
«  Pelléas et Mélisande  » à Metz
Au coeur de la forêt des âmes égarées...
L’opéra national de Lorraine a présenté une vision de «  Pelléas et Mélisande  » de Claude Debussy particulièrement à vif. La direction musicale pleine de fougue de Claude Schnitzler , incandescent à Strasbourg en mai dernier pour «  Iphigénie en Aulide  » de Glück, a permis des paroxysmes d’émotion tandis que la distribution, d’une belle homogénéité, offrait le grand bonheur de retrouver la basse intense de Nicolas Courjal, à qui l’on doit de beaux moments à Nantes et à Angers.
En adaptant en 1902 la pièce de Maurice Maeterlinck à l’opéra, Claude Debussy prolonge la portée symbolique du texte. Le théâtre du dramaturge belge repose, en effet , sur le sens imagé des mots, sur leurs connotations et sur leur valeur sonore. Ainsi, le texte s’éloigne-t-il très vite de la simple anecdote pour atteindre une portée universelle. Dans « l’intruse », un autre de ses textes, il est question d’une famille confrontée à la mort, dont la personnification accentue la charge de mystère. « Pelleas et Melisande » est une forêt de symboles qui convergent vers un univers très intériorisé, mystérieux et poétique. Ainsi, la rencontre avec Mélisande égarée dans la forêt, la visite de Pelleas à l’ami malade, la chevelure, la tour, la fontaine des aveugles ou les mendiants, sont-ils des représentations d’un voyage intérieur et initiatique. La partition de Debussy accentue le mystère et les interludes, d’une pénétrante beauté, sont les échos troublants et impressionnistes de ce jeu de métaphores. Parmi ces impressions, il y a des formules qui touchent profondément. « Ouvrez la fenêtre », prononcé dans un ineffable murmure par Mélisande, au seuil de la mort, trouve un émouvant prolongement dans cette phrase, où l’on croit voir un tableau de Monet, « c’est le soleil qui se couche sur la mer », sur des accords d’une impalpable douceur. Les figures, assez proches d’allégories, n’ont pas d’épaisseur psychologique. Dessiner les trajectoires de ces êtres elliptiques et stylisés peut s’avérer un casse-tête pour un metteur en scène. Comment représenter ce qui est de l’ordre du poétique ? Comment atteindre cette déréalité et quelle place accorder au réalisme ? La solution trouvée par Jean de Pange à Metz est d’accentuer le contraste entre le discours et l’humanité des personnages. Il en fait des êtres écorchés et fragiles, profondément humains et leur écart avec les mots est une belle idée. La coupe de cheveux très « années 70 » de Geneviève, la mère de Pelléas, crée un touchant décalage avec le contenu de la lettre qu’elle lit. En février dernier, Jean de Pange avait joué sur d’aussi improbables associations dans « The Fairy Queen » de Purcell à l’opéra de Rennes en transposant la musique baroque dans un immeuble urbain à plusieurs étages. L’espace de « Pelleas » est un décor abstrait, unique et glacé, extrêmement sombre. La beauté des lumières crée des images oniriques assez belles, complètement irréelles : le lieu de la quête de soi.
Si j'étais Dieu, j'aurais pitié du coeur des hommes
Des êtres émouvants portés par de beaux artistes
La distribution réunie à Metz pour porter ces êtres fragiles et insaisissables est très investie scéniquement et donne de beaux instants d’émotion. Karen Vourc’h est une Mélisande juvénile et troublante, qui offre une interprétation miraculeuse et pleine de nuances. On attend avec impatience ses prochaines prises de rôle, et notamment celui de « Mireille » de Charles Gounod, d’après Frédéric Mistral, à l’opéra de Marseille en fin de saison Elle trouve en Richard Rittelmann un Pelléas d’une bouleversante innocence, au timbre lumineux. Vincent Le Texier, flamboyant Jupiter dans la désopilante vision de « Platée » mise en scène par Laurent Pelly (un spectacle à découvrir d’urgence dans le fabuleux DVD paru chez TDK), joue Golaud, au bord de la folie, rongé par une jalousie trop humaine. Cet artiste exceptionnel , habitué du rôle, l’interprétait déjà dans les « Impressions de Pelléas » mises en scène par Peter Brook aux Bouffes du nord, au cours des années 90. Nicolas Courjal s’empare du roi Arkel avec une profonde intensité. La voix est claire et caverneuse et il confère à chacune de ses phrases une incroyable puissance poétique. « Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du coeur des hommes » est dit avec les accents d’un oracle et chaque mot est habité et évident. Ces qualités sur le texte sont essentielles dans ce répertoire français. C’est le personnage d’Arkel qui achève l’opéra, dans un passage qui en est l’un des plus beaux et où le chant atteint le sacré. Ce que fait Nicolas Courjal dans ces phrases ultimes est sublime, il s’élève dans des zones où, par delà les mots, la musique se fait symbole, aux frontières de l’absolu. Ainsi, ce roi presque aveugle voit par delà les apparences, et l’interprète parvient à nous livrer ces indicibles secrets avec beaucoup d’émotion. De plus, cet artiste a une présence en scène exceptionnelle qui le prédispose aux plus beaux rôles de basse. On se réjouit de le voir aborder Méphistophélès du « Faust » de Gounod à l’opéra de Massy en mai 2009. Il aura la beauté du diable ! L’une des grandes réjouissances de cette représentation à Metz était la présence au pupitre de l’immense chef Claude Schnitzler, qui dirigeait l’incroyable opéra de Paul Dukas, également d’après Maeterlinck, « Ariane et Barbe Bleue » à Nice en 2006 . Il sait restituer avec beaucoup de nuances et d’intensité ces couleurs si particulières du répertoire français du début du XX ème siècle. C’est aussi un artiste habité, de ces chefs dont on a envie de dire qu’il EST la musique !
Christophe Gervot
Photos : Christian Legay CA2M
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses