Portrait d’une artiste audacieuse
Christine Letailleur, entre passion et obsession
En ce début d’ année 2010, Christine Letailleur, metteur en scène, est la nouvelle artiste associée du Théâtre national de Bretagne. C’est l’occasion de vous offrir le portrait d’ une personnalité atypique de la scène française. Entre questionnement du désir, de l’ obsession et de la mémoire elle donne avec générosité sa vision de l’art, des auteurs et du milieu parfois cruel où elle rôde.
Ma première rencontre avec cette metteur en scène fut il y a presque 1 ans et demi, lors du festival Mettre en scène 2008. Elle présentait, à l’époque, sa dernière création Venus à La fourrure inspirée du roman de Sader-Masoch. Christine Letailleur comme elle me le confia au mois de novembre durant Hiroshima mon amour ( sa mise en scène actuelle) « Je m ’ennuie quand je lis des pièces, j’ ai besoin de rêver, de suivre les personnages dans leurs quêtes. Le roman m’ en donne la possibilité. » Dans les romans elle fouille, elle explore la langue des auteurs, la langue de la littérature. Elle cherche la complexité, adapte l’ écriture romanesque en trame théâtrale. En 2006 elle triomphe avec La Philosophie dans le boudoir du Marquis de Sade. Dans cette pièce, elle fait un travail titanesque de mise en forme théâtrale. Pendant des mois, loin des bars branchés de la capitale ou des théâtres nationaux, elle réécrit l’ histoire pour la donner à ses acteurs et surtout à son actrice fétiche Valérie Lang : « Avec Valérie, on a une énorme complicité de plateau. Je demande aux acteurs d’ apprendre le texte avant de venir sur le plateau. Je ne travaille jamais en improvisation. Cela me permet d’ entendre le texte et ainsi de pouvoir insister sur les mots, le sonorités, les syllabes ». Ainsi la comédienne en est à sa quatrième collaboration avec Christine Letailleur et elle s’ y plaît. « Mon travail de comédienne est de m’approprier la langue des auteurs : Molière, Shakespeare, Racine mais aussi des contemporains Lagarce, Koltès, Pasolini. » Leur dernier fait d’armes commun est le scénario d’Alain Resnais écrit par Marguerite Duras, Hiroshima mon amour : « Duras, elle m’a aidé à me comprendre, surtout quand j’étais jeune , elle m’ a empêcher d’ être seule. Puis c’ est une langue forte, dure et hypersexualisée. »
J'ai un amour de la langue du XVIIIe, du libertinage et du badinage.
Des thèmes qui choquent
Elle traite des sujets avec passions, sans retenue, perfectionniste dans la recherche. Lors d’une de ses créations, Pasteur Ephraim Magnus de Hanns Henny Jahnn, elle raconte : « Je suis allée en Allemagne, traduire un texte sur la tombe de Jahnn ». Elle va loin dans sa démarche, elle sublime les désirs, elle traite des sujets tabous. Christine Letailleur ose ,ce qui peut déranger certains directeurs de théâtre. Elle parle ouvertement de sexualité, d’attirance, d’obsession . Ainsi en 1994 elle conçoit Médée Matériau de Heiner Muller et obtient le premier prix du festival international de théâtre universitaire aux Amandiers. Mais on trouve son théâtre trop dérangeant, et surtout trop féministe. « On me proposait des projets qui ne m’ intéressaient pas, on m’ empêchait de créer. Heureusement François le Pillouer, directeur du TNB, m’a lancé une dernière chance. Alors j’ ai pu monter jahnn, la première partie, puis cela a marché et j’ ai pu le monter en entier. Encore aujourd’hui’ hui mes créations ne tournent pas longtemps, dans Vénus à la fourrure on m’ a reproché de manger la virilité des hommes. »
Une femme libre
Maintenant les choses ont évolué et Christine Letailleur les a fait bouger. C’est une liberté incroyable qu’ elle possède : la liberté de créer, le liberté de penser et c’est son parcours de femme philosophe qu’il l’a fait avancer. Actuellement elle compte faire partir Hiroshima en tournée à New-York et Tel-Aviv. Elle pense remettre en scène Le Banquet de Platon qui avait triomphé lors des présentations de travaux de fin d’ année des élèves du TNB et puis elle adapte une pièce de Restif De la Bretonne. « J’ ai un amour de la langue du XVIIIème, du libertinage et du badinage. Je m’ enferme chez moi pendant 6 mois ou la bibliothèque Pompidou pour adapter et construire des images mentales. Mais cette fois ce sera une pièce que je vais monter... ». Comme un symbole de liberté, Christine Letailleur choisit seule, avec sa propre liberté quitte à déplaire. Elle fait partie des ces femmes qui assument leur art et luttent avec intelligence. Son véritable engagement de femme et d’ artiste, elle le fait dès la première ébauche, qui est dans le choix de l’ auteur : « Un grand texte est politique et poétique... »
Clément Pascaud
Photo : DR
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