Kliniken, de Lars Norèn
Perturbants miroirs
Du 12 au 14 novembre 2008 au Grand T de Nantes
Le grand T à Nantes reprend du 12 au 14 novembre 2008, un spectacle marquant de la saison dernière au Théâtre des Amandiers de Nanterre. Il s’agit de Kliniken de Lars Norèn, dans une mise en scène de Jean Louis Martinelli . C’est une terrifiante plongée dans la démence où des êtres qui n’ont plus rien hormis quelques mots pour tenter d’exister se croisent et nous offrent le bouleversant spectacle de leurs âmes malades.
Huit ans après le très perturbant Le Deuil sied à Electre de Eugène O’Neill, Jean Louis Martinelli, directeur du théâtre des amandiers de Nanterre depuis 2002, revient au Grand T pour une reprise de Kliniken (1994) de l’auteur suédois Lars Norén, dans la vision créée aux Amandiers l’an passé. La pièce de Eugène O’Neill, déjà, était une exploration glacée de la folie, dans le cadre névrotique de la famille des Atrides. Dans Kliniken, on ne trouve pas une telle caution littéraire ou historique. L’action nous plonge dans un monde clos où se croisent des êtres en rupture, dans l’espace fumeurs d’un hôpital psychiatrique. Le travail sur des pathologies mentales, avec des acteurs extrêmement habités,est d’une force incroyable.
Un espace de ruptures
Ce qui est déstabilisant dans cette clinique, c’est qu’on ne voit aucun personnel soignant. Le médecin doit passer le lundi suivant et il est question d’une fantomatique assistante sociale. La seule ouverture sur l’extérieur est un poste de télévision qui n’est qu’un prétexte de plus pour exprimer son mal être. Et pourtant, la fracture originelle a eu lieu à l’extérieur, par delà ces portes qui délimitent le fond du décor. La salle fumeurs de cette clinique, qui pourrait être celle de n’importe quel autre lieu, est l’espace où se posent des trajectoires brisées, sur lesquelles planent des traces d’incestes, des mères étouffantes ou des situations de surendettement, parce que tout déborde et tout échappe à ces êtres abimés.
Chacun d’entre eux est caractérisé par une gestuelle obsessionnelle ou convulsive, par l’occupation d’une place où l’on attend, le regard tourné vers l’intérieur, comme stupéfait par les gouffres que l’on porte en soi. Le jeu est parfois infime, mais dans cette salle de détresses, il y a des moments de grâce, au cours desquels on a le sentiment d’être face à une humanité vraie. Ce qui se libère ici révèle ce que chacun porte en soi et que la société étouffe ou que l’on réprime.
Le jeu est parfois infime, mais dans cette salle de détresses, il y a des moments de grâce, au cours desquels on a le sentiment d'être face à une humanité vraie.
Une parole qui enferme
La seule possibilité d’action dans Kliniken passe par la parole. C’est une parole dont la seule nécessité est la répétition. Certains monologues font penser aux Souvenirs de la maison des morts de Dostoïeski -qui livrent les confessions obsessionnelles de bagnards en Sibérie. Mais les mots dans Kliniken se limitent parfois à des bribes ou à des éclats de voix. On se pose dès lors la question de la fonction de cette parole et de la place accordée à l’autre. Il n’y a pas de libération apparente, c’est juste une forme de survie dans le regard de ceux qu’on croise, certainement aussi le sentiment apaisant de n’être pas jugés, parce qu’au fond on n’est tous semblables. Cette pièce nous convie à une leçon d’humanité et de tolérance. Les brefs moments de réconciliation passent par la musique et les chansons que les interprètes nous offrent, en quelques ensembles salvateurs.
Tout commentaire parait dérisoire face à la force du spectacle et à la qualité du jeu qui explore ce que chacun redoute le plus, le moment où l’on pourrait déraper, passer de l’autre côté du miroir. C’est peut être le sentiment d’une telle proximité qui rend les personnages si attachants au terme de la soirée. Nous sommes happés par un univers en marge de toute règle, de tout ordre établi et on ressent le désir troublant de passer encore un peu de temps avec eux !
Une image restera gravée : ce sont les saluts, à la fin du spectacle. Les acteurs quittent les stigmates et les tensions de la folie. Il y a quelque chose de très beau dans la générosité et l’investissement, que l’on ne mesure que par l’écart que l’on voit sur ces visages redevenus lisibles. Le Paradoxe du comédien de Diderot est d’une brûlante vérité lors de l’ultime apparition de la troupe.
Christophe Gervot
Photos : Pascal Victor Kliniken au Grand T du 12 au 14 novembre 84, rue du Général Buat. 44000 Nantes Tel : 02 51 88 25 25
Texte original de Lars Norén. Texte français : Arnaud Roig-Mora, Jean-Louis Martinelli, Camilla Bouchet. Mise en scène : Jean-Louis Martinelli. Scénographie : Gilles Taschet. Lumières : Marie Nicolas. Son : Jean-Damien Ratel. Costumes : Patrick Dutertre. Maquillages et coiffures : Françoise Chaumayrac. Piano et chant : Séverine Chavrier. Vidéo : Stéphane Lavoix.
Avec Charles Bénichou, Patrick Bonnereau Brigitte Boucher Eric Caruso, Séverine Chavrier, Jean-Georges Dhenin, Joachim Fosset,Emmanuel Faventines, Zakariya Gouram, Sylvie Milhaud, Vincent Macaigne, Sophie Rodrigues, Abbès Zahmani
Production : Théâtre Nanterre-Amandiers
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