Mue, résurgence actuelle du théâtre antique
Une mélopée issue d’un échange poétique
Dans son supplément du 5 juillet 2005 consacré à cette 59e édition du festival d’Avignon, Le Monde annonçait brillamment les pistes de recherche théâtrale proposées par la nouvelle génération. Dont la Coopérative 326 et Jean Lambert-wild pour Mue : Première Mélopée. Analyse d’un spectacle cosmique.
C’est au château de Saumane, à quelque distance de l’agitation festivalière, que la direction du festival a délocalisé Mue, spectacle résultant de la rencontre entre la Coopérative 326 et la communauté des Xavantes d’Hetênhiritipã (Mato Grosso, Brésil).
Dores et déjà, ne pas s’attendre à une prouesse de type ethnologique, voire colonialiste et condescendante. L’élaboration de Mue se déroula durant trois voyages successifs de membres de la Coopérative au village d’Hetênhiritipã. Elle fut menée conjointement, dans un processus d’accords respectifs. Savoir également, s’il était besoin de le rappeler, que les Xavantes, peuple fier et guerrier, « Hommes de vérité », selon leurs propres termes, ne se livreraient en aucun cas à une pantomime dont ils seraient les singes savants instrumentalisés par un créateur fou. Ces évidences étant posées - voir en septembre, dans notre magazine papier, l’interview du Xavante Paolo Francisco Supretaprã -, « l’échange poétique » peut être entendu.
C’est dans un rêve que Paolo Francisco Supretaprã a eu la vision du château de Saumane. C’est ainsi. C’est ce que l’on appelle, en termes journalistiques, un fait objectif. Il a souhaité que là se déroule Mue : Première Mélopée. Accéder à cette charmante bâtisse ceinte d’un parc somptueux et veillée par une forteresse circulaire, au calcaire doucement érodé, laisse à loisir le temps d’admirer les ocres du crépuscule sur la Provence. Le temps de se laisser investir par un silence gaiement empli du chant insistant des cigales. Et celui d’être piqué d’une curiosité impatiente. Quand le spectacle commence, que la lourde porte s’ouvre, Jean Lambert-wild, initiateur du projet, vêtu du pyjama à rayures qui caractérise son personnage de clown, s’allonge sur la crête du pont de pierre. Le dormeur se repose, la ficelle d’un ballon blanc au bout du doigt. Seul le léger mouvement impulsé par la brise témoigne de sa présence muette. Il sourit, les yeux clos. Il rêve.
Un espace scénique classique
À l’intérieur de l’enceinte, le public accède, toujours en grimpant, à une trouée entre les pins. Là, dans l’espace circulaire qui est celui de tous les théâtres, un promontoire de terre rouge. Huit sièges, huit micros. Les spectateurs s’installent en contrebas, tout autour. Et derrière eux, un cercle encore, pourvu de micros d’où jaillira le commentaire poétique, par la voix du comédien Stéphane Pellicia, choryphée du spectacle. Entrent en scène, un à un, cinq Xavantes vêtus du pagne traditionnel, le visage et le corps peints, et trois comédiennes en robe rouge. Ils sont les porte-parole de la rencontre, concrètement. Ils sont le chœur antique installé dans le cercle. Espace scénique dans la plus pure tradition grecque. Utilisation pertinente d’un trait du classicisme, dans ce contexte.
Mise en scène ritualisante, certes, mais pour une création qui n’est pas une cérémonie initiatique. Ni un plagiat du théâtre antique. Et qui n’est pas non plus un wara, conseil réunissant les hommes xavantes au centre du village, deux fois par jour, et destiné à régler la vie de la communauté. Mue est une mélopée, annoncée comme telle, organisée comme telle. C’est-à-dire, selon la définition du Trésor de la langue française - dont on n’ignore pas la somme colossale qu’il représente en matière de connaissances linguistiques : « déclamation notée avec accompagnement musical ». Déclamation polyphonique portée, en outre, par la composition originale de Jean-Luc Therminarias.
Un cadeau venu de loin
Une mélopée donnée dans un espace organisé selon la règle du théâtre antique, voici donc ce qu’est Mue. Une mélopée qui se dit sous les étoiles, avec la complicité de la lune, lorsque la nuit décline. Un événement qu’éclaire comme d’une flamme centrale le travail de Renaud Lagier, picotant aussi l’agora de loupiottes discrètes accrochées aux micros. Il suffit de s’abandonner à la veillée où se racontent ces histoires qui appartiennent à tous. Où se livre calmement la parole de Sereburã, l’ancien du village d’Hetênhiritipã, qui l’a confiée à ceux qui la prononcent sur scène. En d’autres termes, ce serait un théâtre de style oraculaire puisant « à un patrimoine commun, dans un esprit de confraternité qui nous étonne », comme l’éminent musicologue Maurice Emmanuel le soulignait il y a un peu plus d’un siècle, dans sa thèse consacrée aux danses de la Grèce antique. Par quel surprenant phénomène d’acculturation ne verrait-on pas là un objet théâtral ?
La mélopée comprend trois paroles, dites en langues xavante, française et anglaise. La langue y est un régal de pure poésie. Il y a le cœur du texte, discours de Sereburã. Fruit, en français, d’un important travail de traduction mené par Jean Lambert-wild et Luciano Loprete, sous l’œil vigilant de la structure brésilienne de défense des droits des peuples d’Amazonie. Il y a trois mythes xavantes livrés au public occidental, où il est question de la genèse du monde et de ce bien universel, vital, à entretenir et préserver dans le respect des communautés humaines. Et il y a ce long et magnifique poème, contant le rêve de Waëhipo junior, la quête, la rencontre et le don.
Car c’est aussi de cela qu’il s’agit : du cadeau d’une parole venue de loin dans l’espace et le temps. Une parole éminemment « vocale », extrêmement simple, accessible. Incantatoire. C’est peut-être, d’ailleurs, cette force incantatoire exempte de tout folklore qui inspira à notre consœur du Figaro Armelle Héliot, dans l’édition du 14 juillet, ce commentaire navrant autour de « la faiblesse et l’ambiguïté d’un propos qui ressemble plus à une cérémonie new age qu’à un rite venu du Mato Grosso »... Espérons que d’autres confrères, forts de la déontologie de la profession, sauront approcher de plus près ce langage théâtral et poétique qui puise ses racines à l’origine de l’art et déploie ses bourgeons jusqu’à nous.
Victoire Delisle
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