
Faust et Fra Diavolo
Représentations du mal dans l’opéra français du 19ème siècle
A l’opéra de Liège, de Massy, de Paris
L’opéra a constitué, au 19ème siècle, un divertissement particulièrement à la mode pour une société bourgeoise en pleine expansion. Ce phénomène a certainement contribué à donner une image fausse du genre, fondée sur le paraître et l’artifice. Pourtant, deux des plus grands succès de l’époque ont été des variations sur la figure du mal, comme une menace dans l’ordre établi, « Fra Diavolo  » de Auber créé en 1830 -l’année du scandale de Hernani- et « Faust  » de Gounod, d’après Goethe, en 1859. Ces succès sont-ils l’image d’une société qui a peur d’un système qu’elle est en train d’inventer et qui aime à contempler un mal qui, déjà , la ronge de l’intérieur ?
L’opéra de Massy est un lieu singulier. Situé au cœur d’une cité de banlieue parisienne, aux façades interchangeables, l’édifice, construit au début des années 90, apporte un beau symbole d’ouverture à un espace très urbanisé. Le théâtre est chaleureux et l’acoustique de la salle est remarquable. En programmant en mai 2009 le Faust de Gounod, dans la mise en scène de Paul Emile Fourny créée à l’opéra de Nice en 2005, l’opéra de Massy a offert un spectacle frémissant, au propos violent et dont le message sur l’humaine condition est toujours actuel.
Faust à Massy : un drame de l’exclusion
L’histoire du Docteur Faust, troquant son âme au diable pour retrouver sa jeunesse est, dans l’opéra de Gounod, un cadre au drame de Marguerite. Les allemands ont d’ailleurs donné Margarete pour titre à l’opéra. Ainsi, la séduction et l’abandon de cette femme s’inscrivent-ils dans l’étau d’une morale impitoyable, où la figure démoniaque n’est pas celle qu’on croit. La voix de Satan ne se superpose-t-elle pas aux chœurs des fidèles dans la scène de l’église pour exclure et pour condamner ? Dominique Rouits, à la tête de l’orchestre de l’opéra de Massy, donne des couleurs chambristes à la partition, lui conférant une intimité inhabituelle qui est au centre de la mise en scène profondément humaine de Paul Emile Fourny, fondée sur le destin de Marguerite, dont nous sommes au plus près des battements du cœur. La célébrissime scène des bijoux, morceau de bravoure de Bianca Castafiore, où la fascination du luxe rappelle une certaine Parure de Guy de Maupassant, a les contours d’un éveil au désir, accentué par la gestuelle pleine de grâce d’un Mephisto qui enveloppe, tel un démiurge à la séduction fatale, celle qu’il a choisi pour son expérimentation amoureuse. Cette figure satanique, séduisante et inquiétante à la fois, a les traits de Nicolas Courjal, dont le chant comporte de fascinantes nuances. Totalement investi sur le plan scénique, son incarnation du diable est pleine d’ambiguïté, tant il sait jouer de tout son charme pour être le relais de tous les non-dits et des refoulements.
L’enfer de ce Faust, c’est les autres
Après le refus de l’héroïne, il pousse le Docteur Faust, dépité, dans un moment d’une belle sensualité, à écouter ce que l’être aimé raconte aux étoiles, mettant ainsi en évidence l’écart entre ce qu’elle a affirmé et la vérité de son cœur. La basse apporte aux sérénades de Méphistophélès d’envoûtantes couleurs qui rappellent le moment de suspension du temps qu’il a offert au public de l’opéra Bastille en 2003 lors d’une version de concert des Maîtres-chanteurs de Nuremberg de Wagner, dans l’air du veilleur de nuit, d’une douceur lunaire : une des pages les plus belles du compositeur dont Nicolas Courjal a fait un instant de grâce ! Les silhouettes des protagonistes de ce Faust se dessinent devant des toiles peintes en noir et blanc, ce qui génère des touches pleines de mélancolie. Pour le martial chœur des soldats, Paul-Emile Fourny a imaginé une bouleversante pantomime autour d’images de guerre. D’un côté, des notables et de l’autre, des soldats victorieux aux regards hébétés. Au fond du plateau, on voit des femmes, mères ou fiancées, abattues et portant à la main les valises et les effets de ceux qu’elles ont perdus. L’une d’elles, dans une scène de sinistre mémoire, se fait traîner à l’avant du plateau pour se faire couper les cheveux. La dernière image de l’opéra, sur des chœurs célestes, nous montre Marguerite, tenant dans ses bras l’enfant qu’elle a mis à mort, sous la pression d’une morale destructrice. Sa rédemption est, dès lors, une possibilité de vivre, enfin, selon ses désirs. En paraphrasant Sartre, l’enfer de ce très beau Faust, c’est les autres et le droit qu’ils s’accordent parfois à empêcher leurs semblables de s’accomplir. La distribution est d’une belle homogénéité et tous s’engagent avec une belle énergie : l’arménienne Lianna Haroutounian se glisse dans les mouvements amoureux de l’héroïne puis dans sa descente aux enfers avec beaucoup de vérité. Son timbre est lumineux. Clémentine Margaine apporte à la figure épisodique de Dame Marthe une belle présence et de beaux graves. Le spectacle sera repris à Avignon la saison prochaine. Nicolas Courjal sera de nouveau Méphisto. On se réjouit pour ceux qui auront la chance de le voir et de l’entendre !
Deux des plus grands succès de l’opéra du 19°, Faust et Fra Diavolo, ont été des variations sur la figure du mal, comme une menace dans l’ordre établi
Fra Diavolo : la séduction du brigand
Auber est davantage connu aujourd’hui pour la station de RER qui porte son nom que pour ses compositions d’opéras qui triomphèrent au 19ème siècle. Fra Diavolo, créé en 1830, comporte pourtant des pages séduisantes, aux influences Rossiniennes. C’est une variation sur la fascination qu’exerce toute figure de hors-la-loi, ne serait ce que par la charge de dynamite qu’il jette à l’ordre établi et par la promesse d’un autre monde qu’il incarne.
L’opéra comique de Auber s’inspire d’un fait réel, celle d’un insurgé napolitain s’opposant aux armées de Napoléon et pendu en 1806, mais le ton en est léger. En programmant et en mettant en scène cette œuvre à l’opéra comique (avant de le présenter à Liège en avril dernier), dont il est désormais le directeur, Jérôme Deschamps s’est souvenu de ses Deschiens . En effet, les figures qui peuplent l’hôtellerie de Terracine et qui croisent la route de Fra Diavolo, vivent dans l’instant, ce qui les rend attachants, drôles et poétiques. Il y a beaucoup de grâce dans ce récit d’attaques de voyageurs et de séductions sans lendemain. L’un des enjeux amoureux est Zerline, dont le prénom semble un discret hommage au Don Giovanni de Mozart. Sumi Jo offre d’aériennes vocalises et un timbre de cristal au personnage, tandis que Doris Lambrecht, à l’énergie communicative, est une savoureuse Lady Pamela, convoitée par le bandit pour sa fortune et ses bijoux. Vincent Pavesi donne de beaux graves, un timbre clair et une parfaite diction à Mathéo, patron de l’auberge, bon vivant et père de Zerline. Ce magnifique artiste a procuré de belles émotions à Nantes dans le rôle de il frate du Don Carlo de Verdi (2002) et pour Angers Nantes Opéra dans L’étoile de Chabrier (2005) et Simon Boccanegra de Verdi (2006). Il a aussi proposé une fascinante composition d’un commandeur à l’allure d’un ange rédempteur à Dijon et au festival de Saint Cèré (2003 et 2006). Il chantera le très beau rôle de Sénèque du Couronnement de Poppée de Claudio Monteverdi au théâtre Gérard Philippe de Saint Denis en janvier 2010, un spectacle mis en scène par Christophe Rauck, qui a signé Cœur ardent de Ostrovski, présenté au Grand T cette saison, et qui partira ensuite en tournée à travers la France. C’est un événement qu’il ne faudra pas manquer, où les représentations d’un mal absolu trouvent leur origine dans l’histoire de Néron et de Poppée, telle que l’a racontée Tacite dans ses Annales, dans l’une des œuvres les plus fortes de celui qui a fait naître l’opéra. Y aurait-il un mal nécessaire à l’opéra, que seul le chant pourrait exprimer ? Et si ce mal était la plus profonde des voluptés ?
Christophe Gervot
Fra Diavolo vu à l’Opéra Comique de Paris le 31 janvier 2009
Faust vu à Massy le 17 mai 2009
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