
FESTIVAL
Univerciné, une sélection al dente
CYCLE DU CINÉMA ITALIEN
Le Festival Univerciné que Fragil s’est attaché à suivre depuis novembre dernier se termine avec le cinéma italien. Démarrage en trombe avec une programmation ancrée dans la crise au risque d’engager des débats à l’emporte-pièce après les projections.
Un Giorno Speciale, film projeté en avant-première lors de la soirée d’ouverture du festival du cinéma italien a fait débat.
Une ouverture manquée
Débat bien plus animé que ceux auxquels nous avaient habitué les cinémas allemand et britannique. Et pour cause, l’accueil que lui a réservé la dernière Mostra de Venise en dit long. Parce que ce film dérange en montrant une réalité que les Italiens ne voudraient pas voir en face a-t-on entendu dans la grande salle du Katorza après la projection. Si ce film n’a pas reçu un bon accueil, c’est peut-être tout simplement parce qu’il n’est pas si bon que ça. Pendant plus d’une heure, Un Giorno Speciale nous emmène dans une comédie façon road movie pour aboutir sur une chute en à peine dix minutes qui rate ce pour quoi ce film était destiné. Défendu par Gloria Paganini, la directrice du festival y voit l’inexorable dégradation de la condition de la femme en Italie depuis quinze ans, n’hésitant pas à enfoncer le clou en ajoutant que le pays court à sa perte et ne s’en relèvera pas. Rien que ça. Ce film qui veut dénoncer l’abus de pouvoir des hommes politiques qui dérive en abus sexuels caricature la classe politique italienne dans son ensemble et la réduit à Silvio Berlusconi tout entier. Certes, on ne nie pas le propos du film basé sur des histoires vécues. Mais fort heureusement, comme le faisait très justement remarquer le jeune réalisateur Massimiliano De Serio qui lui vit toujours dans son pays (la nuance est de taille), le point de vue de ce film rassure surtout les pays étrangers comme la France sur leur propre situation. Enfin, on a aussi entendu au cours des débats que la condition désastreuse de la femme italienne serait en partie la faute de l’image déplorable véhiculée par la télévision de Berlusconi. Là encore, on oublie que la télévision française lorsqu’elle s’est privatisée au milieu des années 80 avait fait appel justement au Cavaliere qu’on voyait surtout comme un modèle de réussite du genre. Qu’est-ce que les Italiens ont à envier aujourd’hui à notre fumeuse télé numérique terrestre ? Sans doute la grotesque chaîne Chérie 25 qui voit en la femme une ménagère affalée devant des talk-shows sirupeux. Enfin, l’Italie ce n’est quand même pas la Corée du Nord. Ils reçoivent tout autant que nous comme tant d’autres ces flots d’images en continu où la femme est tantôt un objet sexuel méprisable dans les clips montés par les majors du disque, tantôt une idiote bimbo en une de magazines soi-disant féminins. La femme italienne a sans doute besoin de reprendre son propre destin en main. Voilà le genre de propos qui a manqué durant cette soirée.
L’électrochoc du Festival
Le film avait pourtant bien commencé. Le cadre d’une vie familiale heureuse. Un père fonctionnaire qui ne manque pas d’humour chantant même de la variété française en allant conduire ses enfants à l’école. Des scènes dignes d’une véritable comédie burlesque. Et puis, la caméra nous emmène dans un local d’archives jusqu’à s’arrêter devant une étreinte amoureuse entre un homme, ce père justement, et une femme qui n’est pas la mère de ses enfants... Lorsque cette dernière finit par apprendre cette relation infidèle, le film bascule. Et nous avec. Dans Gli equilibristi (Les équilibristes, ndlr), rarement un film avait réussi à percevoir à ce point la douleur palpable d’une trahison amoureuse. L’actrice Barbora Bobulova est bouleversante de justesse pour exprimer ce qui la ronge, mais qu’elle n’arrive pas à pardonner à celui qu’elle a aimé. Une prise de conscience dramatique sur grand écran où tout s’effondre et tombe dans l’abîme. L’inévitable séparation du couple expliquée aux enfants est filmée sans dialogue. Déjà fortement secoué par ces turbulences, le spectateur est pourtant loin de s’imaginer le choc émotionnel qui l’attend.
Déjà fortement secoué par ces turbulences, le spectateur est pourtant loin de s'imaginer le choc émotionnel qui l'attend
Valerio Mastandrea, qui a reçu le Prix de la meilleure interprétation pour ce rôle lors de la dernière Mostra en 2012, joue un père attachant à qui l’on pardonne bien volontiers sans trop comprendre ce qui a pu le faire capituler dans l’erreur. On suit dès lors sa longue et lente véritable descente aux enfers. Une chambre prêtée par un ami. Et puis très vite une pension à l’hôtel. Le divorce prononcé, il faut verser une pension alimentaire. Payer les soins dentaires du fils et prévoir le voyage scolaire de l’aînée. Son salaire de 1200 euros par mois n’y suffit pas. Un autre boulot s’impose, non déclaré, plus éprouvant, plus cassant. Impossible de trouver un loyer modeste. Il dort une première nuit dans sa voiture. Puis deux, puis trois. Et y reste. Il fréquente les prêtres ouvriers qui lui offrent le repas du soir, mais toujours pas de logement chauffé. Ce père devient un être errant sans âme déambulant dans les rues et le froid. Souffrant de la honte de ne pas s’en sortir seul, mais restant toujours digne. Refermé sur lui-même, son statut précaire est une mort lente à petit feu. Jusqu’à vouloir s’en libérer en y mettant fin soi-même.
En Italie, les « équilibristes » désignent cette classe moyenne touchée par la crise et qui doit sans cesse jongler avec un petit budget pour faire face à des charges de plus en plus lourdes. Présent lors du Festival Univerciné, le réalisateur Ivano Di Matteo a expliqué que son film n’avait que pour seul modeste objectif d’éveiller nos consciences sur une réalité actuelle qui touche 200.000 travailleurs italiens sans logement. Et qui fait de Gli equilibristi un film qui émeut jusqu’aux larmes.
Standing Ovation
Il est aussi question de rupture dans La Kryptonite Nella Borsa, mais dans un tout autre style. Le film qui a raflé le Prix du Public et le Prix du Jury Univerciné mérite amplement ses récompenses, il fut la très belle surprise qui honore ce Festival du cinéma italien 2013. Réalisé par Ivan Cotroneo, le film aborde de façon drôle et joyeuse l’existence d’un enfant de 8 ans, Peppino, au cœur d’une famille napolitaine singulière dans les années 70. Une mère dépressive qui passe son temps au lit prétextant des migraines depuis qu’elle a surpris son mari, vendeur de machines à coudre, dans les bras d’une autre, et puis qui finira elle-même par coucher avec son psy... Une tante hippie qui ne manque jamais d’emmener Peppino dans des meetings de militantes féministes qui se terminent dans le plus simple appareil, ou dans des soirées psyché à prendre des cachetons de LSD. Et puis il y a aussi Gennaro, le cousin qui se prend pour Superman, un peu homo sur les bords, qui meurt subitement dès le début du film, mais pour mieux réapparaître dans l’imaginaire de Peppino. Le tout sur une bande-son qui rassemble Iggy Pop et David Bowie. Voilà qui fait de La Kryptonite Nella Borsa un film rafraîchissant à l’écriture originale qui évoque l’infidélité sous le trait de l’humour dans de multiples scénettes hilarantes. Cela occasionne par exemple qu’à la demande de son père, Peppino reste planté bien souvent devant la fenêtre à chercher une voiture qui aurait la même couleur que celle de son paternel (autant dire totalement improbable) pendant que ce dernier s’attache à satisfaire les ardeurs brûlantes et dévorantes de sa maîtresse. Ce serait enfin sans compter sur trois petits poussins jaunes qui viennent couronner par l’absurde le meilleur film de ce Festival.
Un cinéma pas comme les autres
Le cinéma italien ne se résume pas qu’à Nanni Moretti ou à Roberto Benigni, cette formidable sélection de ce cycle qui vient de s’achever dans le cadre d’Univerciné en est la preuve réjouissante. L’héritage historique est pourtant lourd à porter pour ces jeunes et talentueux réalisateurs avec ces noms qui ont marqué par leurs chefs d’œuvre le 7ème art, de Fellini à Pasolini et Visconti, sans omettre dans un autre genre de citer Sergio Leone ou Dario Argento et Mario Bava.
Au terme de ce Festival du cinéma italien, le Prix Inter-Festivals Univerciné a été décerné au gagnant du Prix du cinéma allemand : This Ain’t California dont Fragil vous avait relaté la projection ici.
Retrouvez également nos précédents reportages sur les Festivals Univerciné du cinéma allemand et du cinéma britannique.
Jérôme Romain
Bloc-Notes
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