FOCUS
The Spirit Of 45
Pour bâtir le futur, il faut étudier le passer
Ken Loach, cinéaste de renommée internationale, présente « l’Esprit de 1945  ». Il brosse le portrait de ce que la volonté du peuple britannique a réussi à construire dans l’après-guerre, fuyant le désespoir des années trente. Loach parle du passé, non sans espoir de réveiller la société actuelle étranglée par la crise…
Ken Loach acculé par le documentaire
La notoriété du cinéaste britannique Ken Loach n’est plus à débattre, voyant son travail récompensé à maintes reprises depuis les années 1990, notamment aux Festivals de Cannes et de Venise. Recevant deux Césars en 1996 et 2005, l’ensemble de sa carrière est couronnée par le Prix Lumière du Festival du Grand Lyon en 2012. Ken Loach n’est pourtant pas un spécialiste des documentaires. Si Loach s’est penché sur l’époque de l’après-guerre pour réaliser ce travail de recherche, c’est bien parce qu’il a voulu aborder un sujet brûlant. L’esprit engagé du cinéaste a décelé l’urgence de rappeler aux citoyens un moment de l’Histoire. Celui qui a permis de surmonter une grave dépression économique et psychologique, encore plus destructrice que la crise que nous vivons aujourd’hui. Pour ce faire, ce film s’attache à retracer l’existence d’un socialisme populaire, celui du Welfare State, s’opposant à l’ère individualiste du Thatchérisme qui lui succédera.
L’esprit engagé du cinéaste a décelé l’urgence de rappeler aux citoyens un moment de l’Histoire
Le Welfare State et le tatchérisme : deux réalités contradictoires
Le Welfare State, c’est le dénommé Ètat-Providence instauré par le gouvernement de gauche d’Attlee, un parti préoccupé par l’Après-Guerre. Comment se projeter après la Guerre ? Tourner une page, suite aux horreurs infligées et subies par les hommes, aux destructions massives des villes, à l’extrême pauvreté des peuples, et à l’insalubrité des logements. Hors de question de revivre la crise des années trente. L’État interventionniste, s’opposant aux idées ultralibérales, entreprend la nationalisation des secteurs clés de l’économie : l’éducation, la santé, les chemins de fer, l’électricité et l’eau. Ken Loach nous montre que cette mainmise du pouvoir travailliste est souvent imposée, pouvant s’éloigner des principes démocratiques. Mais il s’agit bien d’un socialisme du peuple, que Loach s’attarde à nous présenter, un effort collectif basé sur la solidarité nationale. Ensemble, déterminés à satisfaire le bien de tous, les Britanniques aident à bâtir cet État-Providence. Des services publics gratuits ou à prix réduits sont instaurés. La naissance de la protection sociale par le National Health Service assure un service de santé publique garantissant la gratuité des soins pour tous. Et l’État entreprend la construction de nouveaux logements de qualité. Le plein emploi règne, rassurant le peuple britannique. Pourtant, cette justice sociale ne sera plus au cœur du programme politique de Margareth Thatcher quelques années plus tard.
(…) il s’agit bien d’un socialisme du peuple, que Loach s’attarde à nous présenter, un effort collectif basé sur la solidarité nationale
En 1979, Margareth Thatcher arrive au pouvoir avec la volonté de faire évoluer cet État-providence vers une « prise en main par chaque individu de sa situation ». L’individu est au centre de sa politique et vient remplacer la solidarité et le collectivisme de l’époque précédente. Le néolibéralisme institue la compétition et l’enrichissement personnel, discréditant l’importance de la famille et l’esprit communautaire. Ken Loach étale les caractéristiques de ce règne, et nous invite à songer à l’instant présent.
Le réalisateur rappelle l’Histoire et pousse un cri adressé à tous
The Spirit of 45 (2013) est un cocktail dosé d’extraits de films du passé et d’interviews de témoins bien vivants. L’ambiance de l’époque est marquée par le noir et blanc, le rythme du swing, ainsi que le contexte historique. Les témoignages poignants d’un docker, d’une infirmière de Manchester, d’un économiste, d’un ancien médecin, d’un ancien mineur de Liverpool et d’un syndicaliste rendent ce récit digne d’une leçon d’Histoire.
Les témoignages poignants (…) rendent ce récit digne d’une leçon d’Histoire
La fin du documentaire est-elle une illusion ou bien la réalité ? Les images du passé, ces mêmes images de l’après-guerre, sont en couleur et viennent troubler le spectateur. Il s’agit d’un cri adressé aux politiciens et citoyens d’aujourd’hui, où les communautés virtuelles pullulent, mais l’esprit de solidarité fait bien souvent défaut. Sans compter la perte de confiance des peuples envers les gouvernements « tous pourris ». À chacun son interprétation de la voix de Ken Loach : soit il prédit la menace d’une nouvelle guerre mondiale, soit il nous incite à réagir tous ensemble et éradiquer la crise pour le bien du plus grand nombre ?
Gwenaëlle Bretagne
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