Les Plages d’Agnès
Bavardage avec Varda
Agnès par Varda
Dans « bavardage  », il y a Varda. Un rien prémonitoire car celle que l’on nomme La Varda ne cesse de bavarder, de faire rêver, de conter avec plaisir des histoires. Sauf que cette fois-ci, l’histoire contée n’a rien de fictif. Aujourd’hui âgée de 80 ans, mais toujours disposée à garder son œil de gamine et son énergie débordante, la cinéaste a choisi de se mettre en scène en inventant une forme d’auto-documentaire à travers laquelle elle nous conte avec magie le récit d’une vie d’artiste. Sa vie d’artiste constituée de hasards et de rencontres.
“Si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages. Moi, si on m’ouvrait, on trouverait des plages.” Séquence d’ouverture d’une sincérité désarmante : sur une plage de Noirmoutier, Agnès Varda joue le rôle d’une “petite vieille rondouillarde et bavarde” qui avance à reculons. Les plans sont “crasseux”, exactement comme elle les désirait. En revenant sur les plages qui ont marqué sa vie, la cinéaste ne souhaitait nullement se prendre au sérieux, “faire un peu le clown” lui convient parfaitement. Durant près de deux ans, elle s’est amusée à tout déballer, pour nous, spectateurs, mais aussi pour ses proches : “Beaucoup de vieilles personnes ont envie de raconter leur vie. Moi aussi. J’ai souhaité transmettre à mes proches et à d’autres quelques-uns des faits et travaux de mon parcours de vie .”
Sous la plage, les pavés
La grand-mère de la Nouvelle Vague déballe ses souvenirs, récompenses, photos, objets fétiches, les étale dans le sable. Puis elle se balade d’une plage à l’autre, de Panne en Belgique, la plage de son enfance, à Santa Monica, lors de ses années peace and love, en passant par celle de Sète, plage de son adolescence et de son premier film La Pointe Courte, sans oublier les plages de Noirmoutier, synonymes de son amour pour Jacques Demy ... Ce flash back sur une vie entière pleine de rencontres et de rêveries semble faire preuve d’une dimension testamentaire. Or ce terme s’avère peu approprié selon la cinéaste, pour qui le testament est une précaution de la vie pratique. Malgré cette séquence, où elle se fait symboliquement enterrer dans le sable, elle signe ce film “non pas comme un testament mais comme un spectacle”. Varda n’a pas fini de faire son cinéma !
J’écris ton nom Liberté
“Je voulais avoir la liberté de vous emmener”. Ce mot, liberté, Varda semble toujours désireuse de l’écrire, de le dire et de le filmer. La liberté de reconstituer sa vie comme elle l’a souhaité, en donnant libre cours au hasard,“son premier assistant”, et au montage. Véritable collage : scènes de ses films, vrais documents, fragments de ses créations, photographies, Les Plages d’Agnès se dressent telles un kaléidoscope d’images dont les émotions nous invitent à découvrir l’univers Varda. Le but étant de réveiller les choses qui dormaient au lieu de les révéler. Sous ses yeux de photographe, puis de cinéaste mais avant tout de femme, se sont déroulés cinquante ans d’un siècle riche en émotions, en bouleversements et en révolutions. L’œuvre de Varda fonctionne avant tout comme un témoignage. Un témoignage de cinéma, un témoignage de l’Histoire, un témoignage d’une vie bien remplie.
Sous ses yeux de photographe, puis de femme cinéaste, se sont déroulés cinquante ans d'un siècle riche en émotions, en bouleversements et en révolutions.
“Je voulais parler de tout ça, parler des choses qui intéressent les gens”. Parler de son expérience de photographe du Festival d’Avignon et de la troupe de Jean Vilar, dans les années 50, où elle a capturé grâce à son objectif des légendes du cinéma telles que Gérard Philippe, Charles Denner ou Philippe Noiret. Parler de sa rencontre avec la révolution, son aventure sur le terrain en Chine ou à Cuba, faire partager ses clichés sur ces espoirs engendrés par la révolution. Montrer que sous la plage se cachent bien souvent quelques pavés : le Manifeste des 343 salopes, sa lutte pour le féminisme qui est selon elle “non pas un combat mais une conscience”. Se souvenir de cet été 68 aux Etats-Unis, sa rencontre avec le mouvement hippie, les Black Panthers et Jim Morrisson !
Voyage onirique
Sincère et généreuse, Agnès Varda impose un style bien à elle. Les formes employées sont pudiques, son autobiographie l’a obligé à être franche, certes, mais d’une franchise qui s’opère dans la rêverie. Avec magie, elle reconstitue la petite cour de la maison qu’elle a partagée avec Jacques Demy, espace-clé de cette belle aventure amoureuse. Elle décide d’évoquer avec discrétion leur relation. Acte délicat qui au final donne naissance à cette image calme et nette de l’amour : Varda et Demy, couple charnel, font l’amour au sein de cette cour, le visage camouflé par un chiffon en hommage aux Amants de Magritte, tableau cher à la réalisatrice. Varda nous offre sa vie, mais délimite son intimité : le spectateur ne pourra jamais savoir ce qui se déroule de l’autre côté des murs de la cour.
“Partager ses rêveries, décoller de la réalité, s’en échapper”. Lorsque l’on rencontre cette femme charismatique et éperdument généreuse, on comprend instantanément pourquoi elle fit partie de l’aventure de la Nouvelle Vague. Entourée de la bande des Cahiers du Cinéma (Godard, Truffaut, Chabrol, Resnais), Agnès Varda a laissé sa trace dans cette grande aventure avec Cléo de 5 à 7 et bon nombre d’autres longs et courts métrages. Elle a su parfaitement sauvegarder les maîtres mots de ce courant : originalité, créativité et liberté, en s’attachant à faire de son cinéma un cinéma d’idées, où la forme demeure aussi importante que le fond.
L’imagination au pouvoir
Les Plages d’Agnès se savourent comme une délicieuse madeleine de Proust. Varda ouvre son album photos, des photos jaunies mais somptueuses pour leur capacité à faire se croiser des êtres de grande envergure : Fidel Castro en ange aux ailes de pierre croise le fantôme de Jim Morrisson, Godard en clown sans lunettes noires frôle les images de Deneuve et Picolli, Jane Birkin et Laura Betti imitent Laurel et Hardy alors que Corinne Marchand et Agnès Varda arpentent la Croisette, le sourire de Jacques Demy et de ses enfants... Les visages d’inconnus et de célébrités se côtoient pour dresser un tableau multiple en sensations d’une gamine de 80 ans “qui se passionne pour les autres”. Véritable déclaration d’amour à son passé et à tous les êtres qu’elle a pu croiser durant ses 80 ans de vagabondage, Varda livre une nouvelle œuvre cinématographique peuplée de séquences oniriques nous rappelant avec poésie que la vie est un vaste terrain de jeu, un vaste lieu de contemplation et d’expérimentations, à l’image des Plages d’Agnès.
Eloïse Trouvat
La bande annonce :
Pour en savoir plus :
Bande Annonce Les Plages d’Agnès de Agnès Varda, sortie le 17 décembre 2008
Ciné-Tamaris, la société de production d’A. Varda
Découvrir une autre facette de son œuvre, les installations d’Agnès Varda :
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