
FOCUS
Violetta lévite…
« La Traviata  » mise en scène par Jean François Sivadier au Festival d’Aix en Provence
En 1996, Jean François Sivadier créait au Théâtre de l’Odéon à Paris son texte « Italienne scène et orchestre  ». Ce spectacle de théâtre plaçait le spectateur dans une fosse d’orchestre, au cœur de répétitions de « Traviata  ».Après de nombreuses reprises d’ « Italienne  » à Paris et en tournée, il vient de mettre en scène l’opéra de Verdi, au tout dernier festival d’Aix en Provence. En quoi la mise en scène d’opéra porte-t-elle des traces du texte de théâtre ?
Lorsque Jean François Sivadier créa « Italienne avec Orchestre » en 1996, il était comédien, et passionné d’opéra. Il faudra cependant attendre 2004, pour qu’il en propose sa première mise en scène. Ce spectacle singulier, où il jouait un chef d’orchestre, était alors une réflexion sur un genre, et sur la possibilité de le mettre en scène. On y devinait la quête d’une forme d’idéal. Ce texte fondateur portait certainement aussi en lui tous les opéras que le metteur en scène allait réaliser plus tard.
Mettre en scène le chant
L’un des dénominateurs communs à tous les spectacles de Jean François Sivadier est le refus de tout naturalisme et de toute psychologie, au profit du jeu. La question que lui pose l’opéra, c’est d’intégrer dans le jeu théâtral tout ce qui fait la spécificité du genre, et surtout ne pas faire comme si l’on ne chantait pas, mais au contraire, faire du chant et de toutes ses contraintes un élément pour jouer. Le metteur en scène fait un parallélisme entre le destin de Violetta, dans « Traviata », et celui d’une chanteuse d’opéra. Toutes deux personnages publics, elles s’épuisent physiquement, l’une dans la maladie et l’autre dans l’effort du chant. Le paradoxe de la fin de « Traviata », c’est que plus elle s’approche de la mort, et plus son chant est vivant et plein d’énergie, et il s’étire et dure. C’est aussi ce qui bouleverse tant le public, cette dilatation et cette sublimation de l’agonie, ressentie comme une victoire sur la vie, par le chant, comme un délais consenti par l’art. Le chant retarde l’échéance de la mort et le dernier mot de Violetta, alors qu’elle s’effondre, est « Gioia » (la joie en français).
"La musique l’emporte sur la réalité, je veux que cette mort soit une élévation".
Dans « Italienne avec orchestre », l’auteur Sivadier faisait dire au chef d’orchestre « La musique l’emporte sur la réalité, je veux que cette mort soit une élévation ». Le spectacle proposé à Aix en Provence nous conduit vers cette joie finale, au plus près de la vérité de la musique et du chant. Durant le prélude, Violetta entre en scène pendant le motif de son grand air, à l’écoute de ce qu’elle va interpréter ensuite. Toute la troupe est en scène avant le début de l’opéra, semblant chercher encore des solutions de jeu, ou tout simplement pour être ensemble, pour que tous racontent la même histoire. Comme dans sa mise en scène de « Madame Buterfly », les choristes arrivent de la salle pour prendre possession du plateau. Tout le spectacle regorge de moments où l’on joue avec tout, en particulier avec ce que dit la musique. Il culmine dans la fête du troisième acte, où il règne une vie incroyable et un bonheur communicatif d’être sur scène. Ce travail avec la partition évoque l’ultime image du « Crépuscule des dieux », dans la production de la tétralogie du centenaire, mise en scène par Patrice Chéreau. L’indication de mise en scène donnée aux choristes par le metteur en scène était d’écouter la partition. Il en résultait une saisissante image d’une humanité en attente. Ce qui se passe dans cette « Traviata » est du même ordre. Chaque note amène des moments de théâtre.
Vers l’essence de la musique et du théâtre
Comme souvent dans les mises en scène d’opéra de Jean François Sivadier, un comédien est sur le plateau. Il s’agit d’une présence compatissante et émerveillée, comme un pont entre le théâtre parlé et l’art lyrique, comme une réminiscence aussi. Rachid Zanouda est un fidèle des spectacles de Sivadier. Étourdissant dans « La dame de chez Maxim », poétique et sensuel dans « Noli me tangere », il est tout simplement émouvant ici. Au quatrième acte,Violetta n’est pas étendue sur un lit, en proie à la phtisie. Elle se tient debout et avance, dans une grande légèreté vers l’avant du plateau, comme si elle était en lévitation. S’adressant à la diva, dans « Italienne avec orchestre », le metteur en scène dit « Devenez du cristal, qu’on ne sache plus comment la toucher sans que ça éclate, effleurez le sol, lévitez June ». C’est exactement ce qui se passe dans cette fin lumineuse et presque aérienne : une légèreté retrouvée à l’approche de la mort. Pendant ce temps, au fond du plateau, le comédien efface une à une les lettres qui forment les mots "Violetta" et "Traviata. Irina Lungu, interprète de Violetta en alternance avec Nathalie Dessay est en état de grâce, portée par le chant, dans un temps qui semble suspendu. N’est-ce pas ce qui se produit dans toutes les agonies d’opéras, y compris celle de Tristan, ce temps qui semble ne plus exister ?
on a le sentiment que l’essence du chant et du théâtre a été effleurée, en un même geste.
Un spectateur, non loin de nous, a crié, au nom du réalisme « Tousse Violetta ! ». Et pourtant, l’émotion est palpable. L’une des répliques de « Italienne », adressée à la chanteuse, était « On pleurera des larmes autrement plus amères que celles que vous attendez ». Toute la troupe de cette « Traviata » entre dans une telle lévitation et chacun raconte cette histoire dans une forme d’évidence : Irina Lungu a des aigus d’une grande pureté et un jeu incandescent, Ludovic Tézier et Charles Castronovo apportent des couleurs éclatantes et d’émouvantes nuances aux figures de Germont, père et fils, et Silvia de la Muela donne sans compter, dans la représentation d’une ultime fête, qu’on aimerait ne voir jamais finir. Dans « Italienne avec orchestre », Jean François Sivadier reprenait une phrase attribuée à Michel-Ange : « Je prends le bloc de pierre et je retire tout ce qui n’est pas David ». Cette formule porte en elle l’idée d’une perfection. Elle trouve tout son sens ici, où l’on a le sentiment que l’essence du chant et du théâtre a été effleurée, en un même geste. L’idéal entrevu dans le texte de théâtre de 1996 est atteint.
Christophe Gervot)
« Italienne scène et orchestre » a été publié en deux volumes (les deux parties du spectacle), aux éditions Les Solitaires Intempestifs
« La traviata », mise en scène par Jean François Sivadier sera reprise au Staatsoper de Vienne, les 9, 12, 15, 18, 21 et 24 octobre 2011 et les 10, 13, 16 et 20 mai 2012.
Représentations de cette mise en scène à à l’opéra de Dijon les 29, 31 décembre 2011 et les 3,5, 7 et 10 janvier 2012.et à Caen, les 22, 24,26 et 28 janvier 2012.
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses