
LA RENCONTRE TISSÉ MÉTISSE
« Les origines peuvent être une force  »
Interview d’Abbassia Hakem, adjointe au maire de Nantes et conseillère régionale des Pays de la Loire.
Abbassia Hakem est adjointe au maire de Nantes et conseillère régionale des Pays de la Loire. Abbassia Hakem est aussi d’origine algérienne. Dans le cadre de La Rencontre de Tissé Métisse, elle nous explique son parcours de femme issue de l’immigration et ses interrogations sur les politiques publiques d’intégration.
Fragil – Les personnes issues de l’immigration sont peu représentées en politique. Comment avez-vous adopté cette voie ?
Abbassia Hakem - Je me suis orienté vers la politique pour changer la société, comme d’autres s’engagent dans l’humanitaire ou le milieu associatif. J’ai commencé des études à l’Institut d’études politiques (IEP) de Bordeaux, puis j’ai travaillé dans les milieux socioculturels nantais, à travers les mouvements d’éducation populaire, à la mairie de Bouguenais,... En 2001, je suis entré sur la liste électorale de Jean-Marc Ayrault [maire de Nantes, NDLR].
Fragil – Pouvez-vous nous rappeler votre parcours personnel ?
A.H. - Mon père a été militaire de carrière avant de travailler à la Seita (Société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes) et ma mère était femme au foyer. Nous sommes arrivés en France en 1961, j’avais trois ans. Quand l’Algérie a gagné son indépendance, l’année suivante, mon père a opté pour la nationalité française. Moi, mes sept sœurs et mon frère avons grandi au boulevard de Metz, un quartier populaire de Lille près des « biscottes », les barres HLM nouvellement construites. Puis nous avons déménagé dans le quartier de Bellevue, à Nantes, en 1977.
Fragil – Dans quel milieu familial avez-vous grandi ?
A.H. - Nous étions une famille assez atypique. Mon père pensait que le travail et l’éducation étaient les meilleurs moyens de s’intégrer. En tant que femmes et personnes d’origine étrangère, mes sœurs et moi devions travailler beaucoup et prouver nos compétences. En parallèle, il était très tolérant, et ne nous a jamais empêchées de sortir.
Fragil – Pensez-vous avoir été victime de discrimination au cours de votre vie personnelle et professionnelle ?
A.H. - Non. Mon père a parfois essuyé des propos racistes sur son lieu de travail, et mon frère au cours de ses études. Mais moi je n’ai jamais été critiqué sur ma couleur de peau.
Fragil – Vos origines sont-elles un avantage dans votre action d’élue ?
A.H. - Parce que je suis d’origine algérienne, certaines personnes peuvent se sentir plus proche de moi. Tout à l’heure, à la permanence de Bellevue, j’ai eu la visite d’une femme âgée qui ne parlait pas très bien français. Je pense qu’avec moi, elle s’est sentie plus à l’aise. Mais attention, je suis l’élue de tous les Nantais, et je n’ai pas l’intention de favoriser une partie de la population.
« On m’a toujours conseillé de ne pas se montrer, de faire profil bas »
Fragil – Comment expliquez-vous qu’il y ait si peu d’élus d’origine étrangère ?
A.H. - En général, les partis traditionnels intéressent peu les jeunes. Pour ma part, on m’a toujours conseillé de ne pas se montrer, de faire profil bas. Ce peut être une des causes de la faible représentation des citoyens issus de l’immigration en politique.
Fragil – Que pensez-vous de la nomination de ministres issus de l’immigration, comme Rama Yade, secrétaire d’Etat chargée des Affaires étrangères ou Rachida Dati, ministre de la Justice ?
A.H. - Rama Yade a un vrai potentiel. Mais Rachida Dati s’est laissé emporter par son côté people et le symbole qu’elle incarnait. Le plus ennuyeux, une fois nommé, c’est d’être parfois considéré comme une caution. Parce que je suis femme et issue de l’immigration, j’ai l’impression de devoir prouver mes compétences en permanence.
Fragil – Quelle est votre opinion sur la discrimination positive [1] ?
A.H. - J’y suis opposée. Cela occulte l’importance des compétences de la personne. Mais c’est une question très délicate, et je peux changer d’avis.
Fragil – Que pensez-vous des statistiques ethniques [2] ?
A.H. - Je n’y suis pas favorable. Comment voulez-vous faire partie intégrante de la société, s’il on vous catégorise selon vos origines ? Il y a quelques années ont été mis en place des politiques publiques en faveur des quartiers populaires. Ces actions ont parfois suscité la jalousie des jeunes d’autres milieux. Il ne faut pas répéter ce schéma. D’autant qu’on a déjà une idée de la constitution de la société. Il suffit de regarder le listing d’une salle de classe pour estimer les origines des élèves.
« Je n’ai jamais nié d’où je venais »
Fragil – Comment lutter contre les discriminations raciales, qui limitent l’accès à l’emploi ou à la formation de certains jeunes ?
A.H. - Cela passe par la formation et l’éducation. Les origines et le quartier de résidence sont parfois des obstacles. Beaucoup de jeunes issus de l’immigration ont des difficultés à trouver des stages. Mais on peut également en faire une force. Pour ma part, je n’ai jamais nié d’où je venais.
Propos recueillis par Timothée Blit
Photos : Photo Libre, Timothée Blit.
Voir aussi : la sous-direction de l’Accès à la Nationalité française s’oppose à la réforme de la procédure de naturalisation des étrangers par décret, un article du journal 20 Minutes.
Le site de l’association Tissé Métisse
Sur Fragil :
L’autre visage de Tissé Métisse Fragil a consacré sa Gazette n°3 de décembre 2008 au travail de l’association Tissé Métisse sur les questions de l’immigration.
La discrimination est un délit !, une interview de Rachid Alaoui, socio-économiste et formateur sur les questions de prévention des discriminations et de gestion de la diversité culturelle.
Déceler les mariages blancs et combattre la discrimination, une interview de Pierre Quénéa, adjoint au maire de Rezé, ex-président de Tissé Métisse et employé à la sous-direction de l’Accès à la Nationalité française.
« Les clandestins sont une armée salariale de réserve », une interview de Pedro Vianna, rédacteur en chef de Migrations-Société et spécialiste des migrations.
[1] La discrimination positive est une action politique qui vise à favoriser l’accès à l’emploi ou la formation d’une partie de la population. Elle a été mise en place sous le nom d’« affirmative action » aux Etats-Unis après la signature du Civil Rights Act de 1964, pour assurer l’accès à l’emploi et l’éducation des citoyens afro-américains. En France, la discrimination positive est entrée depuis une vingtaine d’années dans le débat politique, et a récemment ressurgie dans l’actualité avec le vote de la loi du 31 mars 2006 sur l’égalité des chances, qui instaure le principe du cv anonyme pour les entreprises de plus de cinquante salariés.
[2] Les statistiques ethniques consistent à recenser une population selon des critères ethniques (origines géographiques, couleur de peau ou appartenance à un groupe humain ayant une culture, une langue ou une religion commune). Ces méthodes on fait polémique lors de l’élaboration du rapport de Yazid Sabeg, commissaire à la Diversité et à l’Egalité des chances, rendu le 7 mai au chef de l’Etat. Les partisans des statistiques ethniques défendent une meilleure connaissance de la composition de la société, pour améliorer les luttes contre la discrimination. Ses détracteurs dénoncent une entrave au concept de l’égalité républicaine.
Bloc-Notes
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