
Bar-bars : derrière le festival, un collectif revendicateur
Fragil rencontre deux membres du collectif
Chaque année au mois de novembre les cafés-concerts de Nantes organisent ensemble un festival de musique sur trois jours. Le festival en question n’est que la partie émergente de l’iceberg : le collectif qui réunit les différents lieux culturels de la nuit les rassemble pour affirmer l’existence d’une réalité commune. Fragil interroge deux membres du collectif pour en apprendre plus : Nicolas, chargé des événements à Culture Bar-Bars, et David, chargé de l’animation et de développement du réseau.
Comment est né le collectif Culture Bar-Bars ?
Nicolas : « Le collectif Culture Bar-Bars est né en 1999. C’était à la base la réunion d’une douzaine de patrons de bars qui organisaient des concerts à l’année et qui se sont dits "tiens, on n’a qu’à se faire un festoche juste de bars, où pendant trois jours on va se relayer non stop pour qu’il y ait 72 heures de musique dans nos lieux". Pour se replacer dans le contexte, en 1999 on est en pleine montée en puissance du secteur de la musique actuelle, les festivals avaient vraiment le vent en poupe, les assos étaient très présentes. On était encore dans le "tout est possible". Bar-bars sont partis à douze, puis ont trouvé écho autour des bars vendéens, bretons et bordelais. Ils ont dû faire deux ou trois éditions puis ça a dû s’arrêter deux ans pour un problème de financement. C’est reparti de plus belle et en 2005 et 2006, le festival est vraiment monté en puissance, et le collectif est devenu une fédération nationale. En affirmant cette dimension nationale, on s’est organisés en une douzaine d’antennes régionales regroupant 400 adhérents. »
Comment le phénomène a-t-il pu faire écho et se diffuser ?
Nicolas : « En tant que patron de bar, tu peux te dire "je vais faire des concerts, je vais m’éclater, ramener plein de monde et faire plein de thunes" mais en réalité ça ne marche pas comme ça. Ils sont quand même rares les cafés-concerts qui font de l’argent avec les concerts. De façon plus terre-à-terre, ce qui compte c’est d’abord l’emplacement et puis ensuite l’identité. Mais avec Culture Bar-Bars, tu pouvais regrouper des patrons de bars qui vivaient une réalité commune et qui avaient une passion en commun qui était la musique, ou les expos, ou le théâtre... mais en tout cas la culture ! Ils se sont ensuite rendu compte que partout en France des collègues à eux étaient dans la même passion, et c’est la façon dont le collectif est monté en puissance. »
Est-ce que le collectif est né pour le festival ?
Nicolas : « Non, le collectif n’est pas né pour le festival, mais ça a été un catalyseur. Ce n’est pas suffisant de se réunir pour se dire "on se reconnaît", il faut que cela se traduise dans l’action. Tu t’organises dans le "faire" et le concret. Mais le collectif est né dans le but de défendre la culture dans les petits lieux. Les années 2000 ont été marquées par la structuration des lieux et la crise des intermittents du spectacle. Cela a énormément fait évoluer le marché. Il n’y a jamais eu autant de groupes qu’aujourd’hui, les nouvelles générations ont toutes voulu faire de la culture et tout le monde peut s’y mettre grâce aux facilités dues aux nouveaux modes de transmission. Mais en parallèle le marché est devenu très difficile économiquement. »
Il n'y a jamais eu autant de groupes qu'aujourd'hui, les nouvelles générations ont toutes voulu faire de la culture
Quels sont les aspects mis en avant par la charte du collectif ?
Nicolas : « La charte du collectif peut se distinguer en trois approches : culturelle, économique et sociale. Si on veut que la musique reste créative, il faut encore qu’elle ait des lieux d’émergence. Même s’ils ne sont pas les seuls, les bars restent les principaux lieux d’émergence. Dans les politiques publiques, la question des bars n’est jamais traitée, parce que ce sont des commerçants. Dans les débats, les petits lieux étaient peu, voire pas représentés. Ce sont pourtant des lieux qui sont importants pour les petits groupes, car qu’on le veuille ou non, on s’arme sur scène.
On pose aussi la question de l’économie de ces petits lieux, qui reste en générale précaire. En 2008 il y a eu une première rencontre nationale des cafés-culture, qui réunissait syndicats, politiques publics et acteurs. Eric Lejeune, qui est le fondateur historique du collectif, avait à ce moment-là demandé un cadre légal de bon sens. La puissance publique est devenue de plus en plus exigeante sur le cadre légal et la structuration, ce qui peut être une bonne chose en soi. Mais il y avait des abus : dès qu’ils faisaient plus de six concerts, les bars se retrouvaient souvent requalifiés en salle de spectacle. Qu’on aille vers le cadre légal, tant mieux, mais ces endroits restent des bars. Là, on demande à des privés de s’adapter, de payer l’étude d’impact et les travaux nécessaires, ce qui pose un réel problème économique. Les règles sont posées sur la base d’établissements publics. Tu ne peux pas mettre dans le même panier la multinationale et le commerçant, et il existe aussi d’autres réalités intermédiaires. C’est en train d’évoluer, grâce au travail de la fédération justement. On a espoir de voir émerger au niveau national en 2014 le dispositif d’aide à l’emploi artistique qui est expérimenté depuis deux ans dans les Pays de la Loire. Et ça, c’est grâce à cinq ans de travail.
On pose aussi la question de l'économie de ces petits lieux, qui reste en générale précaire
Sur l’aspect social, on voulait insister sur le fait que ces lieux avaient une fonction. Ce sont des régulateurs du monde de la nuit : ce sont des espaces de rencontres, où des couples se forment, où des couples se déchirent, où ceux qui n’ont pas les moyens d’aller voir leur psy peuvent venir voir leur patron de bar... Les bars sont importants pour continuer à vivre ensemble et accepter la différence. »
Quelles actions concrètes sont menées par Bar-Bars en dehors du festival ?
David : « Le collectif fait de l’accompagnement auprès des adhérents sur diverses questions : comment obtenir la licence d’entrepreneur du spectacle ? Comment s’inscrire au GUSO (le guichet unique du spectacle occasionnel) pour favoriser l’emploi des artistes ? Comment accéder au dispositif d’aide à l’emploi artistique des Pays de la Loire ? On intervient à ce moment-là auprès des adhérents pour les aider à constituer leur dossier, c’est un côté pratique.
Le collectif va aussi créer un lien entre les adhérents qui permet de les aider au niveau de leur diffusion culturelle. Si un adhérent recherche par exemple un groupe de rock’n’roll, on peut les orienter vers les établissements qui ont pour habitude de diffuser du rock’n’roll. Quand on a des nouveaux adhérents, on peut ainsi les orienter vers les collègues. Tout ça, c’est important, car à Nantes, on défend la complémentarité musicale entre les lieux.
On met aussi en place des ateliers communs : ça va de comment j’organise un concert à comment je peux me régulariser au niveau de la SACEM, ou encore poser une réflexion sur la gestion de l’espace public au niveau de la vie nocturne. »
Quelle rôle peut jouer Bar-Bars au sujet des problématiques liées à la vie nocturne ?
David : « On intervient auprès de la ville de Nantes sur certaines réflexions. Les questions vont du plan alcool initié en 2008 à la mise en place de la commission de sécurité du hangar à bananes. On travaille aussi beaucoup avec les veilleurs de soirées pilotés par Avenir Santé. On part aussi du principe que quand on parle de nuisances, c’est trop facile de porter plainte contre un établissement. On est dans une grande ville, qui plus est étudiante. Une ville, aujourd’hui, est pensée pour le jour et non pas pour la nuit. On fait partie, de ce fait, de commissions de santé publique, de commissions de transports... on avait travaillé avec la TAN au niveau de la Luciole. Quand il faut, on propose aussi des médiations entre riverains et les lieux pointés du doigt (que ça soit justifié ou pas). En 2014, on va reprendre des réunions avec les associations de riverains par quartier : le problème de Bouffay est différent du problème de la rue Bon Secours ou encore de Graslin. »
Quel avenir est envisagé pour le collectif et son festival ?
Nicolas : « Il est difficile de parler de l’avenir du collectif d’une façon générale. Il y a déjà Nantes et le reste de la France : le parti pris nantais est propre à son territoire. Toulouse, par exemple, n’envisage pas le même développement quantitatif au niveau des cafés-concerts. C’est dans la tradition nantaise d’être extrêmement ouvert dans la diversité des genres musicaux et des lieux.
Assez concrètement, on sait aussi que l’avenir du festival doit passer par un autre mode de gouvernance. Aujourd’hui, le festival est géré par une seule personne avec une équipe de salariés. Cette personne référente est nantaise, et vu que les réalités sont différentes en fonction des villes, on a intérêt – et on devrait tendre vers ça dès 2014 – à se créer un petit groupe avec un patron de bar de Lille, de Paris, de Toulouse, etc.
Tu pourrais croire qu'il n'y a pas grand-chose qui puisse rassembler ces lieux, mais ce qui les rassemble c'est Culture Bar-bars
D’autre part, il ne faut jamais oublier que Culture Bar-bars est un réseau a des mondes à l’intérieur. Tu as les cafés de jour, les cafés qui font du concert occasionnellement, tu a les cafés qui font du concert mais qui n’ont pas d’espace dédié et pas de technique qui reste sur place, et tu as aussi la nouvelle génération de lieux, les clubs (le Ferrailleur par exemple), inspirés du modèle Parisien. Tu pourrais croire qu’il n’y a pas grand-chose qui puisse rassembler ces lieux, mais ce qui les rassemble c’est Culture Bar-bars. Avec ces différents lieux, quand on parle de la culture, on est d’accord, quand on parle du modèle économique, on est d’accord, et sur l’aspect sociétal, on est d’accord. C’est un des enjeux de Bars-bars de demain de pouvoir garder tout ce petit monde ensemble. »
Interview réalisée par Benoît Ono
Crédit photos : Collectif Bar-bars et Elvissa
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses