
CINÉMA
Un amour de radio
La Maison de la Radio par Nicolas Philibert
Immersion au cœur de la Maison ronde à la rencontre de ses hommes et de ses femmes qui créent la radio publique au quotidien.
Le film s’ouvre sous la forme d’un zapping où s’enchevêtrent les voix de Patrick Cohen, Thomas Legrand, Bruno Duvic, Bernard Guetta, Mickaël Thébault, Marc Fauvelle, ou encore celle de François Morel. Des noms familiers pour qui se réveille chaque matin avec la matinale de France Inter. Avec ces quelques secondes, on comprend dès lors ce lien si particulier qu’entretient chaque auditeur avec la radio. Média de proximité et d’accompagnement que chacun peut emporter n’importe où et qui partage l’intimité de notre quotidien. La radio est pour beaucoup le premier son qui réveille ou qui aide à s’endormir. C’est également le seul média qui permet d’exercer une autre activité tout en l’écoutant. La radio est ainsi devenue au fil du temps le média que l’on écoute à la fois dans la salle de bain, la cuisine, la voiture, au travail, dans les transports en commun…
Une déclaration d’amour
Par ce film-documentaire, le réalisateur Nicolas Philibert adresse une véritable déclaration d’amour à la radio, et au service public en particulier. Dans ce brouhaha que constitue aujourd’hui la bande FM surchargée, les antennes de Radio France continuent d’être un groupe en marge des codes marketing et des régies publicitaires qui ont bien souvent remplacé le travail des directions des programmes de la plupart des radios privées. Le documentaire démontre, si tant est qu’il était besoin de le prouver, qu’on ne vient pas sur une radio de Radio France par hasard. On y adhère. On n’écoute pas France Musiques et encore moins France Culture sans y être sentimentalement attaché. Nicolas Philibert rend à ce point d’ailleurs un hommage appuyé et éminemment mérité aux personnels de ces antennes qui chaque jour fabriquent des programmes, des émissions, de l’information. Rarement le mot artisanat a aussi bien collé au travail de ces équipes que l’on voit au début du film s’engouffrer dans les ascenseurs de la Maison ronde comme dans une fourmilière après avoir passé les portiques de la sécurité. Ce qui frappe enfin dans la globalité des séquences c’est que la radio reste avant tout un média de l’écrit. Pas un journaliste, pas un présentateur, pas un comédien, pas un musicien sans son texte ou sa partition.
Une ville dans la ville
La Maison de la Radio (souvent appelée Maison ronde) est le bâtiment, inauguré en 1963, situé avenue du Président Kennedy dans le XVIe arrondissement de Paris, qui abrite les antennes de Radio France depuis 1975. Hormis France Inter délocalisée à proximité, rue Mangin, depuis les travaux de réhabilitation du bâtiment entamés en 2005. Conçue par l’architecte Henry Bernard, la Maison de la Radio a la particularité d’être un bâtiment circulaire de 500 mètres de longueur avec une tour centrale de 68 mètres de hauteur. On ne saurait aujourd’hui dissocier Radio France de son emblématique bâtisse, et inversement. Au sein du documentaire, celui-ci prend d’ailleurs tout son sens jusqu’à devenir un véritable personnage à part entière. Une véritable ville dans la ville. La Maison de la Radio est constituée de 64 studios (à titre de comparaison, la station Europe 1 compte trois studios de diffusion). Sa surface représente 5 kilomètres de couloirs, et y vivent environ 4300 salariés dont 700 à 800 journalistes. En son sein, on y trouve aussi un bureau de poste, une banque, une immense cuisine pour assurer la restauration des personnels, un garage où l’on répare aussi le parc de voitures aux couleurs des différentes radios, et même… un abri anti-atomique.
La Maison de la Radio est constituée de 64 studios, 5 kilomètres de couloirs, où vivent environ 4300 salariés dont 700 à 800 journalistes
Un travail d’artiste artisanal
Le film de Nicolas Philibert s’attache à raconter le quotidien de ces artisans des ondes, dévoilant les multiples métiers qu’offre la radio, des producteurs aux assistants en passant par les chefs d’édition, les réalisateurs, les standardistes, les comédiens, les musiciens, les preneurs de son. Le documentaire bascule sans cesse d’un studio à l’autre, d’un bureau à l’autre, d’une radio à l’autre, mais avec toujours la même partition. Malgré cette impression de rythme soutenu où le son s’écoule sur les ondes sans temps mort comme le sable dans le sablier, on sait encore prendre la mesure du temps, se poser, respirer, écouter, parler, s’entendre. Ce qui permet au spectateur de découvrir ainsi donc de multiples scènes fascinantes, souvent surprenantes et drôles. Comme cette conférence de rédaction du matin à France Inter. « Comment traiter le phénomène Justin Bieber ? », demande une chef d’édition. « Du point de vue d’un sociologue, ça fera très France Inter », rétorque aussitôt une autre. « Sociologue de gauche alors ! », ajoute un journaliste. Eclats de rire général. Il faut les voir à la manœuvre ces journalistes. S’engueuler sur un sujet, choisir ce qui fera l’ouverture du prochain flash, recevoir les reportages des correspondants sur place dans le bocal (le cœur de la rédaction), et enfin prendre l’antenne. En studio, ou à moto comme lors d’une échappée en plein Tour de France.
De magnifiques séquences
Emouvante Laëtitia Bernard, la jeune journaliste présentatrice des infos de France Bleu Midi. On la voit pianoter sur son clavier adapté en braille, et lire ainsi son journal lorsqu’elle prend l’antenne. Un handicap qui n’en est plus un pour la radio. Réjouissant. Emotion encore lorsque la caméra accompagne ce preneur de son en pleine forêt pour capter le bruit de la pluie tombant sur les feuilles des arbres, le crépitement des animaux galopant sur le sol humide et les cris des oiseaux qui survolent les perches audio. Assis contre un arbre et silencieux, le casque posé sur les oreilles, il enregistre cette musique naturelle qui alimentera l’immense bibliothèque sonore de Radio France.
La radio comme on ne l’a jamais vue
On suit aussi pas à pas la mécanique de réalisation d’un feuilleton pour France Culture. L’art du comédien à qui incombe d’exprimer par son unique voix la justesse d’une émotion. Toute une séquence tellement emblématique de l’antenne de France Culture, mais pas que. Cette radio où on ouvre aussi l’antenne la nuit à de la création sonore, et où le temps semble ralentir en journée pour réfléchir, penser, parler, écouter. Changement de plan, nous voilà au cœur du Chœur de Radio France. Fin d’une journée de répétition. Le chef, Matthias Brauer, donne rendez-vous à ses choristes pour une nouvelle journée de travail le lendemain à partir de 10h. Le rêve. Car Radio France héberge aussi un Orchestre Philharmonique, un Orchestre National, une chorale composée de 114 chanteurs lyriques professionnels, et une Maîtrise qui compte pour sa part environ 150 élèves.
Ces moments uniques que seule la radio permet
Et puis il y a tous ces invités qui défilent sur les antennes, d’un écrivain à l’autre, d’Umberto Eco qui parle d’étrangler sa grand-mère à Jean-Bernard Pouy, l’auteur de polars qui se retrouve à éplucher des patates (il y tient) seul devant le micro que lui a laissé Rebecca Manzoni. Il y a aussi Philippe Colin et Xavier Mauduit comme deux gamins fascinés d’entendre leur invité, Jos Houben, le dévorant de leurs gros yeux ronds tout en hochant simultanément la tête. Irrésistible.
Tout comme cet auditeur qui voulait adresser un cadeau à Babeth, la standardiste d’Evelyne Adam sur France Bleu, à Babeth et à ceux que l’on n’entend jamais, toutes celles et ceux qui contribuent à faire des antennes de Radio France ce qu’elles sont chaque jour, un grand bravo.
Jérôme Romain
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