FOCUS
Le crépuscule des dieux à l’Opéra Bastille
Et à la fin, des dieux dans des jeux vidéo…
Étalée sur deux saisons, la tétralogie de Richard Wagner s’est achevée en juin 2011 avec « Le crépuscule des dieux  », ultime journée du cycle. « L’or du Rhin  » avait ouvert de nombreuses pistes, qui ont souvent été abandonnées en cours de route. Un ring de notre temps, avec de nombreuses questions sans réponses.
Inspirée des mythologies scandinaves et germaniques, la Tétralogie de Richard Wagner est un récit des origines et de la fin du monde. Le prologue nous met face à des dieux, habités par des questions humaines et matérielles, telles la possession, le mensonge ou le non respect des traités. Au terme d’un parcours de plus de quinze heures de musique, réparti sur quatre journées, leur mort ne semble qu’une formalité.
Brünnhilde, la Walkyrie, une des filles de Wotan, a été condamnée par son père, pour désobéissance, à un profond sommeil, duquel la sort le héros Siegfried. A son réveil, elle n’est plus d’essence divine mais partage les affres de l’humaine condition. C’est peut être l’un des signes les plus forts de ce crépuscule des dieux. Brünnhilde souffrira de la trahison amoureuse, de la jalousie, avant de connaître une mort programmée.
Le règne de la confusion
On peut y voir une allusion discrète à la fête macabre de la nuit des longs couteaux dans « Les damnés » de Luchino Visconti.
La dernière image de « L’or du Rhin », pleine de présages, exhibait des athlètes en tenue de sport chacun portant l’une des lettres formant le nom de « Germania ». Deux références à l’Allemagne d’Hitler : Les Jeux Olympiques de 36 à Berlin et la cité idéale imaginée par les nazis. Cette troisième journée débute par le chant halluciné des nornes, figures du destin, qui annoncent la fin irrémédiable des dieux. Une arche métallique et de fer barbelé, qui tourne sur elle même (la marche du monde ?), avec, au fond, des ombres de cheminées, créent une réminiscence de cette sinistre époque. Juste avant l’arrivée de Siegfried au palais des Gibichungen, où Hagen, fils d’Alberich, cherche une solution pour récupérer l’anneau qui donne la puissance, de jeunes hommes travestis disposent des tables pour quelque fête, avec des bandes multicolores suspendues au plafond. On peut y voir une allusion discrète à la fête macabre de la nuit des longs couteaux dans « Les damnés » de Luchino Visconti. La confusion des sexes annonce les inversions des identités qui, grâce à une boisson d’oubli et à un heaume magique, conduiront Siegfried à la mort et Brünnhilde à sa perte.
La présence inquiétante de Hagen, démiurge de l’action, en fauteuil roulant, qui renforce sa frustration et son manque, est particulièrement grinçante. Alberich apparaît dès le premier acte. Dans une scène muette d’une belle intensité, il tente de mettre une main sur l’épaule de son fils, en témoignage de soutien, dans cette course universelle au pouvoir. Celui ci le repousse. Comment Hagen, en effet, pourrait-il accepter un tel geste, lui qui a été conçu dans la haine : son père a été contraint de renoncer à l’amour, en volant l’or du Rhin, objet de toutes les convoitises. C’est Brünnhilde qui détient l’anneau, en gage d’amour de Siegfried. Sa sœur Waltraute, en un poignant monologue, dépeint l’agonie des dieux, afin de l’inciter à le restituer au fleuve, pour les sauver. Sophie Koch apporte à cette intervention, une voix riche aux graves caverneux et aux couleurs sombres, et un beau travail sur le texte, sur les silences. Cette interprète est aussi une fascinante diseuse, qui sculpte les mots. Mais la Walkyrie est inflexible, et refuse de le rendre, tandis que derrière elle, un écran diffuse des images prophétiques de flammes. Dès lors, la marche vers la fin est en route, rien ne pourra sauver ces divinités qui ont pris part à la folie des hommes.
Dissonances
N’est ce pas là, finalement, une tétralogie à l’image de notre temps ?
C’est après la mort de Siegfried, tué par traîtrise par Hagen, que Brünnhilde ouvre les yeux. La marche funèbre qui suit ce moment est illustrée par l’image démultipliée d’une Walkyrie spectrale, qui gravit lentement les marches qui montent vers le séjour des dieux où se tenaient les athlètes à la fin de l’or du Rhin. Dès lors, le spectateur se trouve face à un paradoxe. Il ne se passe plus rien sur scène, comme si le metteur en scène Günter Krämer n’avait pu aller au delà de ce passage, pour se contenter ensuite d’un no man’s land scénique. C’est d’autant plus contradictoire que c’est là que la musique se fait la plus explosive, témoin d’une apothéose.
La scène finale de Brünnhilde, aux aigus redoutables, dure plus d’un quart d’heure. Cette fracture entre ce que l’on voit et ce que l’on entend s’oppose à l’idée d’art total, tellement importante aux yeux de Wagner. Pour la walkyrie meurtrie, il n’est plus temps de régler ses comptes, elle se jette dans les flammes pour sauver cette humanité malade, où les dieux ont les travers des hommes. Mais s’il y a rédemption dans ce spectacle, c’est par le chant. En l’absence de Katarina Dalayman, Brigitte Pinter jusqu’alors doublure, endosse le costume de Brünnhilde ce 12 juin, et c’est une véritable révélation ! Sa voix est ample et elle parvient, par la puissance de ses aigus, à donner le frisson à toute la salle. Elle insuffle au personnage héroïsme et fragilité, en explore toute la complexité, sous la direction inspirée de Philippe Jordan. Tandis qu’elle achève son ultime aria, un écran de jeu vidéo apparaît derrière elle. Une main armée tue, un à un, des figures représentant des dieux. Ainsi, ce crépuscule ne serait que cela, l’écran nous suggérant une absence de toute transcendance et la mort du divin, créant le sentiment d’un vide immense devant lequel se débat encore quelque folle. Pour quelle cause serait-on prêt aujourd’hui à se jeter dans les flammes ? N’est ce pas là, finalement, une tétralogie à l’image de notre temps ?
Christophe Gervot
Bloc-Notes
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