Festival Ciné Alter’natif
Des Amérindiens caméra au poing
Donner une caméra aux Amérindiens pour comprendre leur point de vue, c’est la démarche de Sophie Gergaud, ethnologue et cinéaste. La présidente du festival nantais Ciné Alter’natif, consacré au cinéma amérindien, revient sur leur approche de l’image et l’apartheid social dont ils souffrent toujours.
Des films de réalisateurs ou d’acteurs Amérindiens vont être projetés au cours du festival Ciné Alter’natif. Qu’est-ce qui caractérise leur cinéma ?
Les Amérindiens peuvent aborder les mêmes thèmes que le cinéma occidental qui leur est consacré : la pauvreté, l’absence de perspectives… Mais eux ne versent pas dans le misérabilisme. Ils filment davantage leur vie quotidienne et n’hésitent pas à utiliser le registre de l’humour. Leur organisation sociale est différente : quand ils abordent la famille, ce n’est pas seulement la famille nucléaire, mais les grands-parents, les cousins… Ils puisent également dans leur culture : les références à la mythologie amérindienne rendent leur approche artistique unique. Les Amérindiens peuvent également avoir des points de vue différents sur la réalité. Dans les années 60, l’ethnologue John Adair et le spécialiste des médias Sol Worth, avaient déjà proposé à des indiens navajos de réaliser leurs films [1]. L’un d’entre eux a seulement filmé les ombres des personnages. Il ne voyait pas l’intérêt de montrer leurs visages.
Un des indiens navajos a seulement filmé les ombres des personnages. Il ne voyait pas l’intérêt de montrer leurs visages.
Pour la première édition du festival, vous avez sélectionné deux films, une fiction et un documentaire…
Atanarjuat, de Zacharias Kunuk, est déjà sorti dans les salles françaises. C’est la première fiction réalisée et jouée par des Inuits. Vers Une Nouvelle Santé parle des difficultés des indiens à bénéficier du système de santé publique mexicain. Ce documentaire a été réalisé par des Zapatistes grâce au support logistique que l’association Promedios leur apporte depuis plus de dix ans. Au début, leurs productions étaient très militantes. Maintenant, elles montrent davantage leurs problèmes quotidiens. Enfin, il y aura une présentation du Wapikoni Mobile. Cet atelier itinérant, financé par le gouvernement canadien, existe depuis cinq ans. Il propose aux jeunes amérindiens de différentes nations de s’initier au cinéma.
Quel rôle tient le cinéma dans votre travail d’ethnologue ?
La caméra est un médium intéressant, il permet aux peuples étudiés de montrer littéralement leur point de vue. Je peux ensuite revoir les images à ma guise. Il y a aussi une raison plus personnelle. Lors de mes premiers contacts sur le terrain avec les indiens navajos, la passivité de l’observation, avec mon carnet et mon crayon, me mettait mal à l’aise, surtout que cette nation a été très étudiée. Ils étaient lassés et ont parfois été déçus par des travaux antérieurs. L’ambiance était donc un peu tendue. Le cinéma me permet de créer quelque chose avec eux et de comprendre leur schéma culturel. Ce que l’ethnologue Jean Rouch appelait « la caméra participante ».
On garde souvent des Amérindiens l’image d’un peuple marginalisé, en proie à la misère sociale. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Il y a de nombreuses disparités selon les réserves. J’ai beaucoup fréquenté celle de Pine Ridge, dans le Dakota du Sud [2]. Là-bas, le tourisme est peu développé et il n’y a pas de perspectives économiques. L’exploitation de l’uranium dans les années 50, 60 et 70 a provoqué des catastrophes écologiques. L’octroi des terrains aux éleveurs est source de conflits de voisinage. Aujourd’hui, les Lakotas sont marginalisés, frappés par le chômage et habitent dans des maisons individuelles isolées ou des lotissements de mobile-home délabrés. Mais il y a aussi de l’espoir et plusieurs projets voient le jour.
« C’est grâce aux Amérindiens que Barack Obama a pu gagner l'état du Montana. »
Au mois de juin, je suis allé à Billings, dans le Montana [3]. J’ai remarqué là aussi que les Amérindiens qui lançaient des projets restaient dans leur réserve. Les autres rejoignaient la ville où ils se clochardisaient. De fait, la population blanche ne voit que des individus désœuvrés, victimes de l’alcoolisme. Mais globalement, depuis les années 80, une nouvelle génération redouble d’initiatives pour sortir de la misère.
Quelle est la relation entre l’Etat américain et les Amérindiens ?
En grossissant un peu le trait, on peut dire que l’Etat change de politique tous les vingt ans, oscillant entre une assimilation forcée et la protection de leur culture. Les Amérindiens attendent beaucoup de Barack Obama. Lors de sa campagne présidentielle, le président américain a passé beaucoup de temps dans les réserves. C’est grâce aux Amérindiens que Barack Obama a pu gagner l’état du Montana. Sa réforme sur la santé va beaucoup déterminer leur relation. Dans les traités signés au XIXe siècle avec les tribus, l’Etat fédéral devait leur garantir l’accès gratuit à l’éducation et la santé, en échange d’une partie de leurs terres. C’est dire si sa détermination à faire voter cette réforme est attendue.
Propos recueillis par Timothée Blit
Rendez-vous : Ciné Alter’natif, le lundi 14 et mardi 15 septembre 2009 au cinéma Concorde à Nantes et sur le bloc-notes de Fragil Ciné Alter’natif.
[1] John Adair et Sol Worth, Navajos Film Themselves, 1972
[2] Dakota du Sud : nord des Etats-Unis
[3] Montana : Etat frontalier du Canada
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses