DÉBAT QUARTIER
Médias, idoles des jeunes VS Jeunes, idoles des médias
Pour tenter d’expliquer l’influence des médias sur le mode de vie des jeunes, Fragil a été à la rencontre des jeunes des quartiers nantais pour comprendre leurs habitudes médiatiques. Pour tous, le divertissement prime sur l’information. Pour intéresser les jeunes à l’information, les médias développent l’infotainment [1]. Médias et jeunes s’auto-influencent dans le monde de l’information. Nous avons également été à la rencontre de l’artiste Arnaud Théval, qui, à travers ses projets, Invisibles et Underfire, tente de faire émerger une nouvelle image des habitants des quartiers via un média participatif qui porte sur les représentations, les stéréotypes et les codes sociaux.
Télévision, Internet, presse, radio, jeux vidéo… Tous ces médias sont irriguent le quotidien. Ils permettent de s’informer, se divertir, se cultiver et s’ouvrir au monde. Le quotidien est constamment assailli d’informations. Pour la génération Y [2], cela relève d’un comportement habituel, les médias sont ancrés dans leurs mœurs. « Moi, la télé je l’allume dès que je rentre chez moi, et elle le reste jusqu’au moment où je me couche. C’est une habitude » nous raconte Romain, 19 ans, habitant du quartier des Dervallières.
Selon Gérard Mermet, sociologue français, qui s’est penchée sur la question de l’identification des tendances de consommation médiatique, les téléviseurs français restent allumés en moyenne 5h28 par jour dans les foyers en 2007, pour une écoute moyenne quotidienne de 3h19. Une partie de l’apprentissage social passe donc par les médias, façonnant ainsi de nouvelles conduites. Les médias sélectionnent l’information qu’ils diffusent, un tel choix peut donc dicter la façon de penser de certains jeunes qui fondent leur opinion sur ce qu’ils entendent à la télévision.
Différentes attitudes se dégagent face aux informations des médias. « La spirale du silence », théorie développée par Elisabeth Noëlle-Neumann, consiste à observer et analyser ce que l’individu fait de son environnement social. Cette sociologue allemande montre la peur qu’a l’individu d’être mis à l’écart de la société s’il pense différemment des autres. Ainsi les médias offrent à ces individus une opinion toute faite, « pré-découpée ». Les jeunes ont alors accès à une pensée qu’ils croient être celle partagée par tous. Leurs opinions découlent de ce qu’ils voient dans les médias. Certains médias sont plus consommés que d’autres par ces jeunes et fondent une « pensée commune ». L’opinion des jeunes a tendance à disparaitre laissant place à une opinion publique et collective, forgée par les médias.
Les médias influencent les cadets de la société par les codes qu’ils véhiculent et sont donc producteurs d’une certaine « norme ». Vêtements, musiques, aspects physiques, tout est dicté par les médias pour rentrer dans la norme de la société. Par exemple, l’image de la femme mince passée à la télévision va être adulée et souvent tentée d’être reproduite. Cependant on peut penser que chacun a son libre-arbitre pour respecter ou transgresser ces codes. Tout est une question d’individu, nous ne sommes pas dans une société où tout le monde est sous l’emprise de ces codes véhiculés. On peut néanmoins se poser la question de savoir si tout le monde a la capacité de mettre à distance ces codes ?
Nouvelles pratiques médiatiques des jeunes
Lorsque l’on descend dans la rue, et que l’on demande aux jeunes « comment vous informez-vous ? Et pourquoi ? », la télé et Internet arrivent en première position de par leurs côtés divertissants. « Avec la télé on ne s’ennuie pas, ça bouge. Il y a des images et du son, pareil avec Internet » explique Mélissa, 15 ans lycéenne et habitante des quartiers Nord de Nantes.
Aujourd’hui, la télé est le média le plus consommé par les jeunes. C’est un média d’image et « tout passe par l’image » ajoute Mélissa. La télévision a une dimension plus divertissante et interactive que d’autres comme la presse écrite. « Je ne lis pas les journaux, enfin si, de temps en temps quand je tombe dessus. Ils sont souvent dans la boîte aux lettres de mes parents mais ça dépend de la première page s’il y a un titre qui m’intéresse je vais vite fait lire l’article sinon c’est poubelle » confirme Rodolf, 21 ans, habitant du quartier des Dervallières.
Le divertissement a alors donné des idées aux chaînes de télévisions qui produisent maintenant de l’infotainment et c’est déjà le cas avec le Grand Journal de Canal+ présenté par Michel Denisot qui réunit à la fois de l’information d’actualité mêlée au divertissement. L’infotainment est un concept anglo-saxon qui s’est répandu en France avec succès. Selon LeFigaro.fr, France 2 songe d’ailleurs à produire une émission de divertissement et d’information à la place du journal de 20h. Mais ce qui s’apparente plus à un divertissement qu’à une information neutre et objective nécessite une surveillance sur le long terme. La frontière entre le journalisme et le divertissement est alors la limite de ce concept. Le public doit comprendre qu’il ne s’agit en aucun cas d’un documentaire ou d’un programme éducatif, mais d’un divertissement sans caution journalistique traditionnelle.
Je n’ai plus besoin des autres médias, je trouve tout sur Internet
Les médias influencent les jeunes, et à l’inverse les jeunes inspirent les médias : c’est le jeu de l’offre et de la demande. Les médias s’adaptent aussi aux comportements et au rythme de vie des jeunes, qui prennent de moins en moins le temps de réellement s’informer. Les médias ont donc pris le pas sur ce mode de vie en délivrant de l’information à tout va et souvent en petite quantité. Et le gagnant de cette catégorie est Internet qui permet de consulter les informations souhaitées quand on le décide. Boîte mail, réseaux sociaux… l’information est accessible partout et tout le temps. Et c’est d’autant plus vrai avec le développement des Smartphones qui offrent un accès illimité au web et proposent des applications spécialisées dans l’information comme Le Monde, 20 Minutes ou encore Libération.
En outre, les réseaux sociaux occupent une place grandissante dans le monde de l’information, comme le précise Marie-Catherine Beuth, journaliste spécialiste du média Internet, Facebook et Twitter. Ces médias sont utilisés par 75% des journalistes web, 72% des journalistes de presse quotidienne et 58% des journalistes de presse magazine. Et même si 84% des sondés estiment que les contenus des médias sociaux sont moins fiables que ceux contenus dans les médias traditionnels, les jeunes y consacrent énormément de leur temps et s’informent souvent via les réseaux sociaux. A titre d’exemple, plus de 270 000 abonnés suivent les actualités du journal Le Monde sur Facebook et sont quasiment 600 000 followers sur Twitter. « Moi, l’information je la trouve grâce à mon Iphone, je n’ai plus besoin des autres médias, je trouve tout sur Internet » déclare Joseph, 17 ans rencontré dans le quartier de Nantes Nord.
L’émergence de nouveaux supports d’information
C’est à travers une forme de média participatif qu’Arnaud Théval, artiste nantais, tente de faire émerger une nouvelle image des habitants des quartiers produisant ainsi un nouveau support d’information qui introduit des enjeux d’expressions : « un jeu de langage par l’image »
Invisibles est un projet qui a commencé dans les quartiers Nord de Nantes en 2008 en lien avec les jeunes des quartiers populaires. Ce projet a été réalisé pour répondre aux problématiques liées aux enjeux des quartiers Nord de Nantes et à l’espace urbain et public. Arnaud Théval s’intéresse donc à la manière dont des espaces peuvent être monopolisés par une sorte de tension liée à un certain groupe d’individus, mais aussi à la manière dont les médias cristallisent leur attention sur cela. Son travail avec les jeunes porte sur la question de la « transformation » des stéréotypes des gens des quartiers. Comment deviennent-ils invisibles par des effets de mode et à force de s’enfermer dans cette représentation ? C’est la grande question soulevée par l’artiste à travers son projet Invisibles. Le but étant de « faire réagir, réfléchir, parfois déranger voire bousculer les opinions, et que les gens des quartiers aient un autre regard sur eux-mêmes, autre que la stigmatisation dans laquelle on tend à les enfermer ». Et l’artiste va plus loin et sort en 2011 un jeu vidéo en ligne Underfire dont l’enjeu est de « produire une œuvre qui vienne travailler sur l’imaginaire lié aux quartiers populaires ». La création de ce jeu vidéo permet « de se libérer d’une certaine pression sociale » où l’idée est de prendre la parole sur un territoire imaginaire, virtuel au travers duquel on peut se construire un avatar. Le but est de faire passer des enjeux sociaux sur un espace public via cet avatar, qui a ce rôle de porte-parole. « On sort du quartier pour que l’œuvre produite ne soit pas uniquement à destination d’un quartier et que son contenu puisse être appréhendé par d’autres. » confie l’artiste nantais. L’information ne se trouve pas que dans les médias dits « classiques », elle est partout.
Vous trouverez le jeu vidéo ainsi que toutes les œuvres d’Arnaud Théval sur : www.arnaudtheval.com/
Leslie Vogt et Faustine Heugues
Crédits photo : bannière « Youtube for Television (beta) cc francescominciotti sur Flickr.
[1] contraction de « information  » et « entertainment  » (divertissement)
[2] désigne la génération née entre 1980 et 2000 en clin d’œil à la forme que trace le fil de baladeur sur le torse ou à la génération précédente appelée génération X
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses