
FRAGIL AU FESTIVAL LES ORIENTALES 2009
« Claude Lévi-Strauss a apporté de l’esthétique à la science  »
Entretien avec Emilie Joulia, journaliste spécialiste de Claude Lévi-Strauss
Emilie Joulia est journaliste et auteure de « Lévi-Strauss, L’homme derrière l’œuvre  ». A l’occasion du centenaire du célèbre ethnologue, elle s’est rendue aux Orientales pour présenter le documentaire « Claude Lévi-Strauss par lui-même  ». Elle nous explique les mécanismes et les circonstances qui ont déterminé la pensée d’un des plus grands intellectuels du XXe siècle.
Fragil : L’ethnologue Claude Lévi-Strauss s’est intéressé aux systèmes de parenté, aux mythologies, aux masques…Comment choisissait-il ses thèmes de recherche ?
Emilie Joulia : Ses recherches étaient avant tout déterminées par ses goûts personnels. C’est un homme très curieux, qui s’est intéressé à de nombreux domaines. Il a traversé le siècle, connaît très bien les milieux universitaires et artistiques. Issu d’un milieu artistique, il a apporté de l’esthétique à la science. Ce sont aussi des opportunités qui ont déterminé son parcours de chercheur. Quand il part étudier au Brésil les indiens Bororo et Caduveo, en 1935, c’est parce que Célestin Bouglé, alors directeur de l’Ecole normale supérieure, lui a proposé d’enseigner la sociologie à l’Université de Sao Paulo. Et c’est l’écrivain Paul Nizan, également mari d’une de ses cousines, qui l’a encouragé à étudier l’ethnologie. Sa vocation s’est confirmée quand il est parti à New York pour fuir le nazisme. A la Social School For Research, il a pu lire tous les ethnologues américains. Aux Etats-Unis, Claude Lévi-Strauss fréquentait également les cercles artistiques. Il écumait les antiquaires avec André Breton, à la recherche de masques nord-américains et océaniens. Son amitié avec le père du surréalisme l’a influencé pour écrire La voie des masques.
Fragil : Claude Lévi-Strauss est un grand défenseur des peuples non-occidentaux. Place-t-il toutes les sociétés sur un pied d’égalité ?
E.J. : Il milite surtout pour le respect de toutes les cultures. Quand il a rencontré les indiens Bororo et Caduveo, il était très enthousiaste. Ces peuples ont une organisation sociale complexe et une culture très riche. Pour lui, c’était une immense source de réflexion.
Fragil : Comment intègre-t-il le principe de développement dans sa comparaison des sociétés ?
E.J. : Dans sa pensée, la notion de développement n’a pas de sens. Il n’y a pas de peuples en retard par rapport à d’autres. Claude Lévi-Strauss regarde une société telle qu’elle se suffit à elle-même et si elle vit de façon cohérente avec son univers. En cela, il a été l’un des précurseurs de l’écologie.
Claude Lévi-Strauss a inventé une approche humaine de la science.
Fragil : Claude Lévi-Strauss a très peu travaillé sur le terrain. Après son expédition au Brésil, il a conclu que la réalité sociale n’était pas accessible dans l’expérience, mais seulement par le travail théorique. A-t-il été frustré par un idéal d’exotisme qu’il n’a pas pu assouvir ?
E.J. :Dans sa carrière, Claude Lévi-Strauss est parti au maximum trois ans sur le terrain. Cette réticence lui a beaucoup été reprochée. Mais il n’a pas été déçu par les indiens Bororo et Caduveo. Seulement, il a appris l’ethnologie dans les livres. Il ne faut pas oublier que l’organisation des expéditions, au début du XXe siècle, était une véritable aventure. Les conditions étaient très difficiles, il fallait se protéger des maladies, déterminer un itinéraire, trouver un interprète et des mulets. Claude Lévi-Strauss est un homme qui aime son confort. Plus largement, l’ethnologie a toujours été partagée entre les partisans de l’enquête sur le terrain et les défenseurs d’une approche essentiellement théorique.
Fragil : Au début de ses études, Claude Lévi-Strauss était militant à la SFIO. Frédéric Keck, chercheur en sciences sociales au CNRS, avance que son travail au sein des peuples non-occidentaux ont « chamboulé son idéal socialiste ». Comment expliquez-vous ce revirement idéologique ?
E.J. :Effectivement, au départ, Claude Lévi-Strauss était socialiste. Mais il en est revenu avec l’étude des sociétés humaines. Il a trouvé que le socialisme manquait d’humanité, d’altérité. Il se définit comme un scientifique, mais c’est également un penseur. Il a inventé une approche humaine de la science.
Propos recueillis par Timothée Blit
Photos : Louis Monier ; Timothée Blit
A voir :
Les émissions et ouvrages de la webradio Canal Académie consacrés à Claude Lévi-Strauss.
Lévi-Strauss, L’homme derrière l’œuvre, Emilie Joulia (Editions JC Lattès, 2008)
Claude Lévi-Strauss par lui-même (Les films du Bouloi, 2008)
Fragil au festival Les Orientales L’équipe de Fragil a suivi l’édition 2009. Retrouvez portfolios sonores, entretiens et articles d’analyse sur ce festival des arts traditionnels.
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