
FESTIVAL DE THEATRE EUROPEEN
Quand l’obscurité se révèle sous les projecteurs
QuARTet vision d’Europe, la journée française
Pour le troisième jour du festival Quartet vision d’Europe, qui s’est déroulé à Cheb en République Tchèque fin mars 2009, la France est montée sur les planches, représentée par la compagnie nantaise le Théâtre du Rictus et sa création Asphalt Jungle. Présent pour l’évènement, Fragil a été "frappé" par un tel spectacle, qui ne laisse définitivement personne indifférent. (En images)
Le texte de Sylvain Levey tranche et plonge le public dans la jungle des villes.
Les rencontres proposées ce jour-là dans le cadre de Quartet ont été une succession de tableaux où le visiteur se perd dans les méandres du genre humain. Entre lecture, exposition de peintures et pièce de théâtre, seules les émotions comptent. La violence a tenu le premier rôle et s’est mise à nue éclairant ses multiples facettes. Entre quête de soi et quête de l’autre, des vents tourmentés ont dévoilé les maux des Hommes.
Variations
La journée a démarré par une lecture de texte de Florian Zeller Le manège. Quelques marches plus bas, l’ambiance s’est déjà assombrie. Sylvain Ristori, jeune peintre et sculpteur exilé en République Tchèque, a plongé les regards dans des tableaux électriques. Une succession de portraits en perpétuelle métamorphose illustraient la quête d’une identité impossible à figer. Et les lignes fuyaient, balayant en pluie d’éclairs des traits de personnalité.
Puis c’est dans la pénombre du petit théâtre que les comédiens français d’Asphalt Jungle, sous la houlette du metteur en scène Laurent Maindon, ont esquissé à grands coups de lames aiguisées un fragment de psychologie humaine. Le texte [1] de Sylvain Levey tranche et plonge le public dans la jungle des villes.
Propulsé dans un espace-temps à mi-chemin entre rêve et réalité, Asphalt Jungle retrace un condensé d’actes intemporels de solitude et de confrontation à l’autre. Cinq comédiens, quatre hommes et une femme, se succèdent sur scène, et jouent sur fond de faits divers des rapports de force, de violence, de soumission, qui confrontent les Hommes. C’est une pièce en deux temps. Deux histoires, deux fragments, dissociés dans la forme et étroitement liés dans le fond. L’œil décrypte des codes, des indices pourtant désuets, couchés sur fond de roman noir américain.
Quand la violence est mise en scène
Asphalte Jungle c’est une mise en scène de la violence, surprenante, époustouflante.
La pièce est sombre, sobre. Les costumes, le jeu des acteurs se fondent dans un tableau clair-obscur poignant, insaisissable jeu de lumière blafarde et de pénombre. Asphalt Jungle, c’est une mise en scène de la violence, surprenante, époustouflante. La cruauté y dévoile ce qu’elle a de poétique, d’improbable, de fascinant. Des projections sur écran géant adoucissent les mots et le public haletant. Ces images diffusées à l’arrière plan habillent la pièce et apportent paradoxalement des repères plus concrets à l’histoire. Mais l’essence émane indéniablement des planches : entre ce qui se passe sur la toile et le jeu des comédiens, le plus marquant est indiscutablement ce qui est interprété par cette femme et ces quatre hommes, qui se tiennent à quelques mètres à peine du spectateur.
Le sujet est tendu, et le projet audacieux. La violence au théâtre est cinglante de réalité, même si les acteurs jouent les coups échangés. Si le but d’Asphalt Jungle avait été de provoquer, de pousser vers le trash, il aurait suffit de se laisser inspirer par l’air du temps et ses mises en scène parfois extrêmes mais parfois injustifiées. La violence est partout, malheureusement, disent les uns. Mais le théâtre n’est-il pas également le reflet du monde contemporain ? Asphalt Jungle dévoile des confrontations de violence qui unissent et divisent les hommes. La pièce offre une analyse en profondeur des rapports humains, et une traversée de la violence. La catharsis opère dès lors qu’une fidélité au réel se fait sentir, même dans ses travers les plus inavoués. Dans la pièce, la violence et la mort ne sont plus alors de simples éléments du récit. Elles sont le reflet de la vie.
Effets secondaires
Dans le cadre du festival Quartet, on peut constater ô combien les Hommes sont semblables. Quand on parle de nature humaine, il n’est plus question alors de frontières ou de différences. Ces dernières se forgent dans la culture, dans les codes qui rythment le quotidien. À Cheb, le public était tchèque, hongrois, serbe et français. Pendant le spectacle, les réactions ont suivi le courant des émotions. Les spectateurs se sont laissé porter par l’interprétation qu’offre Asphalt Jungle de la violence, à la fois sombre et ironique, hyperréaliste et fictive. Une ville reste une jungle où des hommes cherchent leur place et leur identité. D’une part en se confrontant à leur environnement, d’autre part en se confrontant aux autres, pour au final mieux se connaître soi-même.
La magie du théâtre opère dès lors qu’il offre à penser. Et quand le sujet tend vers les limites de l’humanité, la découverte ne peut être qu’universellement partagée ou volontairement ignorée.
Texte et photos : Anne Lienhart
En savoir plus
Retrouvez Asphalt Jungle en juillet au Festival d’Avignon, au Grenier à Sel (Rempart St Lazare).
(Asphalt Jungle en images)
[1] Juliette suite et fin trop précoce et Pour rire pour passer le temps de Sylvain Levey sont les textes à l’origine de la création d’Asphalt Jungle par le Théâtre du Rictus.
Bloc-Notes
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