
PORTRAIT
"Aurora", nouvelle étape dans la carrière d’Avishai Cohen (2/2)
Belle surprise que le dernier opus d’Avishai Cohen, « Aurora  » sorti chez Blue Note en mars 2009. Le célèbre bassiste de jazz, entouré par d’excellents musiciens, y révèle ses talents de chanteur et met en lumière tout un pan de l’histoire de son pays, Israë l. Un retour aux sources, à l’essentiel donc, mais aussi une porte ouverte aux rencontres des cultures… Retour sur le parcours artistique de l’artiste (Episode 1)
Votre dernier album, “Aurora”, est sorti il y a quelques mois. C’est un tournant dans votre carrière, car on vous découvre comme chanteur pour la première fois.
Je n’apparais pas vraiment comme chanteur comme ce serait le cas pour un album pop, dans lequel tout tourne autour du chant. “Aurora” laisse la part belle aux instruments, il y a beaucoup d’ « espace libre », mais c’est vrai que cet album est complètement différent de ce que je faisais jusqu’à maintenant. La voix est très apparente, c’est voulu. Il m’a semblé que je n’aurais pas été honnête ni avec moi-même ni avec mon public, si je ne partageais pas les projets vocaux que je menais chez moi, à la maison. J’ai pris un grand risque et je ne le réalise en général qu’après-coup. Cet état d’esprit associé à mon dernier album comporte de nombreux avantages, mais aussi le risque de perdre des fans. Ce tournant que j’ai pris m’a donné l’occasion d’observer les différentes réactions des gens face à la nouveauté, l’insécurité : au sein des critiques musicaux ou des simples fans, certains sont surpris ou pensent ne plus aimer ma musique. C’est là que l’on voit à quel point l’être humain peut être hostile au changement.
Mais l’expérience d’ “Aurora” est malgré tout formidable. Quand on entreprend quelque chose qui demande du courage, il faut le faire avec amour, en acceptant les réactions des gens face au changement, et surtout profiter de ce sentiment de proximité – je crois que ce changement m’a rapproché de certaines personnes, parce qu’elles se sentent elles-mêmes plus proches de mon univers, de ma voix, de mon univers personnel. Ce rapprochement compte bien plus que la déception qu’ont pu ressentir certains, qui sont d’ailleurs moins nombreux que ce que j’imaginais. Cela dit, je n’ai jamais fait trop attention à tout cela, je me concentre sur ce que j’ai à faire.
À présent, mes concerts sont différents, ils intègrent la voix et présentent un répertoire plus large.
Pour moi, “Aurora” est une porte ouverte à d’autres choses, car cet album m’a donné la légitimité de faire tout ce que je veux sans avoir peur de la réaction du public. Je n’ai jamais joué ce jeu-là. Signer chez Blue Note Records et sortir un album sur ce label mythique m’a amené à faire des choses improbables et m’a ouvert une nouvelle voie. À présent, les concerts sont différents, ils intègrent la voix et présentent un répertoire plus large. Cela m’oblige à penser différemment en mêlant improvisation, composition et voix avec les musiciens talentueux que j’ai la chance d’avoir avec moi…le ciel lui-même n’est plus la limite, j’adore cette manière de voir les choses. C’est très important à mes yeux car tout ce qui présente des limites est synonyme de mort pour moi, en termes de création et d’imagination.
Les langues jouent dans cet opus un rôle central…
Exactement, je m’y exprime dans toutes les langues que j’aime et desquelles je suis proche : l’anglais est presque ma langue maternelle, et chanter en anglais est stimulant car l’anglais chanté a une sonorité particulière ; l’hébreu, ma langue maternelle, est, je crois, la langue dans laquelle je préfère chanter. Et puis l’espagnol, j’adore la musique espagnole et tout ce qu’elle suggère, je me sens d’ailleurs très proche de cette chanson espagnole que je chante, Alfonsina y el Mar, dont j’ai réinterprété le texte – rien que pour cela, “Aurora” est intéressant, car je pense avoir apporté quelque chose de neuf à cette chanson qui est chantée depuis des années dans les pays latins. Cela a été une étape importante pour moi. Je me suis senti à l’aise avec mon jeu de basse, qui donne à cette chanson un son particulier. Et enfin, le Ladino est une langue que j’ai surtout apprise de ma mère, qui chante des chansons ladinos faisant partie du paysage musical israélien et juif en général. Certaines de ces mélodies racontent de si belles histoires et sont si magnifiquement ciselées…
Les meilleurs artistes sont ceux qui donnent une importance majeure à l’imagination.
La chanson Morenika par exemple…
Morenika est une chanson connue de tous en Israël, des plus anciens en particulier. Il me semble qu’elle s’inspire d’un ancien texte de la Bible. Je ne connais aucune autre mélodie qui soit aussi forte et je suis très heureux d’avoir trouvé une manière originale de l’interpréter, comme si Morenika venait de mon propre univers. Mais il ne s’agit pas simplement de chanter la chanson, même si je reste fidèle à ses ingrédients de base et à sa composition, qui donne l’impression d’être l’écriture de tout un peuple – et non d’une seule personne. Dans mes précédents enregistrements, j’avais déjà réalisé des arrangements pour des chansons telles que Morenika, mais ils étaient purement instrumentaux ; cela fait donc bien longtemps que les chansons traditionnelles m’influencent et me font évoluer.
On dirait que les mots, les paroles de vos chansons ont une richesse et une charge émotionnelle d’autant plus importantes que l’on n’en comprend pas la signification.
C’est absolument génial ! Cela me rappelle mon enfance, lorsque j’écoutais les Beatles, je mimais les mots sans en comprendre vraiment le sens. C’est presque mieux ainsi car je peux me plonger totalement dans la musique comme pur son. Pour être honnête, les mots contiennent en eux une telle densité de sens, ils forment des mondes en eux-mêmes, mais je vois plutôt un mot comme un son. Je me considère comme légitime en disant cela, une interprétation unique des choses ne m’intéresse pas. La signification des choses les plus fortes est justement fondée sur une pluralité de sens. Les meilleurs artistes – et cela ne vaut pas seulement pour la musique – sont ceux qui donnent une importance majeure à l’imagination…au fond, n’est-ce pas ennuyeux de savoir que cet objet n’est qu’un simple enregistreur [Avishai fait signe vers le matériel d’enregistrement] ? Mais si vous le présentez de manière différente, à partir de là, cela devient de l’art.
Voilà justement le but du projet “L’Europe et la culture”, à Sciences Po Paris : partager une autre vision de ce qu’est “l’Europe” que la vision purement politique, qui a d’ailleurs beaucoup de mal à rassembler aujourd’hui. Nous avons pour cela choisi de présenter l’Europe en partant des arts.
La politique peut parfois être frustrante. Mais oui, je suis définitivement convaincu que l’art est la meilleure manière de jeter un regard nouveau sur ce qui se passe autour de nous.
Propos recueillis par Julie Diebolt, assistée par Cécile Parriat
Lire cet article en anglais : Episode 1 Episode 2
Pour en savoir plus
Avishai Cohen
Ne manquez pas ses prochains concerts : 24 et 25 novembre 2009 – Alhambra, Paris 10e
Toutes les dates de sa tournée française et européenne sur
le site d’Avishai Cohen
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Le projet collectif « L’Europe et la culture » - Sciences Po Paris
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