
DÉBAT QUARTIER
Médias et habitants : représentations malmenées
Un incendie au pôle emploi dans le quartier des Dervallières, une fusillade à Bellevue, un centre commercial carbonisé à Malakoff, autant d’événements brà »lants dont la presse est avide pour en faire ses gros titres. A travers le prisme des médias dominants, les quartiers subissent bien des représentations négatives et une image qui est parfois déformée à cause des choix éditoriaux.
Faits divers, vie associative et restructurations urbaines, voilà globalement les trois principaux thèmes dont la presse quotidienne régionale parle lorsqu’il s’agit des quartiers d’habitat populaire nantais. C’est en tout cas ce que pensent les différents habitants des quartiers des Dervallières, Malakoff et Bellevue, que nous avons interrogés lors de nos micros-trottoirs. Cette représentation de la vie des quartiers peut être remise en question et suscite le désarroi chez certains de ces habitants, qui ne se reconnaissent pas dans les articles de presse.
« Il peut y avoir dix sujets positifs, si un seul parle de ce qui ne va pas, on ne verra que lui ». Jean Le Menn, correspondant pour Ouest France dans le quartier des Dervallières depuis dix-neuf ans, propose son explication : « quand on s’attaque à l’image du quartier, les habitants ont la sensation d’être personnellement attaqués, car ils sont fortement attachés à l’image du lieu où ils vivent ». Cet enseignant à la retraite déplore le manque de bonne foi de certains lecteurs : « certains disent que les journalistes ne sont bons qu’à parler des trains qui déraillent, ceux-là ont des œillères et ne voient que les gros titres. Ce ne sont pas ceux qui lisent le journal entièrement ».
Mauvaises images des quartiers : à qui la faute ?
Colère, résignation ou agacement, les habitants se sentent parfois trahis et certains ressentent de la défiance vis-à-vis de la presse
« La rédaction sait qu’elle contribue à faire et à défaire l’image du quartier. Alors nous faisons attention à ce que nous écrivons, à l’emploi du vocabulaire, à ne pas prendre parti. Un journaliste doit savoir prendre du recul, ou bien ce n’est pas un bon journaliste », souligne Jean Le Menn. Du côté des habitants, les avis divergent. « La presse ment », accuse un jeune d’environ 19 ans à l’avis tranché, auquel fait écho une mère de famille, pourtant fidèle lectrice de Presse Océan qui déplore que « ce sont toujours les sujets négatifs qui paraissent en Une des journaux, tandis que le positif est souvent relégué dans de petits encarts ». Colère, résignation ou agacement, les habitants se sentent parfois trahis et certains ressentent de la défiance vis-à-vis de la presse.
Afin de couvrir la vie des quartiers, Ouest France a instauré il y a une vingtaine d’années des pages spécialisées et des correspondants ont été désignés sur le terrain. Ces derniers ont en charge de relayer l’information sur la vie de quartier. « Je traite de tout ce qui se passe d’intéressant, vie associative, activité des institutions, etc. Mon rôle consiste à valoriser la vie du quartier », explique Jean Le Menn, à propos de sa fonction. Bien intégré dans le quartier, Jean Le Menn connaît presque tout le monde aux Dervallières, et surtout, il est au courant de tout ce qui s’y passe. Mais comme un silence vaut mieux qu’un long discours, souvent il se garde bien d’en toucher mot à la rédaction : « je travaille de façon citoyenne. Mon but n’est pas de rajouter de la misère à la misère, de pourrir la vie des gens ».
Or, dès qu’il se produit un évènement hors du commun dans l’un de ces quartiers, les rédactions dépêchent un journaliste sur place, au lieu du correspondant. Un déploiement de « grands moyens » qui déplaît aux habitants : « les journalistes ne viennent que quand ça ne va pas. C’est de la flûte. C’est à cause d’eux que les gens qui mettent les pieds pour la première fois dans le quartier ont des appréhensions. En fait, ils changent vite d’avis une fois qu’ils voient la vraie vie ici », s’insurge le gérant du Churchill Bar à Bellevue. Comment bien prendre ce choix des journaux et surtout comment l’interpréter ? Dès qu’un événement se produit, les journalistes d’astreinte s’empressent de venir sur les lieux pour constater les faits. Il est d’usage que les policiers ou les pompiers préviennent les rédactions par téléphone dès qu’il se passe quelque chose qui nécessite leur intervention. Les évènements sensationnels sont donc de la responsabilité du journaliste, alors que ce qui concerne la vie de tous les jours, la « réalité » comme nous l’ont répété si souvent les habitants de quartier que nous avons rencontrés, est assignée aux dernières pages. Le correspondant n’a pas le monopole de la couverture d’un quartier, sans compter qu’il exerce souvent une autre profession. Cette façon de procéder désole les habitants des quartiers, cela leur procure la sensation que seuls les éléments négatifs valent la peine du déplacement aux yeux des journalistes. A côté des gros titres aux échos sensationnels, les nombreuses ressources positives et les formes plus ordinaires d’existences qui se développent au sein des quartiers ont une résonance moins importante. Les « pages quartiers » sont peu nombreuses, ce qui laisse peu de place à l’écho de la vie quotidienne.
Au cœur d’un cercle vicieux
le problème de représentation va dans les deux sens, personne ne veut plus communiquer avec personne
En lisant les journaux, les habitants ont la sensation d’être confrontés à de l’information partielle et partiale et n’hésitent pas à le reprocher aux journalistes. Entre ces derniers et les habitants, la communication se délite, jusqu’à ce que, parfois, le climat dégénère. Un phénomène très simple se constate : dès lors que l’on s’attaque à un journaliste, c’est la presse dans son ensemble qui se sent visée, de même que si un membre du quartier est stigmatisé par la presse, c’est tout le quartier qui se sent concerné. Un cercle vicieux engendré par la méconnaissance des uns et des autres. Ces désaccords sont, pour la plupart du temps, les éléments déclencheurs d’un cercle vicieux : en faisant la couverture des quartiers à coup de faits divers, la presse nourrit les tensions ; Attaquer un journaliste revient à s’attirer la méfiance de ces derniers et des lecteurs. Conséquences : le problème de représentation va dans les deux sens, personne ne veut plus communiquer avec personne, les clichés assimilant les quartiers à des zones d’insécurité ont la vie belle, et l’information sur la vie quotidienne d’un quartier, comme la dynamique de la vie associative par exemple, ne trouve plus écho dans les pages des quotidiens locaux, entraînant de fait, le lieu commun d’une méconnaissance et d’une stigmatisation des quartiers. Ce phénomène pose problème car l’opinion générale à propos des quartiers est souvent créée à partir de faits commis par une minorité. Comme nous l’explique J.Le Menn : « aux Dervallières, il y a 1200 jeunes. 1100 sont cleans, bien éduqués, 100 sont à surveiller, 40 partent à la dérive, soit une toute petite minorité d’entre eux ». Une précision qui contraste avec le flou qui alimente parfois les représentations.
Jean Le Menn a constaté une évolution depuis son arrivée : « les relations entre journalistes et habitants de quartier étaient bien pire avant ! En voyant un journaliste arriver, les habitants pensaient directement qu’il ne venait que pour salir l’image du quartier. Maintenant, bon nombre de personnes viennent à moi pour me demander de relayer l’information ».
Hiérarchie de l’information : du fait divers avant tout
Médias et habitants des cités peuvent certainement sortir de leurs représentations déjà toutes faites. Les habitants souhaiteraient que les médias fassent plus attention à leurs besoins, leurs attentes, via par exemple, plus d’informations pratiques, plus d’articles traitant de la vie quotidienne de leur quartier. Certains journalistes, de leur côté, aimeraient que l’on cesse de penser qu’ils ne sont là que pour donner une mauvaise image du quartier. Jean Le Menn considère qu’un « phénomène de victimisation se répand de plus en plus dans les quartiers ». « Les gens ont tendance à se plaindre de plus en plus. Alors ils se plaignent de leur situation en faisant porter le chapeau à la presse ». Mais de quelle situation s’agit-il en réalité ? Celle que vivent les habitants au jour le jour, pas dans le cliché de malaise ambiant ni dans celui d’une solidarité et d’un dynamisme magnifié, mais simplement entre les deux ? Ou bien celle qui, d’après les habitants, est exagérée à souhait par la presse : « ce que les journalistes écrivent, ce n’est pas la réalité. Ils agrandissent les histoires pour vendre », ironise la figure locale de Bellevue au Churchill Bar, propos corrélés par Océane et Léa, deux passantes, quelques mètres plus loin : « ce n’est pas toujours très représentatif. On a plus l’impression qu’ils recherchent le scoop ».
Le journal Ouest France, le barman du Churchill Bar le connaît bien, il le lit tous les matins. Et pourtant, même en l’épluchant minutieusement, il n’y trouve pas son compte car pour lui les informations concernant les quartiers ne sont pas assez exhaustives. Il va même jusqu’à nous rétorquer : « des articles sur Bellevue ? Y en a pas souvent ! ». Une mère de famille, interrogée lors d’un micro-trottoir aux Dervallières, pour sa part abonnée à Presse Océan, se dit plutôt satisfaite du contenu du quotidien, mais pointe le bémol d’un traitement réducteur de l’information. Alors, hiérarchisation problématique de l’information exercée par les rédactions ou « œillères » (pour reprendre le terme de Jean Le Menn) de la part des lecteurs ? Nous avons fait le test simple (mais devenu réflexe à l’ère du tout-Internet) d’une recherche Google avec comme mots clés : Dervallières + Nantes + Ouest France. Les résultats parlent d’eux-mêmes : Dervallières : un mauvais climat pèse sur les habitants ; Maison de l’emploi, poubelles et voiture incendiées ; Un policier municipal blessé aux Dervallières sont les titres qui arrivent en tête de liste.
les journalistes ne viennent que quand ça ne va pas
A chacun sa réaction
D’un côté, il y a les passifs, ceux qui, lassés, écœurés, ne lisent plus le journal local, à l’instar de ces deux adolescents interrogés aux Dervallières qui, de but en blanc, déclarent « s’en foutre » parce que « ça a toujours été comme ça et ça ne changera pas, tant que les journalistes ne feront pas de vrais reportages ». De l’autre, les réactifs, qui optent pour des moyens d’expression plus violents, comme certaines minorités, prêtes à menacer les journalistes. Sans compter sur une réalité des quartiers peu prise en considération et qui est pour le moins déconcertante, la proportion d’illettrés : « je ne sais pas lire donc je m’informe autrement ». Enfin, certains habitants affirment ne pas avoir besoin des quotidiens locaux pour s’informer, puisqu’ils n’y trouvent généralement pas les informations qu’ils estiment utiles pour pouvoir participer à la vie du quartier. Le bouche-à-oreilles et l’affichage remportent de plus en plus les suffrages de ces habitants qui ne se retrouvent pas dans les colonnes de la presse quotidienne régionale. En effet, cette manière de communiquer les informations en interne correspond à des habitudes ancrées dans la culture de quartier et les habitants trouvent ce procédé normal, naturel et efficace.
Les habitants se détournent de plus en plus de la presse, ce qui n’aide donc en rien les questions de représentativité et les relations entre médias et habitants.
Anne-Sophie Blot et Anaïs Oger
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