VU AU FUN FESTIVAL 2010
Réflexions d’un cancrelat : « La Métamorphose  » vue par Nicolas Arribat
Dans le cadre du « Fun festival  », a été présentée au Théâtre Universitaire une adaptation théâtrale de l’œuvre de Kafka : La métamorphose. Nicolas Arribat, metteur en scène à la sensibilité philosophique, propose une mise en scène libre et originale de cette œuvre importante dans la carrière de l’écrivain. Il présente une pièce courte et percutante qui met en lumière des aspects simplement suggérés dans l’œuvre d’origine. Il pose des questions universelles qui invitent le lecteur à méditer, réfléchir sur le sens de la vie.
Les comédiennes incarnent les deux facettes de ce personnage ambiguë : le rapport entre humanité et monstruosité.
La dualité des personnages est judicieuse: cette opposition permet aux comédiens de révéler la vraie nature de l'autre.
L’adaptation théâtrale de La métamorphose de Kafka par Nicolas Arribat sur le petit plateau du TU propose une vision originale et inspirée de l’œuvre. Cette pièce tient lieu de support à un échange philosophique vivant et attractif. On découvre un décor simple et un éclairage tamisé qui concentre l’attention du spectateur sur l’interprétation convaincante des deux comédiennes et transporte dans un univers entre inquiétude et mystère. Les deux seules comédiennes présentes sur scène, Anne Woisson et Heike Bröckerhoff, évoluent dans un espace volontairement restreint qui nous amène au plus près de la scène.
L’œuvre de Kafka conte l’histoire de Gregor Samsa, représentant. Alors qu’il passe sa vie dans les trains, mène une vie paisible et sans imprévu, il se réveille métamorphosé en cancrelat. L’histoire raconte la progression de cet homme-bête et restitue ses réflexions sur cette étrange et triste situation. Il est victime de l’arbitraire de sa transformation, d’un corps malheureux et de l’incompréhension de sa famille. Kafka ne donne pas d’explication à la métamorphose. On y verra une métaphore du désir refoulé face à une vie de routine. Écrasé par les dettes héritées de sa famille, Gregor ne fait que survivre.
La version que nous propose Nicolas Arribat prend de la distance par rapport à l’œuvre initiale, une décision certainement pertinente quand on connaît toute la portée intime, l’aspect autobiographique implicite que Kafka intègre dans son œuvre. Nicolas Arribat a donc choisi de mettre en scène physiquement les deux facettes du personnage de Gregor Samsa, de ne manifester la présence de sa famille que par des voix off qui conservent la langue d’origine de l’écrivain, l’allemand.
Mise en scène de l’opposition et dialogue de sourd.
La pièce s’ouvre sur deux jeunes filles allongées dans un lit, l’espace est très sombre. Un réveil sonne et l’une des jeunes filles sort du lit. Elle s’habille activement et demande à l’autre de bien vouloir se lever se lever. Cette dernière refuse…
La suite ? une demi-heure de dialogue d’opposition, d’incompréhension et de réflexions d’ordre philosophique. La vie et l’être sont au cœur d’une remise en question existentielle : le va-et-vient entre l’invraisemblable de la scène et l’universalité de la question suscite l’intérêt de chacun. Les deux comédiennes interprètent le même homme, Gregor Samsa. Elles incarnent les deux facettes de ce personnage ambiguë : le rapport entre humanité et monstruosité. Déjà dans l’œuvre initiale, il est tiraillé entre ce désir de tout changer et cette culpabilité omniprésente qui le pousse à servir sa famille.
L’ambivalence physique et moral du personnage de Gregor Samsa : un contraste fascinant
Nicolas Arribat exacerbe cette ambivalence de l’être. Il oppose physiquement et moralement les deux facettes qui composent le personnage de Gregor Samsa.
Dès les premières minutes, il matérialise cette opposition. Le Gregor raisonnable s’active, panique, ne cesse de parler, pense à son entourage. La culpabilité et la peur sont immédiates. Le Gregor métamorphosé, lui, est encore allongé dans le lit. Il donne des réponses évasives, semble complètement scindé de l’être qu’il était avant et plongé dans une léthargie étrange, voire effrayante. De bout en bout de la pièce, ce second Gregor est envahi par un sentiment jouissif ; il a l’air possédé. L’altérité du personnages de Gregor est donc exprimée par les aspirations opposées des deux êtres qui le composent, par des contrastes physiques et moraux et par l’interprétation des comédiennes.
Réflexions sur les causes de la métamorphose
Nicolas Arribat choisit de mettre en lumière les raisons de la métamorphose. L’ interprétation sensible des deux jeunes comédiennes s’éloigne volontairement des dialogues d’origine. Le metteur en scène s’attache à faire parler le nouveau Gregor sur ce qu’il veut devenir, sur le pourquoi de cette métamorphose. La comédienne qui incarne ce Gregor nous captive avec un long monologue sur l’épuisement d’une vie linéaire, rythmée par les mêmes événements, les mêmes intervenants. Elle nous exprime la volonté de devenir un être nouveau, vierge. Un homme qui n’a rien à voir avec tous les autres, avec celui qu’il était avant, une sorte d’être suprême qui se placerait au dessus de tout : la vie, la mort, l’amour.
L’autre Gregor semble jouer le rôle d’interface entre le métamorphosé et la famille. Il se place sans arrêt devant les portes, restitue plus ou moins les paroles des proches. Allemande ou française, les voix de sa mère, de son père ou de sa sœur le pétrifient. Il tente par tous les moyens de convaincre le nouveau Gregor, en faisant appel à sa raison et à son cœur, sans jamais comprendre que, pour lui, tout ça n’est déjà plus qu’un vague souvenir. Il s’est déjà envolé vers un monde différent, une conception originale qui l’amène vers une vérité nouvelle.
La dualité des personnages est judicieuse : cette opposition permet aux comédiens de révéler la vraie nature de l’autre. Sans cette opposition des deux faces d’un même personnage, les convictions de chacun ne sauraient être si convaincantes et percutantes.. C’est ce rôle d’opposant qui fait de son adversaire ce qu’il est réellement. Ce sont les arguments de l’un des Gregor qui incite l’autre à défendre sa position. En s’attachant à faire ressortir cette ambiguïté dans l’esprit de Gregor, Nicolas Arribat a su parfaitement saisir et mettre en lumière cette complémentarité, cette ambivalence de l’être.
Texte : Alizée Remaud
Photos : Romain Ledroit
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