
Enquête sur l’économie du logiciel libre
L’économie du logiciel libre, une invasion souterraine
Le pingouin de Linux peut avoir le sourire. Le logiciel libre n’est plus seulement une philosophie, mais aussi une économie florissante. En dix ans, le libre a infiltré l’économie de services en ingénierie informatique et joue désormais sur le même terrain que les logiciels propriétaires.
La communauté du logiciel libre aime partager. Les codes informatiques, les savoirs, mais aussi les bénéfices. En dix ans, l’économie du logiciel libre [1] a explosé en France, avec 50 à 70% de taux de croissance annuel. 700 entreprises spécialisées se partagent un marché national qui pèsera 3 milliards d’euros en 2010, selon la Fédération nationale de l’industrie du logiciel libre (FNILL). « Toute l’économie est en train d’être infectée », constate François Elie, président de l’Adullact [2] et auteur d’Economie du logiciel libre [3].
Le grand public est le marché où le libre perce le moins
Le libre bénéficie de l’air du temps : tous les secteurs de l’économie possèdent un réseau informatique et beaucoup veulent être visibles sur Internet. Les acteurs du libre proposent une large palette de services, du développement de sites à la maintenance de réseaux, en passant par la conception de logiciels spécialement paramétrés ou la vente d’extensions payantes.
Leurs clients sont autant des entreprises publiques que privées, des multinationales de l’énergie ou des petites PME. Les collectivités locales sont les premières à bénéficier de cet engouement, suivies par les secteurs très concurrentiels comme la pétrochimie ou l’aéronautique, selon François Elie. « Le grand public est le marché où le libre perce le moins », ironise Patrice Boisieau, fondateur de l’entreprise Milliweb.
Le libre n'est pas moins cher, mais ses clients gagnent en indépendance
L’invasion du libre est loin d’être une marche ordonnée. L’économie est dominée par de grandes entreprises comme Nuxeo et Alterway. La société Linagora, par exemple, a réalisé un chiffre d’affaires de 12 millions d’euros en 2008. Ses clients ont pour nom Areva, Air France, la RATP, Carrefour… Sans oublier l’Armée de l’Air, l’Assemblée Nationale ou le ministère de la Défense.
Dans l’ombre de ces grands acteurs se multiplient les petites entreprises. Milliweb a été créée en 2007. Cette EURL nantaise conçoit des sites et développe des applications Internet. Milliweb va passer de 27 000 à 60 000 euros de chiffres d’affaires entre 2008 et 2010. Ces 15 premiers clients sont très hétéroclites, des réalisateurs de contenus vidéo pédagogiques Euro-France Médias [4] à Atlanbois, qui organise le salon national Maison Bois, en passant par l’association Centre de la Consommation Durable.
Pourquoi le libre est-il si attractif ? Les logiciels ne sont pas toujours gratuits et les services qui l’accompagnent payants, comme dans le secteur des logiciels propriétaires. « Le libre n’est pas moins cher, confirme Patrice Boisieau, de Milliweb. Mais ses clients gagnent en indépendance et bénéficient de l’apport de la communauté. » « Avant, notre site était édité par Dreamweaver [5], explique Laure Ménard d’Atlanbois. Mais nous maîtrisions mal le code HTML. Le libre est plus facile à utiliser. »
Les logiciels propriétaires proposent des applications en libre pour préserver leur place oligarchique sur le marché
Si Atlanbois s’est aussi tourné vers Milliweb par adhésion à la philosophie du libre, d’autres clients sont beaucoup plus pragmatiques. « Nous cherchons le meilleur rapport qualité/prix, déclare Jean-Pierre Bailly, délégué au système d’information de la Ville de Nantes et de Nantes Métropole. Peu importe s’il s’agit de libre ou non, car l’accès au code source nous intéresse peu. » Aujourd’hui, environ 25% des 250 applications de la Ville de Nantes et de Nantes Métropole sont en libre.
Investis dans tous les secteurs de l’économie, le libre constitue désormais 10% de l’économie française des services en ingénierie informatique, selon la FNILL. « Il concurrence sérieusement les logiciels propriétaires, estime Alexandre Zapolsky, président de la FNILL et PDG de Linagora. Au point que ces derniers proposent des applications en libre pour préserver leur place oligarchique sur le marché. » IBM propose déjà des services en logiciel libre. Windows et Google s’ouvrent progressivement à l’Open source. Un changement stratégique pour préserver leur hégémonie. Mais cette évolution significative risque de profondément modifier la façon de vendre des codes informatiques.
Texte : Timothée Blit
Illustration : shift.
[1] Les logiciels libres sont des applications dont le code source est accessible aux utilisateurs. Il leur permet de modifier librement leurs logiciels selon leurs besoins. Une démarche impossible avec les logiciels propriétaires. Le libre n’est pas synonyme de gratuité. Les logiciels peuvent être payants et ce sont surtout sur les services qui l’accompagnent (installation, maintenance, formation…) que les entreprises du libre fondent leurs bénéfices.
[2] Association des Développeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres pour l’Administration et les Collectivités Territoriales (Adullact). Elle soutient et coordonne l’action des collectivités territoriales, des administrations publiques et des centres hospitaliers pour promouvoir, développer et mutualiser des logiciels libres utiles aux missions de service public.
[3] François Elie, Economie du logiciel libre, François Elie, Accès Libre, Eyrolles, 2009
[4] Anciennement Euro-France Editions.
[5] Dreamweaver est un éditeur de site web développé par Adobe.
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