
ENQUÊTE
Un Voyage qui ne manque pas d’air
Comprendre l’art au Voyage à Nantes
Avant l’entrée en scène de l’édition 2013, d’Estuaire au Voyages à Nantes, tentons de comprendre : comment l’art a-t-il renversé la ville ? Rencontre avec David Moinard, son programmateur artistique.
Faut-il voir un défaut d’orgueil lorsque la ville de Nantes affiche crânement son van de marque allemande aux abords de la gare Montparnasse pour appeler à venir la visiter ? Il faut bien avouer qu’elle n’a pas lésiné sur les moyens pour promouvoir sa communication façon tour operator. De luxueux guides en papier glacé, de multiples prospectus à l’effigie des endroits marquants du Voyage (Voyage à Nantes), des pubs encartées dans les magazines du TGV, de la promo dans les offices de tourisme des principales grandes villes... Mais tout ça pourquoi au juste ?
Un peu d’histoire
Avant tout, il faut revenir aux origines du long cheminement qu’a été la mutation culturelle de la ville depuis ces vingt dernières années. Après la fermeture de ses chantiers navals et de l’usine LU, la ville de Nantes, sous l’impulsion de Jean-Marc Ayrault, fraîchement élu, choisit de s’orienter vers la culture confiée à Jean Blaise. Ainsi dans l’usine de biscuiterie naîtra le Lieu Unique, scène nationale que ce dernier dirigera. Et sur le terrain des chantiers navals, de nouvelles machines de l’île feront leur apparition avec un monumental et imposant éléphant qui foulera un large territoire que certains auraient préféré transformer en quartier d’affaires, façon La Défense. En 2007, Jean Blaise crée le programme Estuaire. Un ambitieux projet culturel étalé sur plusieurs années (un mandat municipal ?) qui s’étend de Nantes à Saint-Nazaire et dont l’objectif est de réapproprier là encore ce vaste territoire à des œuvres colossales et pérennes. Daniel Buren y installera par exemple des Anneaux multicolores, quai des Antilles. Pour Jean Blaise, « la culture est à la fois un vecteur de cohésion sociale et de développement économique ainsi qu’un moyen de reconquête de lieux inattendus. »[1[(source Les Echos, mars 2007)]]
Et puis le VAN souffla
Cinq ans plus tard aboutit le Voyage à Nantes. L’ambition affichée est de faire de la ville de Nantes une destination touristique en s’appuyant sur l’art. Huit millions d’euros consacrés à l’édition 2012, un peu moins qu’en 2007. Dont 5 millions uniquement consacrés au VAN, les 3 millions restant se répartissant entre le Lieu Unique, les Beaux-Arts, et autres institutions partenaires... De nouvelles œuvres complètent le dispositif Estuaire. Des artistes d’envergure internationale sont appelés pour créer de nouveaux projets. Tel le Japonais, Tadashi Kawamata et son Observatoire à Lavau, ou l’emblématique et fascinant Serpent d’Océan situé sur la plage de Saint-Brévin par Huang Yong Ping, artiste d’origine chinoise. « Je m’appuie d’abord sur le choix des sites pour ensuite faire des propositions d’artistes qui viendront ensuite proposer une œuvre », explique David Moinard, programmateur artistique. « Ce sont des choix évidemment subjectifs. Ma sensibilité et la connaissance que j’ai de tel ou tel artiste entrent en jeu. »
Ce sont des choix évidemment subjectifs. Ma sensibilité et la connaissance que j’ai de tel ou tel artiste entrent en jeu.
De l’art des choix
La sélection des artistes invités pour le VAN c’est donc lui. « J’essaie d’inviter autant d’artistes qui n’ont jamais exposé en France que d’autres très connus. Il y a aussi un équilibre dans l’origine des artistes en les choisissant aussi bien venant de Nantes que de beaucoup plus loin dans le monde. J’essaie toujours de trouver un équilibre dans la diversité des médiums pratiqués en montrant que l’art ne se limite pas, loin de là, à la peinture ou à la sculpture. On continue d’explorer des formes très différentes de pratiques artistiques. » De grands noms se partagent donc l’affiche du VAN avec des artistes locaux. Cependant, sans pour autant s’imposer de proportion minimale, il serait pour le moins fâcheux qu’il n’y ait pas d’artistes de Nantes dans ce voyage qui lui est consacré... « J’invite avant tout des artistes », explique David Moinard. « C’est important de montrer ce qu’il se passe ici en terme de créativité, mais je ne me fixe pas de quota. Il y a toujours des représentants de la créativité comme le collectif Polyèdre (dont fait partie la galerie RDV, ndlr) l’an passé, ou Mathias Delplanque pour cette année qui est créateur sonore. Il y a une volonté de montrer ces artistes relativement peu soutenus dans la région. » La sélection reste donc le fruit du travail de David Moinard et de son équipe, et en aucun cas une sélection sur catalogue ou suivant la cote des artistes choisis. « Je ne m’appuie pas sur le marché. Ce qui prime c’est l’intérêt qu’ont ces artistes à agir dans l’espace commun. Que l’artiste soit connu ou pas, c’est la même simplicité qui se déroule au moment de la création de l’œuvre. »
Un parcours fléché
La ligne rose de 2012, chemin tracé pour suivre les œuvres sur le parcours du Voyage à Nantes, avait sous certains aspects un côté ludique et amusant. Souvent élancée et droite à fière allure sur l’île lui conférant presque un côté disciplinaire et autoritaire, on la retrouvait plus frivole et agitée du côté du Lieu Unique où elle semblait avoir enfilé les mojitos jusqu’à plus soif. D’esprit forcément taquin, on ne peut cependant s’empêcher de se demander si ce parcours du combattant n’excluait pas du coup la curiosité qu’on espère spontanée chez le touriste, à qui on impose de fait ce qu’il doit voir. Pour David Moinard, « ce parcours relie les institutions culturelles et artistiques de la ville, les éléments du patrimoine historique, du patrimoine architectural contemporain. C’est le long de ce parcours que l’on choisit de faire un focus particulier sur tel ou tel endroit et aussi de faire des surprises, de faire découvrir des lieux qui jusque là n’étaient pas ouverts au public. » Et que ceux (bars, restos, ou autres initiatives locales) qui ne sont pas montés dans le VAN n’existent pas du coup ? « Les gens ne sont pas enchaînés ! Ils peuvent très bien faire des échappées à droite à gauche. » Nous voilà rassurés. Pour cette année, la ligne sera verte. En cause, Nantes green capitale verte européenne.
Les œuvres Estuaire sont indéboulonnables ! Nous n'avons jamais invité des œuvres, nous avons invité des artistes à venir créer des œuvres pour ces sites
Quel avenir pour Estuaire ?
2012 fut la rencontre entre les œuvres sélectionnées dans le programme Estuaire et la mise en place du Voyage à Nantes. Ce qui explique en partie son budget conséquent. 2013 se limitera pour sa part au seul Voyage à Nantes, mais comment comprendre la distinction entre les deux ? « Estuaire n’a pas été avalée par le Voyage à Nantes comme on l’entend parfois », précise David Moinard. « C’est une entité propre avec sa ligne artistique. Dès les originaires d’Estuaire, on a voulu créer une manifestation à la fois évènementielle sur trois éditions, en 2007, 2009 et 2012. Mais aussi structurantes qui s’intègrent au territoire et qui viennent le mettre en relief. On a donc créé un certain nombre d’œuvres pérennes, 28 au total, et d’autres éphémères qui viennent compléter ce panorama. » L’évolution prévue cette année peut pour le moins surprendre. Une entreprise qui voulait installer son siège sur l’île de Nantes dans le quartier de la création se retrouve aujourd’hui dans le programme ! « C’est une opportunité qui s’est présentée à nous », concède David Moinard. Certes ce sera une œuvre architecturale, mais tout de même... Et David Moinard d’enfoncer le clou : « C’est emblématique de la suite d’Estuaire. On oublie l’événement. Il n’y aura plus de biennale récurrente, mais un enrichissement de la collection selon les opportunités qui se présenteront. »
Des œuvres vraiment exclusives ?
Si les œuvres produites pour le VAN et Estuaire sont à priori exclusives, rien n’empêche pour autant un artiste d’aller refaire une œuvre similaire ailleurs. « Les œuvres Estuaire sont indéboulonnables ! Nous n’avons jamais invité des œuvres, nous avons invité des artistes à venir créer des œuvres pour ces sites », se défend David Moinard. « C’est un processus artistique très long. Pour prendre l’exemple du Serpent de Huang Yong Ping, le premier repérage que j’ai fait avec lui remonte à 2009. » N’en déplaise à David Moinard, Huang Yong Ping est pourtant aller reproduire un serpent quasi identique au Queensland Art Gallery à Brisbane, en Australie, dans le cadre de la 7ème ATP (Triennale Asie-Pacifique). « Mais la liberté intellectuelle est un droit fondamental de l’artiste qui est tout à fait libre de reproduire une œuvre ailleurs. Le Bateau Mou comme on l’appelle maintenant, d’Erwin Wurm, sur le canal de la Martinière a été reproduit dans d’autres endroits, et ça il en a le droit », finit-il par concéder.
Un édition 2013 plus restreinte
Plus que 3 millions d’euros de budget pour cette année, du coup seuls huit nouveaux artistes viennent créer la surprise parmi les œuvres pérennes. Dont le Suisse, Felicé Varini, qui expose au Hangar à bananes, et que l’on retrouvera aussi dans les cryptes de la cathédrale ou aux vitrines des Galeries Lafayette. Grand écart. Mais encore Isaac Cordal, artiste urbain espagnol, « l’exemple d’un artiste qui n’a jamais exposé en France » selon David Moinard, que l’on retrouvera quant à lui au Temple du goût, dans le quartier Bouffay, ou encore dans les douves du Château des Ducs. Citons encore Olivier Darné, de Seine-Saint-Denis, défini comme artiste apiculteur avec son fameux « miel béton », et associé pour l’occasion à La Cantine, le projet qui succède à Crêpetown. Il y publiera un journal baptisé Humeur, Humus, Humain, discours engagé et enragé où le contenu de nos assiettes devient un engagement politique et citoyen.
En misant autant, la ville de Nantes n'exclut-elle pas de fait celles et ceux qui n'en font pas partie ?
Et les p’tits LU dans tout ça ?
À défaut de propulser en tête de gondole les artistes locaux, le VAN solliciterait-il en revanche le tissu associatif ou économique local ? « Pour Tadashi Kawamata, le processus de rencontre avec un territoire humain est aussi important que l’œuvre elle-même. C’est totalement intégré à son processus créatif », explique David Moinard. Et d’ajouter que l’immense majorité des œuvres ont été réalisées par des entreprises locales spécialisées dans le traitement des matériaux concernés. « Pour Erwin Wurm, ce sont les Chantiers de l’Esclain à Nantes qui ont réalisé le bateau selon les plans de l’artiste. » Et à ceux qui reprochent au VAN son coût exorbitant sans réelles retombées économiques, David Moinard met justement en avant ces exemples qui justifient le contraire d’après lui et qui représenteraient 60% du budget global du VAN. Il pointe aussi du doigt la notoriété symbolique de la ville, difficilement chiffrable cela dit. « Il a été démontré de façon très claire que Nantes a été l’an passé la seule ville de France qui a vu sa fréquentation touristique augmenter. » Là encore les études sur le sujet se contredisent car la fréquentation d’une ville se réfère aux nuitées des hôtels et se limite par conséquent à de grossières fourchettes de chiffres, voire des décomptes à la louche. Si l’on se réfère à une source officielle comme la DGCIS (direction générale de la compétitivité de l’industrie et des services), la fréquentation des lieux touristiques est en revanche plus précisément chiffrée notamment à l’aide des billetteries d’entrée.
Au-delà des chiffres, l’imposant budget consacré à Estuaire puis au Voyage à Nantes nous interpelle tout de même. En misant autant, la ville de Nantes n’exclut-elle pas de fait celles et ceux qui n’en font pas partie ? Les cafés concerts, les bars, certaines associations culturelles de plus en plus précaires, et les initiatives locales qui ne rentrent pas dans le concept du VAN qui devient aujourd’hui la carte de visite officielle de la ville. La culture est aussi un combat.
Jérôme Romain
Bloc-Notes
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