FOCUS
The Happy Lands
Aurons-nous le courage de nous lever et combattre à l’instar de nos ancêtres ?
L’atelier de théâtre écossais TWS présente une reconstitution historique de la grève générale des mineurs de 1926. Le metteur en scène Robert Rae a travaillé pendant deux ans sur ce film, interprété par la génération succédant à cet événement déchirant. Ce documentaire était en compétition au festival Univerciné Britannique qui s’est déroulé du 11 au 17 décembre 2013 au Cinéma le Katorza à Nantes.
The Happy Lands, produit par « The Theatre Workshop of Scotland » ou TWS, est un atelier de théâtre écossais pour le moins original. Né en 1965, ce modèle artistique s’intéresse aux groupes d’acteurs marginaux et se professionnalise dans les années quatre-vingt. Ce film est issu d’un travail réalisé exclusivement avec des acteurs amateurs, et créé grâce au soutien de nombreux membres de la communauté minière de Fife, dans la région côtière de l’est de l’Écosse. Avant cela, le film Trouble Sleeping, produit par TWS en 2008, brossait le portrait de communautés de réfugiés ; il s’est vu récompensé par de nombreux festivals internationaux. À la direction du TWS depuis 1995, Robert Rae est acteur, dramaturge, metteur en scène et professeur de théâtre. Il est co-auteur et metteur en scène de nombreuses pièces, dont The Happy Lands (2012). Ce dernier travail n’est pas un documentaire, mais une « reconstitution historique », un puzzle ou patchwork co-écrit par Peter Cox, ainsi que de nombreux témoins issus de familles des houillères. Il aborde le conflit subi par la classe ouvrière pendant une grève qui a marqué un tournant dans l’Histoire.
La grève générale de 1926, mouvement social de grande ampleur
Après la première guerre mondiale, et contrairement à l’essor du communisme en Russie, le parti travailliste britannique s’effondre. L’arrivée du premier ministre conservateur Stanley Baldwin, en 1924, marque un retour au capitalisme. Ce gouvernement soutient l’essor du patronat, fer de lance de sa politique. Le manque de rentabilité des mines de charbon, dénoncé par les propriétaires de ses dernières, les amène à réduire drastiquement les salaires des travailleurs. La classe ouvrière s’organise alors autour du TUC, Trade Union Congress, la confédération des syndicats britanniques, pour dénoncer cet abus de pouvoir.
La perspective d’une grève générale est accompagnée de la menace d’une nouvelle révolution rouge
La perspective d’une grève générale est accompagnée de la menace d’une nouvelle révolution rouge. Aussi, le gouvernement exerce une pression sur les ouvriers sans précédent. Ce barrage est orchestré par la presse qui, instrumentalisée au service de la classe politique, dénonce sévèrement les actions projetées par le TUC. Malgré tout, la grève générale éclate le 4 mai et rallie notamment plus de 30.000 grévistes à Fife, et des centaines de milliers dans tout le pays. Certains leaders de ce mouvement contestataire sont emprisonnés par le gouvernement. Winston Churchill, soutenu par Baldwin, publie un nouveau journal, encourageant les travailleurs à retourner à la mine. Et le TUC appelle très vite à cesser la grève. La capitulation des dirigeants du TUC est interprétée comme une trahison monumentale pour les grévistes. La trêve officielle est opérée dès le neuvième jour. Les mineurs persévèrent dans un premier temps, malgré l’échec cuisant se profilant. Mais bientôt, ils se voient contraints à céder devant la famine et l’isolement qui les affaiblit, sept mois plus tard.
The Happy Lands, en compétition du festival Univerciné Britannique à Nantes, ne s’est pas vu récompensé. Le fruit de ses deux années d’efforts de production, où les acteurs jouent le rôle de leurs aïeux, peine à reconstituer fidèlement toutes les étapes d’un moment mémorable de l’histoire. Certaines scènes, comme celle de l’accouchement d’une jeune femme, font état de la complexité de travailler avec des amateurs. Préférant certainement couper les moments les plus poignants, mais aussi les plus délicats à interpréter, Robert Rae expose les spectateurs à un récit parfois difficilement crédible.
Robert Rae et Ken Loach, un même message, une même urgence
Cette reconstitution historique met inévitablement en exergue le sacrifice et la lutte de la grève générale, mais aussi la portée de la solidarité des mineurs. L’exemple le plus frappant est celui d’un ouvrier gravement blessé au dos. Face au refus des patrons d’accepter leur responsabilité, les autres travailleurs décident de le soutenir. Ils s’occupent de sa famille, jusqu’à ce qu’il puisse retourner au travail. Robert Rae construit des liens puissants entre ces événements du passé et la crise économique actuelle. Cela rejoint le message de Ken Loach dans The Spirit of 1945. Ces réalisateurs contemporains nous adressent un message subtilement révolutionnaire.
Les gens ont oublié qu'ils peuvent se soutenir mutuellement. J'espère que ce film rappellera que la situation actuelle n'a rien de nouveau
Pour Rae, comme pour Loach, « c’est bien la lutte acharnée » du peuple « et la formidable solidarité des Britanniques qui ont ouvert la voie à l’État-Providence de 1945. Mais aujourd’hui on nous arrache ces droits, petit à petit. Tout comme on a puni les citoyens lambdas pour avoir provoqué une crise financière dont ils n’étaient nullement les instigateurs ». « Les gens ont oublié qu’ils peuvent se soutenir mutuellement. J’espère que ce film rappellera que la situation actuelle n’a rien de nouveau ». La question qui se pose (Robert Rae) : « Aurons-nous le courage de nous lever et combattre à l’instar de nos ancêtres ? Sinon, quel héritage laissons-nous à nos enfants ? Il est temps pour chacun de nous, de retrouver sa voix ».
Gwenaëlle Bretagne
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