
Éclats musicaux au festival de Saint-Céré
Don juan emporté par un rideau de théâtre
L’édition 2013 du festival de Saint-Céré a offert une palette d’émotions riche en contrastes, dans une atmosphère chaleureuse et authentique. Les spectacles sont repris durant l’hiver, dans le cadre des tournées d’opéra éclaté, et l’opéra de Massy affichera deux des propositions phares de cet été : «  Lost in the stars  » de Kurt Weill, rebaptisé «  Un train pour Johannesburg  » le 7 février 2014 et «  Don Giovanni  » de Mozart, dans une nouvelle mise en scène d’Eric Perez, du 5 au 9 mars. Une occasion de goà »ter aux saveurs d’une manifestation très attachante, où l’opéra se décline autrement…
Ce qui frappe d’emblée en découvrant le décor de ce nouveau Don Juan selon Eric Perez, c’est l’atmosphère très théâtrale qui émane du plateau. Des robes écarlates sont suspendues à des cintres sur plusieurs niveaux, comme un témoignage des conquêtes amoureuses du séducteur, mais aussi comme l’annonce du spectacle à venir. C’est un hommage au théâtre, et à tous les Don Juan, de Tirso de Molina à Molière, et c’est surtout l’affirmation du jeu avant toute autre chose. Cette impression est renforcée par les textes parlés, à la place des récitatifs. Ces nombreux costumes de théâtre, de femmes que nous ne verrons pas toutes (Dans son air du catalogue, Leporello en dénombre 1003 en Espagne !), placent le spectateur dans les coulisses de la trajectoire frénétique de Don Juan, face à ce qui reste des actrices éphémères de sa vie. Le spectacle joue sur la métaphore du théâtre, en un fascinant mouvement perpétuel entre réalité et illusion.
Dès le début de l’opéra, le libertin s’impose par une force instinctive et animale
Un lion en cage vêtu de blanc
Dès le début de l’opéra, le libertin s’impose par une force instinctive et animale.Les deux scènes de la confrontation entre Donna Anna et Don Juan, l’une après le viol et l’autre lors de la mort du commandeur venu sauver l’honneur de sa fille, s’enchaînent en un véritable tourbillon. Le séducteur, vêtu de blanc, a un côté adolescent, et ses gestes brutaux et irréfléchis créent un inquiétant contraste avec la pureté du costume. Il prend la fuite après avoir tué le commandeur, tel un ange de mort qui passe comme un mauvais rêve. Don Ottavio, fiancé de Donna Anna, jure, près de la dépouille du père, étendu à terre, qu’il vengera sa mort. Le déplacement de son air Dalla sua pace, juste après le fatal duel, donne davantage de densité à un personnage qui ne se vit que dans deux airs et auquel le ténor David Ghilardi apporte un chant plein de ferveur et de lumineuse compassion.
Face à des êtres qui attendent vainement ce que le séducteur ne peut leur donner, Don Juan brûle sa vie dans un état de perpétuelle urgence. Il mêle, dans une même frénésie, ce qu’il ressent de la réalité, avec le jeu et la fête, en donnant à sa trajectoire enfiévrée les gestes d’un félin. Christophe Gay se glisse dans l’itinéraire de cette figure insaisissable et tourbillonnante, par un jeu débordant d’énergie et de contrastes. Sa voix est riche de couleurs changeantes et belles, et la sérénade est un pur moment de grâce. Torse nu dans une lumière crépusculaire, il offre un chant d’une grande pureté, parfois proche du murmure, pour l’une des plus belles pages de Mozart, restituée ici dans une troublante sensualité. On pressent la solitude glacée du personnage, quand le masque tombe un peu. Jean-Loup Pagésy trouve des accents d’outre-tombe pour la voix du commandeur devenu statue, et son injonction s’élève en des notes chargées de lumière, dans la promesse d’une rédemption possible, face à celui qui la refuse. La dernière scène clôt la métaphore du théâtre en faisant de Don Juan le spectateur du désastre de sa vie. Il se fait emporter par une immense toile, linceul ou rideau, qui le jette hors du plateau, comme un acteur sorti de scène. Il s’assied sur une chaise et regarde ceux qu’il a détruits qui se tiennent sur les tombes de leurs espoirs brisés, et de tout ce qu’il avait pu représenter pour chacun. L’image est saisissante. La danse de mort dans laquelle il les a entraînés s’achève là où un autre théâtre commence. Du fond de son tombeau, le séducteur s’en amuse, et applaudit avec détachement et cynisme.
Une fête de la musique
Torse nu dans une lumière crépusculaire, il offre un chant d'une grande pureté
La distribution réunie pour ce Don Juan soutient la ferveur de la mise en scène, et tous s’engagent avec une même énergie. Marlène Assayag apporte à la figure blessée de Donna Anna de vertigineux aigus, qui projettent l’irréparable deuil vers des régions inatteignables. Carol Garcia est une brûlante Donna Elvira, passionnée jusqu’à l’aveuglement, et prête à tout, dans un chant ardent, pour sauver celui qu’elle ne cesse d’aimer. Marion Tassou, qui était Pamina dans La Flûte Enchantée mise en scène par Eric Perez, construit une émouvante Zerlina, et donne de beaux accents à la naissance du trouble amoureux. Dominique Trottein dirige l’orchestre avec de belles nuances, et un sens évident du théâtre. Au cours de la même semaine, on a pu voir le chef d’orchestre s’investir avec un semblable engagement dans les répertoires les plus diversifiés, des chansons d’Edith Piaf qu’il avait réorchestrées au Train pour Johannesburg, et de ce Don Juan à une reprise de l’étourdissante Belle de Cadix créée en 2010. C’est dans ce mélange des genres, associé à une exigence de qualité, que réside la grande force du festival. Un véritable tourbillon de musique et de théâtre !
Au cours de la même soirée, Eduarda Melo, explosive Rosine du barbier de Séville mis en scène par Jean-François Sivadier à Lille, offrait des aigus étincelants au Stabat Mater de Boccherini dans une interprétation totalement habitée, avant de retrouver la figure haute en couleur, sortie d’un film d’Almodovar, de Maria Luisa de la belle de Cadix. À ses côtés, Andrea Giovannini, qui faisait partie de la réjouissante troupe de la Vedova Scaltra de Wolf-Ferrari à l’opéra de Nice en 2007, lui donnait de savoureuses répliques, pleines de joyeuse autodérision, avec un rythme frénétique et une voix lumineuse. Le Stabat Mater de Boccherini, d’une profonde intensité, précédait une exécution pleine de ferveur des Quatre Saisons de Vivaldi, à l’église Sainte Spérie de Saint-Céré. Le concert était dirigé, avec de belles nuances, par Mirella Giardelli, qui était aussi pianiste pour un mémorable Concert de quintettes pour piano et vents de Mozart et Beethoven, dans l’abbatiale de Beaulieu sur Dordogne. Portée par deux oeuvres aux correspondances fascinantes, elle y insufflait, du piano, l’air que respiraient les musiciens à vent, une pulsation, comme un cœur qui bat, s’agite ou se tempère avec quelques beaux instants de silence dictés par l’instrument. Mirella Giardelli était chef de chant et claveciniste de la mythique Platée mise en scène par Laurent Pellly au Palais Garnier et du Couronnement de Poppée proposé par Klaus Michael Grüber en 1999, au festival d’Aix-en-Provence. C’est une immense artiste. Saint-Céré a offert une véritable fête de la musique pour l’édition de 2013 de son festival. Celle de 2014 nous réserve aussi quelques jolies surprises, avec notamment une reprise de Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti au château de Castelnau, Le voyage dans la lune de Jacques Offenbach, et Cabaret, la célèbre comédie musicale, qu’Olivier Desbordes mettra en scène. La promesse d’émotions intenses !
portrait de Christophe Gay à l’issue de la représentation.
Christophe Gervot
Crédit photo : Nelly Blaya pour la compagnie du Théâtre Eclate & Alexandre Calleau pour le portrait de Christophe Gay
Bloc-Notes
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