
PORTRAIT
Pierre-Yves Ginet, féministe sans frontière
Pierre-Yves Ginet est devenu photojournaliste du jour au lendemain. Ce jour là , il est aussi devenu militant féministe. Il présente 15 ans de reportage à travers l’exposition « Femmes en résistance  », visible dans toute la France. Portrait.
« Mesdemoiselles, je ne voudrais pas plomber l’ambiance, mais si rien ne change, vous avez une chance sur cinq d’être battue par votre mari ». Pierre-Yves Ginet s’adresse à des élèves de 3ème du collège Victor Duruy de Fontenay-sous-Bois, en banlieue parisienne. Et de poursuivre en rappelant qu’en France, tous les deux jours une femme meurt sous les coups de son mari. Les élèves, encore agités il y a quelques minutes, l’écoutent et le questionnent attentivement. Il leur répond avec des mots simples et forts, des mots qu’ils connaissent pour décrire une réalité que l’on méconnait. Il se tient devant une série de photos prises dans un refuge pour femmes battues à La Louvière, en Belgique. Il y a vécu dix mois au côté de femmes qui arrivent en situation d’urgence, parfois en pleine nuit, nues, de multiples fractures au visage. Il a suivi leur combat pour se reconstruire petit à petit, auprès d’avocats, de psychologues et de leurs enfants, eux aussi victimes.
Du tourisme au journalisme
Pierre-Yves Ginet est photojournaliste. Avant, il était analyste financier. Mais ça, c’était avant. Avant le Tibet. « Je devais y passer quinze jours, j’y ai consacré trois ans de ma vie. Je suis parti en touriste, je suis revenu en journaliste ». C’était il y a quinze ans. La moitié des manifestations organisées pour le Tibet libre l’étaient par des religieuses bouddhistes, des nonnes tibétaines. Et pourtant, ce proverbe tibétain est bien ancré dans les mœurs : « Si tu veux un maître, fais de ton fils un moine ; si tu veux une servante, fais de ta fille une nonne. » Pierre-Yves a ressenti le besoin de témoigner et a embrassé la cause des femmes. Des Femmes avec un grand F, car c’est pour toutes les femmes qu’il milite à présent. Sans jamais avoir été prédisposé au militantisme, encore moins au féminisme. Depuis quinze ans, il sillonne le globe pour raconter et témoigner de destins de « Femmes en résistance », le titre de son exposition (et désormais d’un magazine). Il est armé d’un appareil photo pour la force des images, et d’un stylo pour le poids des mots. Ses légendes éclairent ses photos. Chaque série de photos raconte une histoire.
Mais ce n’est pas difficile de se retrouver en face d’un enfant amputé des deux jambes et de le prendre en photo ?
Son travail ne convient plus à la presse. Il ne veut plus faire la tournée des rédactions parisiennes au retour de voyage pour vendre ses clichés. « Les magazines ne gardent qu’une photo, par-ci par-là. C’est comme prendre une page d’un livre, et dire “Voilà, c’est ça le bouquin” ». La difficulté de son métier est économique : obtenir un financement pour ses reportages… et boucler ses fins de mois. « Mais je n’ai jamais été aussi riche, sauf sur mon compte en banque ». La difficulté n’est plus technique, « je ne réfléchis plus à l’ouverture ou à l’exposition avant de prendre une photo ». « Mais ce n’est pas difficile de se retrouver en face d’un enfant amputé des deux jambes et de le prendre en photo ? », demande une élève devant le portrait d’une victime d’une mine antipersonnelle. « Si, c’est insupportable. Tu prends des photos jusqu’à ce que tu aies la gerbe. Et puis tu y retournes, parce qu’il faut le montrer pour faire passer ton message. » Pierre-Yves Ginet, n’est pas photographe de guerre, son métier n’est pas de prendre des instantanés de gens en train de se tirer dessus. Mais il n’a plus peur à la vue d’une arme à feu. « Je ne prends pas plus de risques que les populations civiles ou que les fixeurs [1] qui arrangent les rencontres sur place. Une fois que je suis dans l’avion, je ne risque plus rien, contrairement à eux. »
Un homme chez les Femen
Plus proche de nous, loin des tirs croisés, la lutte féministe, toujours. Pierre-Yves évolue parmi les réseaux de Ni Putes ni soumises et désormais des Femen. Il a photographié cette semaine, au coeur de la Halle Roublot où sont exposés ses clichés, des militantes féministes, seins nus pour manifester leur soutien à Amina, jeune Femen tunisienne. Quinze ans de reportage sont exposés là, et la lutte continue. « Elle continuera tant que l’égalité entre les hommes et les femmes ne sera pas une évidence pour tout le monde ». C’est pour ça qu’il intervient auprès des collégiens. Il a la certitude que son intervention fait naître une réflexion chez ce jeune public, en témoigne le livre d’or rempli de fautes d’orthographe potaches et de témoignages de prise de conscience. C’est aussi pour les hommes, et pour lui. « L’égalité entre hommes et femmes profite aussi aux hommes. Un homme qui bat sa femme, ce n’est pas un homme heureux. »
Thomas Savage (texte et photos)
[1] Les fixeurs font l’interface entre les journalistes et les populations en zone de guerre.
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses