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Roller Derby : des roues et des coups
Depuis trois ans, le roller derby connaît un engouement sans précédent dans l’Hexagone. Né aux États-Unis, ce sport de contact spectaculaire est réservé aux filles qui n’ont pas froid aux yeux. Rencontre avec les Nantes Derby Girls.
Ce jeudi soir, sur le terrain de roller du skatepark Le Hangar, c’est « scrimmage » (match d’entraînement) pour les Nantes Derby Girls. Elles sont une trentaine, deux équipes de 14 joueuses, prêtes à en découdre sur la piste ovale qui leur sert de terrain de jeu. Le principe ? Pour faire simple, une patineuse dans chaque équipe (appelées « jammeuses »), joue des coudes pour tenter de passer les bloqueuses adverses, regroupées devant elle en « pack ». La première jammeuse qui franchit la ligne de départ marque des points. Chaque séquence de jeu (« jam ») dure deux minutes et un match est partagé en deux mi-temps de 30 minutes.
Outre leurs patins à roulettes aux pieds, les derby girls sont toutes équipées d’un casque (obligatoire), d’un protège-dents pour la plupart, mais aussi de coudières, de protèges poignets et de genouillères. Des protections loin d’être superflues. « C’est musclé, les chutes sont fréquentes, mais ce n’est pas du catch, précise Katie Bourner, 28 ans, à la fois joueuse, coach et présidente du club. Les contacts effectués avec les épaules, les hanches et les fesses sont autorisés, mais les coups de coude, croche-pieds ou charges dans le dos sont en revanche strictement interdits. » Pas moins de sept arbitres sur patins, et de nombreux assistants à pied, sont là pour s’assurer du respect des règles et distribuer des pénalités aux joueuses le cas échéant.
Les contacts effectués avec les épaules, les hanches et les fesses sont autorisés, mais les coups de coude, croche-pieds ou charges dans le dos sont en revanche strictement interdits
Car le roller derby version 2013 n’a plus rien à voir avec celui des années 1970, qui mettait en scène des bagarres entre filles et où tous les coups, ou presque, étaient permis.
Au départ, dans les années 1930, le roller derby était une course d’endurance sur piste, ouverte aussi bien aux femmes qu’aux hommes. Mais Léo Steltzer, à l’origine de la discipline, comprend vite que le public est plus intéressé par les bousculades et les bagarres entre les participants, désireux de gagner à tout prix. Il décide alors d’introduire les coups. Après une perte d’intérêt à la fin des années 1970 et dans les années 1980, le roller derby revient sur le devant de la scène dans les milieux punk et rockabilly américains aux débuts des années 2000. Le côté commercial a alors disparu et les filles se réapproprient la discipline en revendiquant leur indépendance face à toutes formes de conservatisme et de puritanisme. Elles s’appuient sur la philosophie du Do it yourself ou « DIY », (« Fais-le toi-même »), se maquillent, portent des tenues sexy, se donnent des pseudonymes et comparent leurs blessures de « combat » sur le Net. La pratique explose aux États-Unis ainsi qu’au Canada dans les années suivantes. En France, le roller derby n’existe que depuis 2009 à Bordeaux, Toulouse et Paris. Internet, les réseaux sociaux, puis la sortie du film Bliss, réalisé par l’actrice Drew Barrymore, en janvier 2010 (qui montre une version sur piste inclinée et où tous les coups sont permis), font tache d’huile. Des dizaines de ligues (comprenez clubs) se créées aux quatre coins de l’Hexagone. On en dénombre une cinquantaine à ce jour, pour environ 1 500 pratiquantes.
« On patine à fond, on se gamelle, et on se marre »
Les Nantes Derby Girls ont vu le jour en novembre 2010. « La première fois que j’ai entendu parler du roller derby c’était par mon colocataire de l’époque qui revenait du Canada, se rappelle Katie. Fan de patin depuis toute petite, j’ai tout de suite flashé sur ce sport. En septembre 2010, j’ai été à la rencontre des joueuses américaines des Paris Roller Girls, ce qui n’a fait que confirmer mon envie de lancer l’activité à Nantes. » De 31 inscrites au départ, la ligue nantaise compte aujourd’hui 54 patineuses, réparties dans trois équipes : l’équipe All Star, Les Duchesses de Nantes (référence au château de la duchesse Anne de Bretagne), est composée d’une sélection des meilleures joueuses et affronte des équipes basées dans d’autres villes ; les Jailhouse Rockers et les Queen Anne’s Revenge sont quant à elles des équipes intraligue et s’affrontent régulièrement dans un championnat interne.
« Une grande famille »
Pour comprendre le succès du roller derby, il suffit d’interroger les premières intéressées. « On patine à fond, on se gamelle et surtout on se marre, sourit Marilyne, 33 ans, conductrice de bus dans la vie qui, depuis un an et demi, se transforme en redoutable « Baston’ Martine » sur la piste. À l’époque, je cherchais à pratiquer un sport à roulettes. Je connaissais déjà le rink et le roller-hockey, mais après une recherche rapide sur internet, je suis tombée sur des vidéos de roller derby aux USA, et là j’ai pris une grosse claque : le contact, la vitesse… ça avait l’air super fun ! J’ai appris à patiner très vite et depuis je ne décroche plus. Tout le monde est ouvert et il y a une ambiance qu’on ne retrouve pas ailleurs. Avec les filles de l’équipe on se voit régulièrement en dehors du derby. On est plus seulement des coéquipières, on est devenus des amis. » Plus étonnant, il en va de même avec les joueuses des équipes adverses. « Le roller derby est une grande famille, confirme « Dure As Hell ». Si demain je vais à Berlin et que j’ai nulle part où dormir, je sais que je peux contacter des joueuses et qu’elles proposeront de m’héberger. »
Girl Power
Un esprit d’entraide s’est construit pour développer ce sport (d)étonnant, en mal de reconnaissance. « C’est le seul sport collectif créé pour les filles et par des filles, explique Katie, alias PsychoKat. C’est un vrai sport, très exigeant physiquement. Mais quand on en chie (sic), on sait pourquoi on le fait et on en chie ensemble. Cela étant dit, ça ne nous empêche pas de rester féminines, d’être maquillées, de porter des collants de toutes les couleurs et de mettre de la musique à fond lors des matchs ! »
Si l’image rock’n’roll nous colle à la peau, c’est sans doute lié au fait que le roller derby est un sport encore underground en France
Ce côté rock’n’roll est assumé jusqu’au bout des ongles. Pourtant, loin des clichés, le roller derby est accessible à toutes et rassemble aujourd’hui tous les profils. « Toutes les filles n’ont pas des tatouages et des piercings, nuance Katie. Il y a des joueuses de tous âges et de tous les milieux. Chacune est libre d’exprimer son propre style, dans la bonne humeur. Si l’image rock’n’roll nous colle à la peau, c’est sans doute lié au fait que le roller derby est un sport encore underground en France, pas totalement reconnu. Tout est à faire. »
Si le roller derby n’est à ce jour reconnu officiellement ni par la Fédération française de roller (FFRS), ni par le ministère de la Jeunesse et des Sports, les choses avancent. Il y a tout juste un an a été formé le « French Roller derby Organisational Group » (FROG), un groupe de travail au sein duquel les clubs français peuvent se retrouver pour échanger et faire évoluer le sport dans l’Hexagone. De quoi jeter les bases de futures structures et doter la discipline d’un championnat de France digne de ce nom ? Encore trop tôt pour le dire. Quoi qu’il en soit, les acteurs du « derby » veillent à ne pas perdre l’esprit originel Do it yourself, qui a fait le succès de ce sport.
Sur ce point, Jeff « Death Penalty », cofondateur et entraîneur des Nantes Derby Girls, se veut résolument optimiste. « Les clubs souhaitent en majorité qu’il y ait une organisation du derby en France, mais à condition que ce soient les clubs et les acteurs du derby eux-mêmes qui en dictent les règles, selon leurs souhaits et leurs besoins, et non une quelconque institution. À partir de là, je ne suis pas vraiment inquiet pour l’avenir et le côté « DIY » de notre sport. » En attendant que les choses bougent au niveau national, le club nantais a pris les devants et vient de se doter d’une véritable piste de roller derby dans sa salle du Hangar. C’est non seulement un grand pas en avant pour le club, car peu d’équipes en France et en Europe peuvent se targuer de disposer d’un tel équipement, mais aussi le signe que la discipline s’ancre durablement dans la métropole nantaise. Les Nantes Derby Girls joueront deux matchs le samedi 18 mai et comptent sur le soutien du public nantais pour inaugurer leur nouvelle piste par deux victoires.
Charles Dubré
Crédits photos : Insane Motion Live Photography
Plus d’infos et contacts sur www.nantesderbygirls.fr
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