer debout avec toutes leurs personnalités. »
La danse est alors un moyen d’affirmation et de discipline pour les danseuses d’HB2. Pour Stessy, 16 ans : « un bon danseur, c’est celui qui exprime la rage. » Shirine, 18 ans, puise ses références sont Ciara (chanteuse/danseuse) de la nouvelle génération au style proche du RNB, et Sofia Boutella (danseuse française). Selon elle, « les danseuses provocatrices dans les clips de rap n’ont rien à voir avec le hip-hop. » Quant à Kenza, 17 ans, elle utilise le hip-hop comme un moyen d’expression pour se sentir libre : « quand je parle de hip-hop au féminin, c’est le fait de s’exprimer debout, c’est plus libre, avec davantage de style ». Elle aime la danse au sol, mais elle en reconnaît la dureté. Pour l’instant, cela reste un loisir, mais elle veut vivre des moments d’expériences fortes.
hip-hop comme un moyen d'expression pour se sentir libre
Femme hip-hop, un atout. « Rapper face à une majorité de rappeurs est une force. » Pour Rima, « le fait que tu sois une fille, tu es beaucoup plus sollicitée pour les projets, cela devient un atout. J’ai rencontré dans ce milieu plus d’hommes que de femmes. » En grandissant, son style prend de la maturité « je dénonce aussi bien l’attitude des hommes et des femmes dans la complexité des relations humaines et amoureuses, sans toutefois prendre parti » comme elle l’exprime dans l’une de ses chansons. Isa L.Atipik (Djing) exprime pour sa part le sentiment d’être sur un pied d’égalité avec ses collègues « il n’y a pas de hip-hop au féminin, il faut faire tes preuves que tu sois une fille ou un gars. Il faut que le message me plaise. Mon rôle est celui d’épauler. Ma spécialité est Dj de groupe avec des rappeurs orienté scratch, c’est plus technique que le mix en soirée. » Elle s’adapte au son du groupe en trouvant des phases. Elle trace son chemin en participant à de nombreux concerts. On dit aussi bien dj que djette, mais elle ne l’indique pas et met directement son blaze.
Aujourd’hui, dans notre société, les femmes ont les mêmes droits que les hommes, mais dans la réalité bien des inégalités subsistent. Par contre, dans le hip-hop, même si on retrouve une majorité d’hommes, la femme peut trouver dans cette culture un puissant vecteur d’expression pour s’affirmer. Les clips de gangsta bling bling jettent de la poudre aux yeux pour endormir et rabaisser le sexe opposé. Et participe à dévaloriser cette culture aux valeurs nobles de prises de consciences et d’unification des gens au quotidien.
Nina Dia
Crédits photo :
- Isa L.Atipik et Nicolas Reverdito par Pierre Pignault ;
- Jean-Marie Gourreau, Thomas Guilhot, Zoubert Mikaël, Lee Clay, Institu Voz
Bloc-Notes
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