
Rencontres de Sophie 2008
Vidéocratie et Démocratie : c’est cité dans la Cité
Daniel Bougnoux, David Abiker, Pierre-Yves Le Priol, Lieu Unique, Nantes, 16 mars 2008
Sorte de prime-time, le dimanche après-midi des Rencontres de Sophie 2008 baignait dans un climat favorable au plus grand auditoire possible, avec un sujet qui glissait judicieusement du thème de l’Image vers celui des Médias, par le biais de la Vidéo. « Vidéocratie, et/ou Démocratie ?  » La vidéo exerce-t-elle une réelle influence sur l’opinion publique, souveraine en démocratie, et menace-t-elle son intégrité ?
Vidéocratie. Le mot résonne aussi bien comme le fantasme mégalomaniaque et mass-médiatique des Mougeotte et Murdoch, qu’il suscite les rêves des alters de tout poil prompts à appuyer leurs démonstrations par l’image, notamment sur la toile (que l’on songe aux retransmissions soigneusement mises en scène des manifestations des différents G8, ou encore à toute la production documentaire qui circule pour dénoncer les abus du capitalisme libéral). Des deux côtés du portefeuille, il ne fait aucun doute que la vidéo dispose d’un grand pouvoir car on cherche activement à le canaliser. Mais quelle est la nature de ce pouvoir ? Quelle est son étendue ?
Qu’est-ce que la vidéocratie ?
Le pouvoir de la vidéo peut-il nuire ou à l’inverse bénéficier à celui du peuple, par le biais de son influence sur l’opinion publique ? Autant de questions ouvertes au début de cette conférence à laquelle participaient un philosophe et deux journalistes. Il s’agissait d’abord de Monsieur Daniel Bougnoux : grand ponte de la philosophie de la communication et des médias, il enseigne à l’Université Stendahl de Grenoble et est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages sur la question, après avoir été le rédacteur en chef des Cahiers de Médiologie de Régis Debray et de Medium. Il avait à nous faire réfléchir en compagnie de David Abicker, journaliste radiophonique et cathodique notamment vu dans feu l’excellente Arrêt sur Image -qu’internet a ressucité depuis peu- et auteur de très bons Contes de la Télé Ordinaire. A sa gauche, Pierre-Yves Le Priol, secrétaire général de rédaction du quotidien La Croix, pour lequel il rédige depuis dix ans une chronique télé, Fidèle au Poste. Un beau plateau, donc, pour une question alléchante : Vidéocratie et/ou démocratie ?
Internet est devenu le viagra d'une télévision qui redoute de plus en plus la panne
L’emprise progressive d’internet sur l’information visuelle
Ce qui ressort peut-être en premier lieu de cet échange est bien la montée en puissance, voire la prise de pouvoir, d’Internet comme principal vecteur de la vidéo. En effet, si notre bonne vieille télévision n’était jamais très éloignée des problèmes soulevés, c’était principalement parce qu’elle rediffuse des images issues de la grande toile. Le premier sujet qui fut abordé illustre bien le phénomène : il s’agissait du très fameux "Casse-toi, pauvre con". Rappelons rapidement la genèse de cette vidéo croustillante : lors de sa visite au dernier salon de l’agriculture, le Président de la République, excédé par la réticence d’un visiteur à lui serrer la main, se vengeait en lui assénant cette réplique hautement protocolaire. Problème : un vidéaste amateur était là, et quelques millions de clicks plus tard, la France entière allait prendre conscience du sang froid de son chef d’Etat. Que penser de ce micro-évènement médiatique ?
L’internet, mangeoire de la télé traditionnelle
Pour Abiker, le succès de la dite vidéo démontre que ce qui fait marque sur Internet est de l’ordre de la transgression, que le trash est un critère clé du succès web. Et le fait qu’elle ait été reprise en choeur par la télévision atteste de l’ancienneté de celle-ci, de sa frilosité : ne se sentant plus autorisée à fabriquer du contenu trash, elle picore de ci de là quelques contenus transgressifs sur la grande toile. Internet est devenu le viagra d’une télévision qui redoute de plus en plus la panne. Mais pour Daniel Bougnoux, ce phénomène n’est pas nouveau : la populace a toujours prit grand plaisir à repérer les lapsus des grands hommes. L’apport essentiel de l’Internet est quantitatif, et ensuite technique : jusque là nous n’avions jamais disposé d’une telle quantité d’images disponibles aussi facilement, ni de moyens aussi simples de publier des informations ou des vidéos.
Médias participatifs : une démocratie directe et représentative ?
Le média vidéo est un média de la proximité. Cette capacité représente-t-elle une victoire de la démocratie, ou bien une nouvelle victoire du spectaculaire dans le champ de nos représentations ?
L’autre grand thème attendu de cette conférence était bien sûr celui du média participatif : en offrant à tout un chacun l’occasion de crée de l’information et de publier des opinions, la vidéocratie internautique est-elle en mesure d’altérer les conséquences du recours nécessaire à la représentativité dans une démocratie ? Une question fantasmatique et très épineuse, qui date du fantasme du Village Global de Mc Luhan et a nourri les espoirs des supporters de Ségolène Royal l’année dernière. Pour David Abiker, le Web est plein d’espoir en ce sens : il s’agit selon lui d’un océan d’expression démocratique. Rappelons-nous que dans les années 30 le téléphone était dans les films le symbole technologique de la femme adultère, et donc la métaphore technique de l’émancipation de la femme. Peut-être nos blogs sont-ils l’annonce d’une plus grande justice sociale à venir ?
Peut-être qu’une agora planétaire prendra-t-elle vie sur nos réseaux ? Mais cette participation de tous offira-t-elle un mode de gouvernement viable ? Pour répondre à cet immense problème, il est fortement conseillé de découvrir l’oeuvre du sociologue Dominique Wolton.
Vidéo et internet : la perpétuation du spectaculaire ?
Pour en revenir à la représentation du politique via la vidéo, Le Priol rappelait fort a propos que l’image est toujours une mise en scène du réel, citant à ce propos la polarisation entre camps politiques opposés dans les grands débats diffusés par la télévision. Selon Daniel Bougnoux, ceux-ci sont encore voués à un bel avenir, car la fonction communautaire de la télévision créée par l’unité de temps de la télédiffusion instaure un traitement fédérateur des débats de fond de la société, dont les médias du quotidien comme les sites d’information web rendent moins bien compte. Et les politiciens le savent bien, eux qui cherchent à améliorer sans cesse leurs performances en terme de communication. Le média vidéo est un média de la proximité, qui permet à qui sait s’en servir de devenir familier à chaque électeur. Mais cette capacité représente-t-elle une victoire de la démocratie, en ce qu’elle oblige ses représentants à se tenir près du peuple, ou bien une nouvelle victoire du spectaculaire dans le champ de nos représentations ? Aux spectateurs de juger, les débateurs n’en ayant hélas pas eu le temps.
André-Charles Idier
Photo : Valérie Pinard
Liens :
La revue Medium
A lire :
La folle du logis : la télévision dans les sociétés démocratiques Dominique Wolton, Gallimard,1983
Introduction aux sciences de la communication, Daniel Bougnoux, La Découverte, coll. Repères, 2002.
Le Starkozysme, Olivier Duhamel et Michel Field, Le Seuil, 2008
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