
Enquête
La culture hip-hop cherche sa place à Nantes
Alors que démarre la huitième édition du festival Hip-OPsession, Fragil a voulu comprendre la réalité de la culture hip-hop à Nantes, au quotidien, tout au long de l’année. Rencontre avec une poignée d’activistes qui œuvrent pour que les différentes disciplines hip-hop (danse, rap, graff, DJ, etc.) aient toute leur place dans notre ville.
Les murs tremblent aux Dervallières. Ça se passe du côté de la Fabrique installée depuis deux ans au cœur de ce quartier populaire, dans les locaux d’une ancienne école primaire. C’est là que l’association Rap A cité a son studio, son lieu de vie, d’échanges, de rencontres. Dr Mab, fondateur de l’association et élément fort du rap nantais, a les yeux fixés sur ses tables de mixage. Ambiance sérieuse. Sous l’œil (ou plutôt l’oreille) de quelques habitués du lieu, un jeune rappeur enregistre son dernier titre dans la cabine de plexi. Il répète inlassablement les paroles de son égo-badtrip : « je suis le produit de votre douce France… ». Des gars comme ça, il y en a beaucoup à Nantes. Une centaine de groupes fréquentent l’association Rap A cité, fondée en 1993, et qui œuvre pour la promotion du hip-hop à Nantes avec des ateliers d’écriture, de production MAO (musique assistée par ordinateur), et des sessions studio financièrement abordables. Pour le Doc : « Nantes a un gros potentiel au niveau rap. Il y a une scène innovante, pleine de talents de niveau national. » La Séléçao team, Le Touareg, Herla, I-C, Prince DA, sont quelques-uns des artistes que le Doc citera du bout des lèvres, pour ne pas blesser tous ceux qu’il n’aurait pas mis en avant.
« Le hip-hop n’est pas considéré à sa juste mesure à Nantes »
Des talents, il y en a. Mais il semble qu’ils aient du mal à percer, ne serait-ce qu’au niveau nantais. C’est la grande différence avec leurs cousins rockers. A quelques exceptions près (la sphère Hocus Pocus notamment), les rappeurs nantais peinent à se faire connaitre au-delà de leur quartier et à faire entendre leur musique dans une ville où la culture (d’une manière générale) tient une place importante. « Les jeunes ont facilement accès aux disciplines hip-hop, explique Dr Mab, parce qu’il y a un très fort réseau d’associations locales qui œuvrent pour cela (Rap A cité, Kalakuta, Kontradiction, le Labo 188, etc. NDLR). Les activistes sont nombreux même si tous ne sont pas soutenus comme l’est aujourd’hui Rap A cité. Nous, ça fait 20 ans qu’on existe, et avant d’avoir eu notre studio l’an dernier, on a plus de 15 ans de galère au compteur. Mais c’est normal, il faut construire un projet solide et sérieux pour bénéficier de l’argent public. » Malgré ce travail associatif, le Doc juge que « le hip-hop n’est pas considéré à sa juste mesure à Nantes ». Sorti du temps fort HIP-OPsession, peu de concerts ou évènements hip-hop le reste de l’année. « Le rap a toujours une mauvais image auprès de beaucoup de gens, à Nantes comme ailleurs. Mais il y a aussi une part de responsabilité du côté des groupes. Beaucoup pensent qu’on va les repérer sur internet et qu’ils vont monter sur une grande scène du jour au lendemain. Très peu vont se promouvoir, vont aller démarcher les salles de concert, jouer dans des cafés concert, etc. Notre prochain objectif à Rap A cité est d’essayer de faire une création inter-quartier avec une vingtaine d’artistes nantais. Tout simplement pour montrer qu’on est plus fort ensemble ». Mauvaise image d’un côté. Mais mauvaise organisation de l’autre, notamment en termes de diffusion.
A Kalakuta, autre association de promotion du hip-hop plutôt en direction des quartiers Nord, Sophie, trésorière, pointe du doigt le pire ennemi de la culture hip-hop : l’enclavement social. « On sent bien que le hip-hop n’est pas la culture nantaise, mais les choses ne sont pas complètement fermées et les assos sont là pour faire bouger les lignes. Par exemple à Kalakuta, on essaye de proposer à nos jeunes artistes de monter sur des scènes qui ne sont pas spécialisées hip-hop. L’idée est d’ouvrir le public à la culture hip-hop et d’ouvrir les rappeurs aux autres musiques. Parce que c’est facile de rapper devant son quartier, sa famille, ses amis, mais c’est autre chose quand tu te retrouves au centre-ville, entre un concert d’accordéon et un groupe de rock, devant un public mélangé. Si Kalakuta a une vocation artistique, dans les faits on se rend compte que notre action est tout autant sociale. On essaye de décloisonner les artistes des quartiers populaires, leur dire qu’il faut aller jouer au centre-ville, sinon ils resteront à rapper entre potes en bas de leur immeuble. Mais c’est difficile pour eux car ils doivent affronter pas mal de préjugés sur le hip-hop du côté du public. »
Beaucoup pensent qu’on va les repérer sur internet et qu’ils vont monter sur une grande scène du jour au lendemain
Danse et graff tirent leur épingle du jeu
Direction la maison de quartier la Bottière. Hiya, danseuse à la Misfits academy, donne des cours à une poignée de débutants entre 20 et 25 ans sur le rythme entêtant d’un titre de Snoop Dogg. La Misfits academy, justement, fait partie de ces éléments qui tirent leur épingle du jeu dans la sphère hip-hop nantaise. Récompensés dans des compétitions de niveau international, les Misfits ont aussi une assise locale importante, proposant des cours pour tous les niveaux, un peu partout à Nantes. L’école, qui a participé à l’émission Incroyables talents sur M6, attire un public très diversifié. La danse hip-hop semble ne pas avoir le problème de ghettoïsation qui touche les rappeurs. C’est aussi une discipline sans revendication, politiquement neutre. « OK, ça marche pas mal pour la danse, explique Hiya, mais globalement la culture hip-hop commence seulement à se développer à Nantes, grâce au festival HIP-OPsession et aux associations. Côté danse, ça ne fait pas longtemps qu’on touche un large public, alors que la danse hip-hop existe depuis plus de 20 ans ! »
Les graffeurs, eux, semblent avoir la cote en ce moment. Des associations comme + de couleurs ou 100pression, pour ne citer qu’elles, permettent à certains artistes d’obtenir une bonne visibilité. La récente exposition au Lieu unique Faire le mur a aussi mis en avant l’art du graff en présentant quelques 130 œuvres d’artistes internationaux, mais également d’artistes locaux comme Persu, Nasher, Moner et Meye. Cette reconnaissance est toutefois à double tranchant. « Il se passe avec le hip-hop ce qu’il s’est passé avec le rock il y a trente ans, explique Dr Mab, une sorte de récupération commerciale. Et en obtenant cette reconnaissance, le mouvement artistique a tendance à se diviser. Car aujourd’hui, chaque discipline se professionnalise : les graffeurs aux Beaux-Arts, les danseurs en école de danse, etc. C’est une bonne chose, mais en même temps, chaque discipline évolue seule, sans avoir conscience du mouvement hip-hop. Aujourd’hui, les jeunes, qui n’ont pas vu le mouvement hip-hop se créer, en ont une vision partielle. Pour eux, le hip-hop, c’est de la danse, ou du rap, mais rarement un ensemble de disciplines comme c’était le cas il y a 20 ans. »
« Montrer la diversité de la culture hip-hop »
A Nantes, rue des Olivettes, on trouve la structure Pol’N… Ça ne s’invente pas. C’est dans ce pôle de compétences culturelles abritant une dizaine d’associations (dont 100pression), que l’on trouve Pick up production, le centre névralgique de Hip-Opsession. Nicolas Reverdito, directeur de Pick up, est sur le pied de guerre à quelques jours du lancement du festival. Une équipe de sept personnes (quatre permanents, un régisseur et deux stagiaires) bosse à plein temps pour peaufiner les derniers éléments de la 8e édition. « Avec le festival, on essaye de donner une autre vision du hip-hop que celle offerte par les médias de masse, explique Nico. Le hip-hop est beaucoup plus large que ce qu’on nous montre généralement. Ça regroupe plein d’influences musicales, plein de groupes de musiques, plein d’évolutions, plein d’artistes très underground qui méritent d’être connus. » Mais malgré cette démarche, et malgré une volonté affichée de croiser les publics, le festival HIP-OPsession survit d’année en année. « C’est difficile de faire vivre HIP-OPsession parce que le hip-hop a du mal à se faire reconnaitre comme un mouvement culturel comme les autres. En huit ans, on a acquis la confiance des partenaires de diffusion, et progressivement les aides augmentent, mais elles restent encore bien inférieures à celles déboursées pour des évènements de même ampleur dans d’autres styles musicaux. Sans l’investissement de nombreux bénévoles, et un travail qui n’est pas payé à sa juste valeur à Pick up, le festival ne pourrait avoir lieu. »
Temps fort de la culture hip-hop à Nantes, le festival entretient aussi des relations complexes avec les artistes locaux. Au début, l’équipe de Pick up cherchait à mettre en valeur des artistes qui avaient du potentiel et surtout qui étaient susceptibles d’entrainer d’autres groupes dans son sillage. « Ça nous est retombé dessus parce que certains groupes se sont sentis boycottés, explique Nicolas Reverdito. Du coup, on pratique l’essaimage : comme tout le monde veut jouer à HIP-OPsession chacun joue à tour de rôle, année après année, sans qu’il y ait de réflexion sur le développement de la scène nantaise. C’est toujours bon pour les groupes programmés, mais ça ne permet pas selon moi de structurer les artistes au niveau local. D’une manière générale à Nantes, il y a besoin de structuration, d’émulation, de collaboration entre les artistes hip-hop. On manque aussi des structures spécifiques pour produire et distribuer les albums. Il faut enfin que les artistes s’emparent des structures existantes comme ce qui est proposé à Trempolino, et qui est encore sous utilisé par les groupes de rap. »
Du hip-hop à Trempo
A l’association Trempolino, Karim Bennani, coordinateur pédagogique dans l’accompagnement artistique, estime « qu’il y a des barrières socio-culturelles qui font que les rappeurs ne viennent pas spontanément utiliser la structure. Avant notre récent déménagement sur l’île de Nantes, l’association Kontradiction était dans nos murs et il y avait un peu plus de passage de rappeurs à Trempo. Pour autant, on ne reste pas là attendre que les artistes hip-hop viennent nous voir ! On multiplie les actions hors les murs pour que Trempo soit identifié comme un lieu ouvert à tous les styles. » Et le coordinateur de citer entre autres exemples la participation de Trempolino au festival Jardin’Jazz dans les quartiers de Nantes Sud, qui a vu intervenir rappeurs, slameurs et beat-boxers, dans une démarche de création partagée. Dans les murs de Trempo aussi, des actions sont réalisées en direction du milieu hip-hop : accompagnement pour le travail scénique (en ce moment avec la Séléçao team), travail avec Stéréolux pour la mise en place de résidence, échanges avec le tissu associatif hip-hop, conférence autour du sampling, etc. 20syl, chanteur d’Hocus Pocus, est aussi régulièrement appelé pour accompagner des groupes locaux. Juste retour des choses car Trempolino a en partie contribué au développement du groupe nantais.
A Nantes, comme ailleurs finalement, il semble que la scène hip-hop, de plus en plus morcelée en terme de mouvement, peine à s’organiser pour faire émerger des élites qui pourraient entrainer derrières elles les talents locaux. Mais la question est aussi (et avant tout ?) sociale. Même si la culture hip-hop est aujourd’hui appréciée par un public toujours plus large, sa pratique et son développement restent marqués par un cloisonnement, celui des quartiers populaires.
Texte : Pierre-Adrien Roux.
Photos : Patrice Molle et Pierre-Adrien Roux
Le festival HIP OPsession a lieu du 9 au 25 février à Nantes et en Loire-Atlantique . Vous pouvez retrouver tout le programme sur www.hipopsession.com
Bloc-Notes
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