Festival Quartet - Visions d’Europe
Le théâtre et le politique font-ils bon ménage en Europe ?
Débat avec des professionnels du théâtre à l’Université de Nantes
Du 10 au14 mars, le Théâtre Quartier Libre accueillait des partenaires européens à Ancenis : dans le carde du festival «  Quartet - Visions d’Europe  », chacun des quatre pays partenaires, la Tchéquie, la Hongrie, la Serbie et la France, a présenté une pièce représentative de son répertoire contemporain. L’escale française du festival a aussi donné lieu à un débat sur la culture : quels sont les liens entre la culture, notamment le théâtre, et le politique en Europe ? Et qu’en est-il des financements dans les pays partenaires du festival ?
A l'époque de l'Union soviétique, le théâtre était un lieu où les artistes pouvaient dire la vérité concernant la politique. Mais il fallait lire entre les lignes
Le mercredi 3 mars, les organisateurs de Quartet ont discuté de cette question avec les étudiants de l’Université de Nantes. Dans un amphithéâtre du campus du Tertre, Dominique Dahéron, directeur du Théâtre Quartier Libre d’Ancenis, et Laurent Maindon, directeur artistique du Théâtre du Rictus de Nantes, ont comparé leur conception du financement avec celles de leurs collègues hongrois, tchèques et serbes. En même temps, ils ont partagé avec le public les expériences qu’ils ont faites lors des dernières trois escales du festival.
La politique culturelle à l’Est de l’Europe
Les différences concernant financement de la culture reposent entre autres sur le rôle respectif de l’Etat dans le débat culturel de chaque pays. C’est pour cela que les modérateurs de la discussion, familiers du Ministère de la Culture français qui existe depuis les années 1960, ont demandé à leurs interlocuteurs venant d’ Europe de l’Est : Vos gouvernements soutiennent-ils ce qu’on appelle en France une « politique culturelle » ? Les réponses à cette question ont été très différentes : tandis que Aleksandar Milosavljevic, directeur du Théâtre National Serbe de Novi Sad, disait que, en Serbie, la politique n’avait rien à voir avec la culture, et que la seule tâche « politique » du théâtre était de poser des questions pertinentes, le dramaturge Peter Jonas avouait que la moitié du budget du Théâtre Gardonyi Geza d’Eger en Hongrie était financé par l’Etat.
En ce qui concerne la fonction politique du théâtre dans l’histoire hongroise, il expliquait : « A l’époque de l’Union soviétique, le théâtre était un lieu où les artistes pouvaient dire la vérité concernant la politique. Mais il fallait lire entre les lignes. » Après la chute du mur de Berlin, par contre, les artistes ont perdu cette position : « Il leur fallait trouver un autre but dans la société. Maintenant, 20 ans après cet événement historique, beaucoup d’artistes éprouvent la nécessité de toucher de nouveau les sujets sensibles, les sentiments plus profonds. » Zdenek Bartos, metteur en scène au Théâtre de Bohëme Occidentale de Cheb en République Tchèque, était d’accord avec son collègue hongrois : « Durant la période communiste, le théâtre restait un lieu de démocratie, de débat politique », explique-t-il. Plus tôt dans l’histoire du pays, pendant son intégration dans l’Empire d’Autriche-Hongrie au 19ème siècle, le théâtre avait eu une fonction de défense de la langue tchèque.
Les différences ne nous ont pas choqués, au contraire : la collaboration nous a rendus curieux, elle était très enrichissante
Différents modes de financement du spectacle vivant
Ces différentes histoires culturelles propres aux quatre pays entraînent différentes conceptions du statut de la culture et de l’artiste dans leurs sociétés : contrairement au Théâtre Quartier Libre d’Ancenis, les trois partenaires européens sont des théâtres qui fonctionnent avec une équipe permanente et qui donnent des représentations quotidiennes. Cela permet une plus grande sécurité aux comédiens, une situation moins précaire que celle des acteurs français qui dépendent du statut d’intermittents du spectacle et s’organisent d’ordinaire en compagnies dramatiques, tel le Théâtre du Rictus.
Sur le plan national, chacun des quatre théâtres dépend largement des aides publiques : le Théâtre Quartier Libre d’Ancenis et le Théâtre de Bohême Occidentale de Cheb en Tchéquie reçoivent la plupart de leurs subventions des municipalités. Le Théâtre National Serbe de Novi Sad reçoit au-delà des aides régionales, tandis que le théâtre hongrois est, comme l’on avait déjà dit, largement soutenu par l’Etat même. Cette dépendance vis à vis de l’administration publique implique en même temps des contraintes pour les théâtres : « Bientôt, nous recevrons de l’argent en fonction du nombre de tickets vendus » explique Peter Jonas. « Mais, heureusement, cela ne sera pas la seule stratégie de financement. Sinon, dès maintenant, on ne ferait que des comédies musicales, et on ne ferait plus de théâtre artistique ou expérimental. »
Une collaboration réussie
Comment ces cultures et modes de fonctionnement différents ont-ils influencé la collaboration pendant les escales précédentes du festival Quartet ? « C’est toujours le théâtre européen », énonce Zdenek Bartos, le metteur en scène tchèque. « Bien sur il y a des nuances nationales, mais il n’y a pas de grandes différences. » « On a appris beaucoup de choses des autres nationalités », approuve Peter Jonas. « Les différences ne nous ont pas choqués, au contraire : la collaboration nous a rendu curieux, elle était très enrichissante ».
Le projet « Quartet - Visions d’Europe » lui-même a été soutenu financièrement par l’Union Européenne, car il correspondait à deux des critères exigés : la promotion du dialogue interculturel et la mobilité des artistes.
Verena Schneider
Photo de bannière : Emilie Le Moal
Photos de spectacle : Anne Lienhart
En savoir plus
Le site du Théâtre Quartier Libre d’Ancenis
La gazette Fragil : Festival Quartet - Visions d’Europe
Bloc-Note : Rencontres autour du théâtre européen
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