Musique
Oxmo Puccino, homme de lettres
Lettre par lettre, description d’un artiste hors norme... Le tout porté par les images de son concert au Stéréolux de Nantes en décembre dernier.
O comme Oxygène
Parce qu’Oxmo Puccino, de son vrai nom Abdoulaye Diarra, offre une véritable bouffée d’air. Il prend de la hauteur sur un hip-hop hexagonal coincé entre bling-bling et revendicatif. Il donne du fond à la chanson française qui patine souvent dans ses lieux communs. Oxmo a su se faire une place à part entière en confrontant les genres, en assumant sa stature de rappeur tout en s’écartant des poncifs du hip-hop.
« J’aspire l’O.X.M.O
Crache du gaz laconique
Epicé d’un flow ultra-ponique. »
X comme deXtérité
Oxmo est reconnu pour la dextérité et le sens de son flow. Pas de recherche de vitesse, pas de punchline gratuite, Puccino fait dans l’oxymore, la métaphore, la litote… Une maitrise de la langue française qui lui vaut d’être souvent associé (à tort ou à raison) à Léo Ferré. Le rappeur choisit ses mots, en invente souvent, assemble ceux qui n’ont pas l’habitude de l’être. Bref, on parle ici de poésie et d’une diction portée par une voix grave envoûtante.
« Soudain dans le noir une bougie s’allume
puis c’est dans un berceau que dort la lune
Daddy Blues…
Les hommes sont tourmentés un an moins le quart. »
M comme Musiciens
Sur scène comme dans ses albums, le masterciel ne fait pas dans la boîte à rythme. Depuis son quatrième album, Lipopette bar (2006 - label Blue note), qui a marqué un tournant jazz, Oxmo œuvre plus ou moins avec les mêmes musiciens dont une partie est issue des Jazzbastards. Un collectif dans lequel on retrouve notamment un autre maître, le violoncelliste Vincent Ségal (Bumcello avec Cyril Atef, M, en duo avec Balaké Cissoko...). Ségal est omniprésent sur le dernier album d’Oxmo, Roi sans carrosse, au violoncelle bien sûr, mais aussi au synthé, à la guitare électrique, à la basse ou aux claviers.
En 15 ans de carrière, l’artiste a réussi ce tour de force : passer de Skyrock à France Inter
O comme Old school
Parce que l’épopée de celui que l’on surnomme le Black Jacques Brel (rien que ça !) ne date pas d’hier. En 15 ans de carrière, l’artiste a réussi ce tour de force : passer de Skyrock à France Inter. On oublie facilement que celui qui jouit aujourd’hui d’un succès grand public, a commencé au sein du collectif Time bomb à côté de Booba, X-men, Pit Baccardi ou Lunatic… Première émancipation en 1998 avec le titre Mama lova en collaboration avec Khéops (DJ d’IAM). Suivront six albums : Opéra Puccino (1998 – disque d’or), L’amour est mort (2001), Cactus de Sibérie (2004), Lipopette Bar (2006), L’arme de paix (2009) et Roi sans carrosse (2012).
P comme Pimenté
Issu du bouillon hip-hop hexagonal, Oxmo n’a plus grand-chose à prouver en tant que rappeur. Mais quand même, de temps en temps, il revient à la source histoire de mettre tout le monde d’accord. Un petit passage vers quelques chose de plus basique, à l’image du titre Le sucre pimenté. Juste histoire de dire qu’il est toujours là, avec ce petit quelque chose en plus.
« Ton sucre, il est bon, le mien il picote.
Tu crois écrire, enfoiré, or tu tricotes.
Balance la sauce, on n’est pas tes potes
Ça manque d’or, de métaphores, de litotes. »
U comme Unicef
Oxmo Puccino est depuis 2012 ambassadeur d’Unicef France, antenne nationale de l’agence de l’ONU qui se consacre à l’amélioration de la condition des enfants. Respect ! L’engagement du chanteur remonte à plusieurs années. En 2009, il écrit et interprète une chanson sur le travail des enfants, Naître adulte, dans le cadre des 20 ans des Droits de l’enfant. « J’espère qu’un jour cette chanson sera désuète, a–t-il déclaré. Qu’on dise : mais qu’est ce qu’il parle d’enfants qui travaillent lui, ça n’existe plus ! Là, on aura gagné… » Oxmo a aussi parrainé plusieurs opérations d’Unicef France. Son engagement rencontre cette année un écho particulier puisqu’il est originaire d’une terre aujourd’hui en guerre : le Mali.
« Naitre adulte…
Arriver sur terre par catapulte »
C comme Classe
Parce qu’on trouve que sur scène comme sur album, Oxmo garde la classe. Une question de stature, de carrure, mais une question de plume surtout. Oxmo nous rappelle qu’être rappeur, c’est être poète. Et on avait de quoi l’oublier durant la dernière décennie... Un poète à la plume agile et douce. Les phrases d’Oxmo sont autant de métaphores, parfois obscures, parfois égo-tripées, mais toujours efficaces. La classe, c’est donner la priorité à la musicalité des mots. La classe, c’est la longévité, c’est traverser les époques, rester debout et s’adapter.
C comme Collaborations
Dire qu’un rappeur collabore avec d’autres artistes peut sembler une banalité tant les featurings sont monnaie courante (et parfois simples prétextes). Donc bien sûr, Oxmo a rappé pour nombre de ses paires : de Booba à Hocus Pocus (Equilibre) en passant par Joey Starr (Mon rôle), Busta Flex, Kerry James, Kool Shen (Dernier round)… Bref, tout un panel de rappeurs français… Sans parler, bien sûr, des artistes intervenant pour Oxmo (encore plus nombreux !), la dernière en date étant la nantaise Mai Lan pour le titre La danse couchée (Roi sans carrosse). Mais ce qui est davantage intéressant, ce sont les apparitions d’Oxmo là où on ne l’attend pas. Sur le dernier album de Benjamin Biolay (Vengeance) par exemple, sur l’avant dernier (et sublime !) opus du trompettiste Ibrahim Maalouf (Diagnostique), poussant la chansonnette avec Olivia Ruiz sur L’arme de paix (Sur la route d’Amsterdam), le temps d’un concert au côté de l’immense Liz Mc Comb , ou encore dans un film avec Akhenaton derrière la caméra (Conte de la frustration)… On évitera de s’attarder sur d’autres collaborations moins réjouissantes : Oxmo a aussi été la plume de… Florent Pagny et Alizée. Ouch !
I comme Influences
Influences cinématographiques notamment. Oxmo Puccino voit le cinéma comme une grille de lecture de la société. Avec notamment cette fixette sur la trilogie du Parrain de Francis Ford Coppola. À ce sujet, il déclara dans Libé next (14 septembre 2012) : « ces films m’ont marqué parce que c’est une fresque familiale. L’histoire d’un immigré qui s’installe dans un pays gigantesque où on parle une autre langue et qui se retrouve dans un milieu où il doit élever ses enfants, gérer son héritage et s’en sortir. On y comprend l’importance de la famille, du travail, du respect. Toutes ces choses qui font de toi un homme. »
N comme Naturel
Oxmo est débarrassé de ses oripeaux hip-hop. Et c’est au naturel qu’il a composé son Roi (justement) sans carrosse (ni merco). Pour la musique, il a dans un premier temps tout composé à la guitare (vous avez dit rappeur ? ). Pour les textes, l’homme aborde des thématiques universelles : la paternité (Un an moins le quart), la mort (Le vide en soi), la vie (Le mal que je n’ai pas fait), la liberté (Parfois), l’amour (La danse couchée ou Pas ce soir).
« Artiste, c’est pas difficile
On essaie de faire un pull avec dix ficelles
Tu peins des chansons à la décibel
Pour trouver ce truc qui nous la rend si belle… »
O comme Osé
Car mine de rien, tout ce que l’on vient d’énumérer fait d‘Oxmo Puccino un artiste osé. Rap, jazz, chanson française… Oxmo traverse les genres et semble mépriser royalement les frontières musicales. Tant mieux ! Le mot de la fin est pour Vincent Ségal (dans Libé next du 14 septembre 2012) : « Il est dans son monde. Absorbé, actif, ailleurs, il disparaît. Des fois c’est même fatiguant lorsqu’il prend la tangente. Il n’est plus avec toi, mais c’est dans ces moments-là qu’il est le plus créatif. »
Texte : Pierre-Adrien Roux - Photos : Misteur Mad
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