
FESTIVAL
Un génocide qui ne dit pas son nom
Nouvelle édition du Festival Ciné Alter’Natif qui promeut le cinéma amérindien et met ainsi en lumière le combat des Premières Nations pour la défense de leur territoire.
Nous avions laissé l’an passé la tribu des Swinomish aux prises avec deux compagnies pétrolières qui avaient contaminé leur territoire dont les palourdes et les crabes qui constituent leur alimentation de base. Et où trois jeunes adolescents, caméra embarquée, étaient allés interpeller des politiques jusqu’au Congrès américain pour tenter de les sensibiliser à cette situation.
Le combat continue
Cette année encore, on retrouve de nouvelles tribus en proie à des difficultés de défendre leurs droits, leur terre, leur survie sur un territoire convoité par des multinationales pétrolières ou autres conglomérats industriels. Les colons des temps modernes ne sont plus des États européens en quête de suprématie géopolitique et stratégique. Sans doute bien plus puissantes encore, ce sont aujourd’hui des sociétés capitalistes à l’échelle internationale pour qui seule compte la loi de l’argent qui réglemente ce marché qu’est devenue la planète. Que peuvent ces peuples autochtones sans cesse bafoués depuis l’arrivée des premiers colons face à ces géants qui n’ont que faire des accords signés il y a deux cents ans pour leur conférer un territoire ?
Les sables bitumineux
Le Canada renferme la plus grande réserve de sables bitumineux au monde. A l’heure où les cours du pétrole n’ont jamais été aussi élevés et la menace de pénurie répétée à l’envi au même titre que les prédictions sur la fin du monde, cette nouvelle source pétrolière est vécue comme une véritable ruée vers l’or noir.
Le sable bitumineux est constitué comme son nom l’indique d’un mélange de bitume (ou pétrole épais), de sable et d’argile. Situé en profondeur, son extraction, très lourde, nécessite tout d’abord de raser des forêts entières qui le recouvrent. Par la suite, deux méthodes sont employées selon la profondeur à laquelle est situé le sable bitumineux. Soit à ciel ouvert à l’aide de grandes quantités d’eau chaude et de vapeur pour séparer le bitume du sable et rendre celui-ci exploitable. Soit en envoyant de fortes quantités de vapeur d’eau chaude sous haute pression en sous-sol permettant ainsi au bitume plus visqueux d’être récupéré.
Dans chaque cas, l’extraction a des conséquences écologiques désastreuses et irréversibles. En plus de dégager des taux élevés de gaz à effet de serre du fait de l’énergie considérable qu’elle consomme, il est aisé de comprendre les dégâts causés sur l’environnement par de la vapeur à 300° envoyée en sous-sol sous haute pression. La terre ainsi cuite n’est plus qu’une vaste friche morte et aride. D’après les estimations, la superficie de cette extraction représenterait un territoire équivalent à la Grande-Bretagne. Les associations écologiques déplorent enfin le prix payé par l’environnement pour bénéficier de cette ressource pétrolière équivalant à 50 années de consommation. Exactement le temps d’espérance de vie laissée au caribou dont l’espèce est condamnée à disparaître si rien n’est fait.
Que peuvent par conséquent quelques milliers d’autochtones contre les besoins de plus d’un milliard de Chinois ?
Le cas Enbridge
C’est sur cette base que deux documentaires canadiens présentés lors du festival ont choisi d’évoquer chacun des nations autochtones confrontées à cette situation. Le court-métrage Extraction de Myron Lameman démontre avec beaucoup d’efficacité et de justesse le combat entrepris par des tribus contre l’expansion de l’extraction de sables bitumineux sur leur territoire.
Le film Votre voix, Notre futur s’intéresse à la tribu Wet’suwet’en opposée quant à elle à la construction par la compagnie pétrolière Enbridge d’un oléoduc chargé de transporter le pétrole brut des sables bitumineux vers le Pacifique. Se succèdent ainsi à l’écran de nombreux membres de cette nation, toutes générations confondues, qui viennent témoigner contre cette défiguration de leurs territoires avec les inévitables effets de pollution sur l’environnement. Une fuite de cet oléoduc pourrait contaminer les eaux qui le traversent et ainsi la rendre non seulement impropre à la consommation, mais anéantir également les nombreux poissons essentiels à l’alimentation de ces peuples. La compagnie Enbridge, par la voix de son président, ayant ouvertement fait savoir qu’elle ne pouvait garantir aucune fuite de son oléoduc. Pour cette dernière, ce complexe représente une manne considérable qui lui permettrait de faciliter ses échanges avec la Chine pour ce pétrole ainsi acheminé.
Que peuvent par conséquent quelques milliers d’autochtones contre les besoins de plus d’un milliard de Chinois ?
Le mirage de l’eldorado québécois
Le troisième court-métrage, Blocus 138, présenté dans le cadre de cette soirée « Canada : Idle no more ! » a été tourné le 9 mars 2012. Alors qu’un groupe d’autochtones bloque depuis une semaine la route 138 pour protester contre l’implantation de la compagnie Hydro-Québec sur la rivière Romaine, la province du Québec leur envoie son escouade anti-émeute pour les déloger. Réalisé par Junior Leblanc, ce petit film réussit en un temps très court à dégager avec force toute l’émotion et la colère exprimées par cette tribu innue. On y voit essentiellement des femmes et des adolescents interpeller les forces de l’ordre avant que l’une d’entre elles ne s’effondre en larmes dans les bras d’une autre. Un témoignage bouleversant de désespoir auquel le spectateur assiste impuissant.
Présente sur le festival, Nahka Bertrand, d’origine québécoise, travaille pour le Wapikoni Mobile, cette société qui forme de jeunes amérindiens aux métiers du cinéma et qui distribue leurs films à travers le monde. Elle a rappelé ce soir-là ce qu’on a appelé le « Printemps érable », ces manifestations très dures de jeunes étudiants québécois qui protestaient contre l’augmentation des frais de leur scolarité universitaire. Pour seule réponse, le gouvernement fera passer une loi interdisant les piquets de grève et les manifestations dépassant cinquante participants. Abrogée depuis grâce au tollé international. En substance, voilà surtout le sombre revers de la médaille qu’offre le Québec, souvent adulé et convoité (à tort) par beaucoup de Français en mal d’exotisme. Cette petite province, de plus en plus imprégnée par le système ultra-libéral américain et canadien, prend sans complexe fait et cause pour les intérêts financiers de compagnies comme Hydro-Québec dont elle est l’actionnaire unique. Et pour asseoir définitivement cette suprématie, le gouvernement s’est fait une spécialité dans la rédaction de lois dites omnibus (un système législatif utilisé aux États-Unis et au Canada, mais qui n’existe pas en France) qui permet à une loi de s’appliquer de façon transversale et non plus vers un seul champ d’application en touchant à la fois la justice, l’éducation, la fiscalité, et les affaires sociales par exemple. Un pouvoir coercitif qui devient du coup beaucoup plus laborieux à contester.
Cory Mann a comparé l’extinction progressive des Premières Nations à l’envahissement et l’extermination nazie en Europe
Fish’n joke
La perte d’un territoire traversé par de nouvelles infrastructures se retrouve également au centre du film-documentaire, Smokin’ Fish, de Cory Mann, présent sur le festival. D’origine Tlingit (Alaska), ce réalisateur au parcours détonnant décide de relancer le fumoir à saumon de sa grand-mère aujourd’hui détruit et traversé par une route. Un plan séquence lourd de sens dans le film qui, malgré beaucoup d’humour et d’autodérision, ne peut échapper au sentiment de colère et de révolte face au mépris destructeur d’une société civilisée et moderne. Interrogé par le public nantais après la projection de son film, Cory Mann a comparé l’extinction progressive des Premières Nations à l’envahissement et l’extermination nazie en Europe. Émoi palpable dans la salle. Certaines tribus qui comptaient plusieurs dizaines de milliers de membres avant l’arrivée des premiers colons n’en comptent plus aujourd’hui que quelques centaines. La colonisation a également apporté son flot de fléaux comme l’alcool, la drogue ou les maladies virales telles la rubéole. Lorsque l’Alaska fut vendu par les Russes aux Américains en 1867, les peuples autochtones qui y habitaient ont également été cédés, rappelle la tante de Cory Mann dans son film. Et on ne leur a jamais demandé leur avis.
La plupart des situations évoquées au travers de ces films font aujourd’hui l’objet de procédures de recours auprès des tribunaux et autorités compétentes. Elles doivent en revanche faire face à des multinationales aidées d’une armée d’avocats prêtes à tout pour arriver à leurs fins. Un combat humblement résumé par un autochtone : « Nous devons rendre ce qu’on nous a légué en meilleur état qu’on ne l’a trouvé. »
Jérôme Romain
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