
Duras mise en scène par Chéreau
«  Lèpre de l’âme  »
Le Grand T a permis de vivre, quelques jours avant le théâtre des amandiers de Nanterre, un énorme choc de théâtre en programmant «  la douleur  » de Marguerite Duras, dans l’adaptation de Patrice Chéreau et du chorégraphe Thierry Thieà » Niang. Le texte, porté par l’actrice Dominique Blanc avec une profonde intensité, atteint la perfection. On en espère une reprise la saison prochaine !
En choisissant d’adapter au théâtre le récit autobiographique de Marguerite Duras (publié en 1985), Patrice Chéreau poursuit l’exploration des marges, de la blessure intime et de l’exclusion, dans une zone où la souffrance devient si forte qu’elle en est indicible et glacée. L’auteur évoque, dans ces pages de journal intime, l’attente de son mari, Robert L, retenu captif par la barbarie nazie en Allemagne, puis son retour du camp, avec des accents intimes, d’une bouleversante sincérité. C’est l’un de ses récits les plus forts, dont on retrouve quelques traces de solitude et de détresse dans certaine « lèpre du coeur » d’un vice consul hurlant un « nom de Venise dans Calcutta désert », parce qu’on peut « crier un amour »,dans le très beau « India song ». Patrice Chéreau parvient à faire de chaque phrase un événement parce qu’il sait débusquer par delà chaque mot, les fragilités, les fêlures et les gouffres qu’ils recèlent. Il retrouve, pour ce spectacle, le chorégraphe Thierry Thieû Nang, avec qui il a déjà collaboré sur « De la maison des morts », l’opéra de Janacek inspiré des souvenirs de bagne de Dostoevski, au festival d’Aix en Provence en 2007. Le travail sur des corps incarcérés, humiliés et sur des mouvements convulsifs était saisissant et s’intégrait à la direction d’acteurs en une fascinante symbiose. Le chorégraphe, qui est psychomotricien, a travaillé durant quatre ans en hôpital avec de jeunes autistes afin de s’emparer, pour son dernier spectacle, de traits pathologiques et d’en faire des gestes poétiques. Il aborde la détresse du personnage de « la douleur » selon une même approche. Le déplacement le plus infime ou le rapport à chaque objet, est l’expression d’un manque qui ne dit pas toujours son nom mais qui atteint profondément le spectateur qui regarde, fasciné, Dominique Blanc ramener son sac sur son ventre, s’asseoir, éplucher une pomme, déplacer ses objets familiers sur sa table, comme autant de reflets d’une fracture de l’âme.
l'espoir cherche une place dans des espaces minés et dévastés par la folie des hommes
Attentes...
Dominique Blanc retrouve Patrice Chéreau pour porter ce récit puissant et traumatique, où l’espoir cherche une place dans des espaces minés et dévastés par la folie des hommes. Après les rôles de Henriette de Nevers dans « La reine Margot »(1994) et de Catherine dans « Ceux qui m’aiment prendront le train »(1998) au cinéma, après une incandescente « Phèdre » au théâtre de l’Odéon (2003), elle se confronte à la parole intime d’une femme qui, à la libération, attend le retour de son mari, retenu captif dans un camp de concentration. En proie au doute, à la colère, dans une profonde solitude, elle explore des états contradictoires qui la font passer du désir d’espérer à la certitude de l’absence irrémédiable de l’être aimé. Dans tous les cas, le silence et l’angoisse l’amènent à des extrémités : « S’il revient, je mourrai aussi(...)tout ce que je pourrai faire, c’est ouvrir et puis mourir ». Robert L. revient mais son état d’anéantissement ouvre de nouveaux gouffres. Comment raconter l’indicible ? Comment donner l’idée d’une maigreur qui dépasse toute idée de maigreur ? D’un corps décharné et de matières fécales dont l’aspect donne envie de pleurer ? A l’attente du retour succède celle, toute aussi aléatoire, de la survie. Une apostrophe adressée au public est suivie d’un silence qui, dans la salle, frôle le sacré : A ceux qui se sentent dégoûtés ou qui ont envie de rire, comment réagiraient-ils si l’être qu’ils désirent le plus se trouvait dans cet état ? Patrice Chéreau a choisi d’achever le monologue par les mots de Robert L. retrouvant l’appétit : « J’ai faim ». Cette formule lapidaire produit l’effet d’une secousse : noir total, profond respect pour l’interprète de cette douleur plurielle. Souhaitons que ce spectacle soit repris la saison prochaine. Il faut lire ce texte de Marguerite Duras, publié chez Folio. C’est un grand récit, d’une atroce beauté !
Christophe Gervot
Bloc-Notes
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