
EXPOSITION
Trente-cinq maîtres au carré
Quand un promoteur immobilier, Espace Investissement, s’associe avec une prestigieuse galerie nantaise, La Galerie Albane, cela donne un projet singulier, «  L’art au carré  », que l’on peut découvrir du 18 janvier au 24 février à Nantes, à deux pas du Musée des Beaux-arts.
« L’art au Carré », c’est 35 artistes exposés sur 3000 mètres carrés dans l’ancienne caserne des pavillons Desgrées du Lou, espace chargé d’histoire et de symbolique.
« L’art au Carré », c’est aussi le lien avec le devenir de ces bâtiments, destinés à une opération immobilière de haut standing, « Le Carré vert ». Ce projet d’ampleur est mené par une société spécialisée dans la réhabilitation de lieux du patrimoine historique des grandes villes, et ambitionne de « faire dialoguer l’identité d’un patrimoine historique et l’intelligence des dernières technologies de l’habitat. » En attendant les pelleteuses et la privatisation du lieu, embarquons pour un dernier tour du propriétaire de ce haut lieu du patrimoine nantais en pleine mutation, qui s’ouvre pour quelques semaines à une richesse et une diversité artistique rare.
Ancienne caserne, futurs appartements de standing, la parenthèse offerte entre deux époques était parfaite pour donner une nouvelle identité à ce lieu auparavant fermé au public
Une exposition, six semaines, trente-cinq artistes. Voilà qui résume bien la grandeur de l’évènement. La Galerie Albane s’allie donc avec Le Carré Vert pour profiter du Pavillon Desgrées du Lou. Ancienne caserne, futurs appartements de grand standing, la parenthèse offerte entre deux époques était parfaite pour donner une nouvelle identité à ce lieu auparavant fermé au public.
« Quelque part, nous signons ainsi le deuil de ce bâtiment pour ce qu’il était, un lieu dédié à des notions de rigueur et de discipline, et offrons une parenthèse », explique Sophie Fattal, une des artistes de « L’art au Carré ».
Sophie Fattal
L’initiative surprend, mais impressionne également. Effectivement, on pourrait être perdus devant ce catalogue disparate de trente-cinq artistes présentés par la Galerie Albane. Pourtant, en visitant les différents espaces des 3000 m² du pavillon, si on se rend rapidement compte de la grande diversité des œuvres rassemblées, on perçoit aussi des parentés et des « familles » qui se répondent et se croisent parmi les artistes. Abstractions rigoureuses, sombres et puissantes, travail des matières par effacements et apparitions fantomatiques de figures féminines sur des fonds troubles, évocations parfois ludiques et légères, parfois d’une inquiétante étrangeté, du monde de l’enfance... On navigue dans ce grand paquebot aux espaces surprenants au rythme des échos et des appels. Ainsi, la réflexion et l’intelligence de la scénographie sont réellement une composante essentielle de l’exposition.
Albane n’a pas fait que rassembler ses artistes dans un espace : ils ont investi et organisé le lieu de façon à ce que lui aussi fasse partie intégrante de l’exposition. Avec cette idée en tête, l’organisation spatiale du lieu nous apparaît tout de suite comme claire et, effectivement, le résultat d’une volonté artistique.
Les chimères et photos d’insectes de Ghislain Viaene sont exposées dans les caves de la caserne, dans une ambiance sombre, angoissante, presque souterraine. À l’inverse, l’artiste ligérienne Kaliko investit le grenier avec des œuvres beaucoup plus légères et aériennes, tissées de brins de laine ou de délicats dessins, évoquant des formes de vie microscopiques et colorées. Alexandre Day, par des dessins et peintures en noir et blanc, crée pour le visiteur un espace hors du temps, lumineux et mélancolique. De son côté, Soasig Chamaillard bouscule l’imagerie religieuse et détourne plusieurs statues de Marie, pour en faire l’allégorie d’une condition féminine moderne, avec beaucoup d’humour et de légèreté. Poésie également présente dans les anciennes écuries de la caserne, accueillant Clémentine de Chabaneix et son installation du Marin Rêveur : plongé dans un noir presque complet, on distingue peu à peu une épave de barque où pousse un arbre de carton, entourée de dessins au crayon éclairés d’une douce lumière bleue. L’ambiance extrêmement apaisante de cet espace nous pousse aussi à nous attarder, prendre le temps de ressentir et comprendre le travail de l’artiste.
Alexandre Day
Pour permettre une véritable intégration de l’art dans le lieu — presque une interpénétration —, la galerie a décidé de donner carte blanche aux créateurs : pour ce projet, chaque artiste possède ainsi un espace propre, qu’il peut transformer et recomposer à sa façon. En passant d’un artiste à un autre, le visiteur change alors de pièce, mais aussi de monde. Chaque espace, avec ses caractéristiques propres (ancien bureau, escalier ou même cave à fioul), devient une bulle personnelle à l’artiste, qui reflète son univers de création. Ainsi, les singes de Cœur investissent les murs de leur smoking noir, débordant des toiles, quand plus loin Sophie Fattal joue la carte du trompe-l’œil en dessinant des tapis au sol.
Travaillés, remaniés, investis par l’artiste, les espaces nous plongent dans une cohérence esthétique qui encourage la réception et la sensibilité. Désacralisées par leur installation hors de l’espace traditionnel du musée ou de la galerie, les œuvres exposées de la sorte nous permettent pourtant d’un même mouvement de percevoir toute la « magie » du travail artistique, à portée de main.
Bronya Sawyer
Cet événement, en plus de toutes ses thématiques artistiques, questionne au final l’importance et la nature du lieu d’exposition : quelles caractéristiques doit comporter un lieu pour devenir un espace d’exposition ? Pour la Galerie Albane, le terrain de jeu offert par la caserne libérée apparaît en tout cas comme l’occasion inouïe pour ses artistes de pouvoir personnaliser et réorganiser l’espace.
Travaillés, remaniés, investis par l'artiste, les espaces nous plongent dans une cohérence esthétique qui encourage la réception et la sensibilité
Cette démarche de réappropriation temporaire du patrimoine, saisie entre deux états pour y monter une exposition, a déjà été menée par Espace Investissements : en 2009, il avait participé à un projet où l’artiste ivoirienne Yagui Druid avait exposé son travail dans un hôtel particulier de La Rochelle, lieu auparavant fermé au public. La possibilité de découvrir un bien du patrimoine longtemps secret est une initiative qui séduit presque toujours : ici le public répond bel et bien présent à l’exposition du Carré Vert, puisque 2000 personnes ont déferlé sur le lieu pour le vernissage, le 25 janvier.
Sandrine Brillaud
C’est pour beaucoup de Nantais l’occasion de découvrir un lieu peu connu du centre historique de Nantes. « C’est déjà intéressant de venir ici pour découvrir la structure du lieu lui-même », nous explique un couple de Nantais. « C’est l’artiste Pierre Cornière qui nous intéressait, on avait déjà vu une de ses toiles, mais on est impressionnés par la richesse et le nombre d’artistes présents ».
Preuve qu’on ne trouve pas toujours que ce qu’on vient chercher, mais que le public se laisse prendre au jeu de cette exposition inédite qui joue sur deux tableaux, découverte du patrimoine et création contemporaine.
Pendant encore quelques semaines, le Pavillon Desgrées du Lou, ex-caserne et futur morceau de choix pour investisseurs, ouvrira ses portes et ses recoins à la curiosité et à la sensibilité des visiteurs. Avant de refermer pour de bon son portail sur les regards des passants et sur les divagations poétiques pour abriter des « espaces privatifs de haute qualité qui ouvrent droit à l’application du régime Malraux optimisé au déficit foncier. » [1]
Texte : Simon Auffret et Georgina Belin
Photos : Simon Auffret
[1] http://www.carrevert-nantes.com/Le-Carre-Vert-investissement-Loi-Malraux.php->http://www.carrevert-nantes.com/Le-Carre-Vert-investissement-Loi-Malraux.php
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